Visas Schengen, mission française, Sahara... Entretien avec Hélène Le Gal
Le partenariat entre Rabat et Paris, l'avenir des relations bilatérales, la France face aux mutations mondiales, le réseau scolaire français, la question des visas, le Sahara marocain et le plan d’autonomie… l’ambassadrice de France a accepté de répondre sans ambages aux questions du «Matin» à l’occasion de la célébration du 14 juillet, une fête qui «permet d’associer nos partenaires et amis à ce moment symbolique». Mme Hélène Le Gal, qui estime que «la relation franco-marocaine, par son histoire, sa vigueur exceptionnelle et son caractère multidimensionnel, dépasse les échéances politiques», demeure optimiste quant aux perspectives du partenariat entre les deux pays, malgré un climat mondial marqué par les défis et les incertitudes. Pour la diplomate française, «le contexte actuel offre une opportunité unique pour renforcer davantage notre partenariat autour de priorités partagées».
Le Matin : La célébration de la fête du 14 juillet est l’occasion de revenir sur la symbolique de cette date d’un côté et de faire le point sur les relations entre Rabat et Paris de l’autre. Que pourriez-vous nous dire à cet égard ?
Hélène Le Gal : Si historiquement le 14 juillet marque une date fondatrice dans l’histoire de France, sa célébration est aujourd’hui avant tout un moment de rassemblement. C’est l’occasion de rappeler la communauté de destin qui lie les Français et de partager les valeurs qui marquent et animent le pays. À l’étranger, cette fête permet d’associer nos partenaires et amis à ce moment symbolique et de célébrer le partenariat qui lie la France à ces pays et les valeurs communes qui le sous-tendent. C’est tout particulièrement le cas ici, au Maroc, avec lequel la France entretient un partenariat unique et multidimensionnel, s’appuyant à la fois sur une relation politique extrêmement forte et des échanges portés, dans tous les domaines, par des communautés françaises et marocaines particulièrement dynamiques et attachées au développement continu de la relation bilatérale. Depuis mon arrivée au Maroc en 2019, je constate au quotidien ce que tous les Français établis au Maroc et les Marocains établis en France apportent à notre coopération.
La France est le premier investisseur étranger au Maroc. Avec plus de 1.000 filiales d'entreprises françaises recensées, le Maroc est aussi la première destination des investissements français sur le continent africain. La France demeure également le premier pays d’origine des transferts financiers des migrants et d’arrivées touristiques. Notre relation commerciale a évolué, elle est désormais plus équilibrée : le Maroc présente depuis 2016 un excédent commercial envers la France.
Les entreprises françaises ont été de véritables locomotives pour les principaux écosystèmes industriels marocains : l’automobile avec Renault, Stellantis ou Valeo, l’aéronautique avec Safran et Airbus, mais aussi dans les deux cas de très nombreuses PME qui sont venues s’installer dans leur sillage. Elles peuvent également l’être pour les industries de demain que le Royaume cherche à développer. Les entreprises françaises ne réalisent pas seulement des échanges commerciaux au Maroc, elles ont une présence locale durable, elles investissent et créent de l’activité et de l’emploi dans le pays.
Sans pouvoir être exhaustive dans tous les secteurs, je souhaiterais également mentionner ici le fait que le réseau culturel et scolaire français s’est au cours de cette dernière année agrandi pour mieux couvrir le territoire marocain avec d’une part l'ouverture d'une nouvelle alliance française à Ouarzazate, qui complète avec l'Alliance de Safi le réseau des 12 instituts français et, d’autre part, l'homologation d'une école française à Nador, portant le nombre total des écoles françaises à 45.
Le président Macron vient d’être réélu pour un second mandat. Catherine Colonna a été nommée ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Doit-on s’attendre à des changements ou des annonces s’agissant des relations entre la France et le Maroc ?
La relation franco-marocaine, par son histoire, sa vigueur exceptionnelle et son caractère multidimensionnel, dépasse les échéances politiques. La fin de la période électorale et la constitution d’une équipe gouvernementale constituent néanmoins une bonne nouvelle pour la reprise du rythme habituel de notre partenariat, d’autant plus que dans certains domaines, les échanges ont pu être freinés par les restrictions liées à la pandémie de Covid-19. Les visites bilatérales vont ainsi pouvoir reprendre, tout comme la tenue d’échéances bilatérales attendues, notamment les prochaines rencontres de haut niveau.
Au-delà, le contexte actuel offre une opportunité unique pour renforcer davantage notre partenariat autour de priorités partagées. La succession de crises depuis plus de deux ans a mis en lumière les fragilités de l’économie mondiale. Elle a révélé la difficulté, tant pour le Maroc que pour l’Europe, à dépendre d’approvisionnements lointains, alors que les coûts de transport explosent et que les incertitudes sur les chaînes d’approvisionnement se multiplient. Dans le même temps, le Maroc a réorienté ses priorités économiques et a défini un nouveau modèle de développement. La France et l’Union européenne sont également en train de revoir leur modèle productif à la lumière des nouveaux objectifs de décarbonation très ambitieux dont nous nous sommes dotés avec le pacte vert pour l’Europe et les diverses stratégies nationales. Ce contexte crée des opportunités plus nombreuses que jamais pour des coopérations mutuellement bénéfiques entre la France et le Maroc, à nous de savoir les saisir.
La France célèbre sa fête nationale ce 14 juillet, alors que le monde fait face à une série de crises sans précédent. Covid-19, guerre en Ukraine et changements climatiques… Quelles réponses apporte la France à ces défis pour préserver la centralité de sa présence et ses rôles sur la scène régionale et mondiale ?
Aux crises et urgences auxquelles la communauté internationale faisait déjà face se sont en effet ajoutés de nouveaux défis, ou plutôt des défis qu’on pensait enfouis dans l’histoire : celui d’une pandémie mondiale, avec la Covid-19 et ses conséquences sanitaires, économiques et sociales, et celui du retour de la guerre sur le continent européen avec l’agression russe en Ukraine, dont les effets sont actuellement ressentis par tous les pays. Ces crises sont en réalité la conséquence de situations pré-existantes : la situation d’urgence environnementale dans laquelle nous sommes depuis de nombreuses années, et qui favorise notamment l’émergence de zoonoses, ou encore la logique croissante de brutalisation des relations internationales et de recours à l’unilatéralisme, dont l’attaque russe contre l’Ukraine est une illustration.
Sur chacun des enjeux que vous citez, et sur bien d’autres encore, la France, en lien avec ses partenaires européens notamment, a répondu présente. Sur la guerre en Ukraine, elle a déployé, le plus souvent dans le cadre de l’Union européenne, un soutien de grande ampleur à l'égard de l'Ukraine, d’ordre économique et financier, humanitaire, avec l’accueil des réfugiés ayant fui le conflit, et en soutien à sa défense en activant notamment la facilité européenne de paix. Lors de la présidence française de l’Union européenne qui vient de s’achever, nous nous sommes mobilisés pour l’adoption de sanctions historiques et avec une rapidité inédite envers la Russie. Collectivement, les 27 États membres ont par ailleurs accordé à l’Ukraine le statut de candidat à l’adhésion à l’UE, répondant à l’aspiration européenne des autorités et de la population ukrainiennes.
Face à la crise alimentaire résultant des entraves des forces russes à l’exportation 20 millions de tonnes de céréales collectées d'Ukraine vers des pays du monde, y compris le Maroc, l’Europe s’est également mobilisée pour transporter des céréales par voie terrestre, et la France a proposé l’initiative française «FARM», endossée par le Conseil européen, consistant à apporter une réponse opérationnelle à l’aggravation de la crise alimentaire mondiale dans le contexte de la guerre en Ukraine.
Dans le cadre de la pandémie de Covid-19, la France a été dès le début l’un des acteurs les plus actifs de la réponse internationale sanitaire. Convaincue que la réponse devait être multilatérale, elle a été le fer de lance de la création de l’initiative ACT-A, et de la facilité COVAX, dont a d’ailleurs bénéficié le Maroc. Elle a été le premier pays à donner des vaccins via la facilité COVAX dès avril 2021, canal par lequel nous continuons à livrer la majorité des doses au bénéfice d’autres pays. La France a aussi été à l’origine de la création d’ACT-A, qui vise à permettre le développement, la production et l’accès équitable aux produits de santé contre la Covid-19 et à renforcer les systèmes de santé, et contribue à ses objectifs à hauteur de plus d’un milliard d’euros sur la période 2020-2022.
Cet engagement s’est notamment traduit par des initiatives concrètes en faveur de l’Afrique dans le contexte de la pandémie de Covid-19. La France a ainsi assuré la livraison de 37 millions de dons de doses dans 38 pays africains, via la facilité COVAX et sous forme de donation directe. La moitié des doses livrées par la France ont ainsi été à destination de l’Afrique. Plus largement, l’Union européenne s’est engagée à faire don de 700 millions de doses aux pays les plus vulnérables, dont plus de 120 millions ont été livrées en Afrique par les États membres.
En matière de lutte contre les changements climatiques et de préservation de l’environnement, la France a continué à prendre sa part de responsabilité, comme elle l’avait fait au moment de l’Accord de Paris, en organisant notamment l’One Ocean Summit qui s’est tenu du 9 au 11 février 2022 à Brest et auquel auquel le Chef du gouvernement, M. Aziz Akhannouch, a participé. Ce rendez-vous a permis la définition d’engagements pour la préservation de la biodiversité, l’arrêt de la surexploitation des ressources marines, la lutte contre les pollutions et l’atténuation du changement climatique.
Historiquement et culturellement, le Maroc et la France sont très proches et partagent nombre de valeurs. Du coup, beaucoup de Marocains choisissent de faire leurs études dans les écoles dites de missions françaises. Mais les frais de scolarité ne cessent de grimper d’année en année. Ne pensez-vous pas que cela entrave l’essor de l’enseignement français et la promotion de la langue française au Maroc ? Comment faire pour remédier à cela et surtout pour ne pas priver les francophiles les moins nantis de la chance d’accéder à un enseignement français ?
Les frais de scolarité augmentent chaque année dans tous les établissements privés (qu’ils soient marocains ou relèvent d’ambassades étrangères), ce qui est logique du fait de l’augmentation générale des coûts (masse salariale, investissements…) et des effets de l’inflation. Dans les établissements du réseau scolaire français, cette augmentation est modérée avec un maximum de 5% (ce qui est inférieur même à l’inflation), et les parents sont fortement associés à la gouvernance. Ils participent à toutes les instances (conseil d’établissement) où est discuté le budget prévisionnel qui inclut les hausses éventuelles des frais de scolarité en toute transparence. Lorsque certaines familles marocaines rencontrent des difficultés durant la scolarisation de leur enfant, des caisses de solidarité peuvent les accompagner durant cette difficulté passagère. Il faut rappeler que durant la crise Covid, l’État français a accordé des aides aux familles marocaines pour un montant de plus de 600.000 euros, ce qu’aucun autre État n’a fait, pour maintenir la continuité pédagogique.
L’extension continue du réseau de l’enseignement français au Maroc atteste le fait que la population marocaine continue de faire confiance à notre modèle, ce dont nous nous réjouissons. Il existe aujourd’hui 45 établissements homologués (certains d’entre eux fusionneront d’ailleurs) et le réseau comptait 46.500 élèves à la rentrée de septembre 2021. En cette période de fin d’année, je félicite également les nouveaux bacheliers : le taux de réussite s’élève à plus de 99% au Maroc !
L’octroi des visas a été un des points de divergence en 2021 entre le Maroc et la France. La décision de la France de le réduire de 50% a été jugée par le Maroc «injustifiée». Cela pose des problèmes liés aux études et l’hospitalisation… en France. Comment cette difficulté pourrait-elle être surmontée selon vous ?
Au cours de ces dernières années, les éloignements de ressortissants marocains en situation irrégulière en France ont très fortement baissé, notamment en raison de difficultés liées à l’identification de ces derniers et à certaines exigences sanitaires (preuve de vaccination anti-Covid ou de test PCR négatif). C’est dans ce contexte que nos autorités ont pris la décision de réduire le nombre de visas accordés aux ressortissants marocains, mais aussi algériens et tunisiens, étant donné que des difficultés similaires étaient observées dans ces pays. Depuis le printemps 2022, des discussions à haut niveau ont lieu entre les autorités françaises et les autorités marocaines. Ainsi, la question de l’identification s’est nettement améliorée et un calendrier des réunions des groupes de travail sur les différentes thématiques a été défini.
Aujourd’hui, le traitement des demandes de visas obéit à une application rigoureuse des dispositions du Code communautaire des visas. Par exemple, les dossiers incomplets sont presque systématiquement refusés. Toutefois, les demandes de visas médicaux sont normalement instruites et les visas sont délivrés lorsque les dossiers sont complets (notamment sur la prise en charge des soins) et que le demandeur n’a pas de dette hospitalière en France. De même, la campagne étudiante, qui a déjà commencé, est traitée comme les années précédentes sans aucune volonté de pénaliser les étudiants. Les parents peuvent d’ailleurs déposer leurs demandes de visa afin d’accompagner leurs enfants. J’insiste sur la nécessité de déposer un dossier complet au regard des listes de pièces justificatives présentes sur France-Visas pour chaque type de visas et de ne pas se fier aux intermédiaires (les «officines») qui risquent d’inclure dans les dossiers des pièces frauduleuses qui pourraient conduire au refus de la demande.
Après la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté pleine et entière du Maroc sur le Sahara, beaucoup de pays ayant eu des positions peu claires sur cette question ont adopté des positions soutenant le plan d’autonomie sans équivoque (Allemagne, Espagne, Pays-Bas...). Or la France, qui a été depuis 2007 l’un des premiers défenseurs de ce plan, adopte toujours la même position. Qu’est-ce qui l’empêche de franchir un palier supplémentaire en adoptant une position plus claire sur la souveraineté du Maroc sur ses provinces sahariennes, notamment à la lumière des mutations géopolitiques profondes qui s’opèrent dans la région et le monde ?
Comme membre permanent du Conseil de sécurité, la France s’inscrit dans la ligne tracée par les résolutions du Conseil et dans le respect de la Charte des Nations unies. À ce titre, la France soutient l’action des Nations unies pour aboutir à une solution juste, durable et acceptée par tous. Elle considère à cet égard que le plan d’autonomie présenté par le Maroc en 2007 constitue une base sérieuse et crédible pour une solution négociée. La France est à cet égard, comme vous le relevez, l’un des tout premiers pays à avoir mentionné la contribution du plan marocain. Je ne peux que constater que cette position pionnière a depuis fait des émules. L’action de la France sur ce dossier ne s’arrête pas là pour autant. Au sein de l’Union européenne, la France a été partie et l’est à nouveau dans la procédure devant la justice européenne en soutien aux accords UE-Maroc en matière d’agriculture et de pêche. En outre, depuis 2012, deux écoles françaises sont présentes à Laâyoune et Dakhla, au bénéfice des populations locales en matière d’éducation.
Le 13 juillet 2022
Source web par : le matin
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