COP27 : le plan des experts de l'ONU pour mettre fin au greenwashing des entreprises peut-il être efficace ?

L'ancienne ministre de l'Environnement canadienne Catherine McKenna a présenté les résultats de sept mois de travaux consacrés à l'encadrement des objectifs de "neutralité carbone" des acteurs non-étatiques.
Villes "neutres en carbone", compagnies aériennes et pétroliers "neutres en carbone", Coupe du monde de football au Qatar "neutre en carbone"… Ces dernières années, des milliers d'entreprises ont fait vœu de réduire – puis d'éliminer totalement – leur contribution au réchauffement climatique. Une ruée vers la "neutralité carbone", concept controversé et d'autant plus attrayant qu'aucune régulation, ni définition, n'existaient pour s'assurer de la crédibilité de ces objectifs. Au milieu de ce Far West réglementaire où sévit un greenwashing décomplexé, Antonio Guterres, a mis en garde, mardi 8 novembre : "aucune tolérance pour le greenwashing sur la neutralité carbone", a-t-il lancé depuis Charm el-Cheikh, en Egypte, où se tient la COP27.
Ce jour-là, le groupe d'experts de haut niveau (HLEG), mandaté en mars par le patron de l'ONU, a rendu une série de recommandations en vue de faire régner la loi parmi les acteurs non-étatiques qui revendiquent leur médaille "net zéro". Seront-elles efficaces ou même suffisantes ? Franceinfo décrypte les quatre axes pointés par les 18 experts mandatés par l'ONU.
Abandonner les énergies fossiles et les activités qui contribuent à la déforestation
C'est la condition clé de la crédibilité des acteurs qui s'engagent dans la neutralité carbone. Pour être pris au sérieux dans ses ambitions "net zéro", il faut jurer de s'éloigner des "activités destructrices de l'environnement", notamment de tout ce qui peut entraîner de la déforestation, insiste le rapport. De même, les villes, régions, organismes financiers et entreprises "ne peuvent pas revendiquer la neutralité carbone tout en continuant à construire ou investir dans de nouvelles sources d'énergies fossiles". Selon l'Agence internationale de l'énergie*, tout projet d'extraction d'énergie fossile mis en chantier après 2021 est incompatible avec l'objectif de l'accord de Paris (+1,5°C d'ici 2100).
Lors de la présentation des recommandations du HLEG par sa présidente, la Canadienne Catherine McKenna, cette annonce anti-greenwashing a été accueillie par des applaudissements. "C'est une déclaration forte, sans aucun doute", réagit Thomas Day, spécialiste des engagements climatiques du secteur privé au sein du New Climate Institute*. Mais son organisation, basée à Cologne (Allemagne), attendait plus que des mots. Si les recommandations "envoient un bon signal, il n'y a rien de nouveau ici que l'on ne trouve pas déjà dans les dispositifs existants", déplore-t-il, citant les règles dites SBTi* (Science-based target initiatives), héritée de la COP21 ou encore les critères de la campagne "Race To Zero", née de la COP25.
Pour Lucie Pinson, de l'ONG Reclaim Finance, le message contribue toutefois à stigmatiser ces projets, encore nombreux, incompatibles avec les objectifs internationaux. "Au moment où les banques soi-disant neutres en carbone déversent des milliards dans des nouveaux projets d'énergies fossiles, il est particulièrement encourageant que le groupe mette les choses au point", a-t-elle réagi dans un communiqué. L'ONG y pointe notamment que l'assureur AXA, qui préside la Net-Zero Insurance Alliance, autorise d'assurer de nouveaux champs d'exploitation de gaz. Ces institutions et entreprises doivent "[mettre] à jour leurs directives à la lumière de ces recommandations, faute de quoi elles perdront toute crédibilité," relève encore Lucie Pinson.
Lutter contre "les failles"
Fustigeant le greenwashing à la tribune, Antonio Guterres n'a pas manqué d'épingler les entreprises dont les engagements présentent "des failles assez grandes pour y faire passer une citerne de diesel". Les auteurs du rapport insistent sur la nécessité d'un effort de transparence. Les promesses à long terme doivent être accompagnées par un plan précis, avec des objectifs pour chaque période de cinq ans, comme les Etats. Elles doivent aussi couvrir toutes les activités d'une entreprise : activités directes (scope 1), consommation d'électricité et de chaleur (scope 2) et toutes les émissions indirectes en amont et en aval de la production, jusqu'à l'essence consommée par les automobilistes pour une compagnie pétrolière (scope 3). TotalEnergies est ainsi soupçonné par des experts, consultés par "L'Œil du 20 heures", d'avoir écarté ce dernier scope dans la publication de ses émissions annuelles.
Pour Thomas Day, la transparence seule ne permet pas "de remédier aux failles dans les dispositifs existants et que les entreprises exploitent". Habitué à éplucher les centaines de pages des plans "neutralité carbone" des entreprises, il évoque des "tours de passe-passe comptables" et autres "failles cachées", avec l'exemple de JBS, un géant brésilien de la transformation de viande. "Le plan détaillé présenté par cette entreprise couvre bien les scopes 1, 2 et 3. Mais une note de bas de page précise que cela concerne 'toutes nos fermes', excluant implicitement toutes celles qui ne sont pas intégralement détenues et opérées par leurs soins. Ce qui est le cas de 99,9% de leurs fermes", souffle-t-il. "Un 'détail' qui passe sous les radars des dispositifs qui attestent de la crédibilité de ces plans."
Alors qu'un quart des 1 200 entreprises sondées dans douze pays par le consultant South Pole* ne comptent pas publier leur feuille de route, le spécialiste regrette "que ces recommandations ne s'accompagnent pas d'un mécanisme de surveillance et n'engagent pas la responsabilité des acteurs face à leurs engagements". Pire, estime-t-il, "le langage employé ici valide ces dispositifs, dont nous savons qu'ils sont insuffisants, sans les renforcer".
Réduire plutôt que "compenser" les émissions de gaz à effet de serre
Autre condition sine qua non à un objectif crédible de neutralité carbone : réduire le plus possible les émissions de gaz à effet de serre et non pas les compenser en achetant des "crédits carbone", en finançant par exemple des projets de reforestation ou de développement des énergies renouvelables.
Pour l'ONG belge Carbon Market Watch, "il faut en faire davantage pour s'assurer que les entreprises reportent l'intégralité de leurs émissions et ne réduisent leur usage excessif à la compensation carbone". De même, pour Thomas Day, ces recommandations sont là-aussi conformes à un dispositif existant, l'initiative Voluntary Carbon Market Integrity, jugé peu efficace pour lutter contre le greenwashing par le NewClimate institute. Ce recours abusif au compensation carbone, en dépit des quelques règles existantes, figurait d'ailleurs parmi les principales failles exploitées par les 25 multinationales étudiées par des experts dans son Corporate Climate Responsibility Monitor, détaillé par The Guardian*.
Il relève enfin des déclarations encore "ambiguës". "Le communiqué de presse déclare que les compensations carbones ne doivent pas être utilisées avant qu'une entreprise n'ait atteint ces objectifs de réduction à court et moyen terme, mais on ne trouve aucune précision sur cet engagement dans le rapport", poursuit-il.
Interdire le lobbying pour permettre aux gouvernements de légiférer
Côté nouveauté, le rapport se penche sur les activités de lobbying des entités non-étatiques. Il recommande d'interdire de promouvoir des discours visant "à saper les politiques climatiques gouvernementales ambitieuses, que ce soit de façon directe ou par l'intermédiaire d'associations commerciales ou d'autres structures". "L'annonce d'aujourd'hui est un tournant décisif pour le lobbying des entreprises qui a longtemps fait obstacle à l'action des gouvernements", s'est réjoui Will Aitchison, du centre de réflexion InfluenceMap.
Enfin, dans sa dernière recommandation, le rapport appelle les gouvernements à réguler les engagements "net-zéro" de ces partenaires privés. Pour Antonio Guterres, ces conseils des experts du HLEG doivent aider à "construire un cadre réglementaire". Et introduire la notion de contrainte réclamée par les acteurs de la société civile, notamment les ONG. Des projets sont d'ailleurs en préparation du côté de la Commission européenne. Le rapport souligne que "les acteurs non-étatiques peuvent aider les gouvernements à atteindre leurs objectifs nationaux" et "leur permettre de les rehausser", conformément à leurs engagements. Et pour cause, certaines entreprises émettent plus que certains pays du globe : pour l'année 2019, le pétrolier BP a déclaré que ces activités avaient rejeté dans l'atmosphère 1,4 milliard de tonnes de CO2. Cela représente à la louche le cumul des émissions de la Moldavie depuis la fin du XVIIIe siècle à nos jours.
Enfin, à défaut de proposer un cadre contraignant, ce rapport frappé du sceau de l'ONU fournit de nouvelles pièces à convictions pour les acteurs de la société civile qui souhaitent attaquer les multinationales sur leurs déclarations, assimilées à de la publicité mensongère, relève Thomas Day. Dans un jugement historique rendu en 2021 aux Pays-Bas, les Amis de la Terre ont obtenu que le pétrolier Shell soit contraint par la justice de baisser ses émissions, après avoir pointé les incohérences entre le discours et les actions menées de la multinationale.
Le 10 novembre 2022
Source web par : France tv info
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