#AMDJGB_RNI : putsch par les urnes
Ahmed Osman affichait un sourire éclatant ce 3 juin 1977. Ce jour-là, la TVM diffuse sa première soirée électorale. La production est approximative, l’image monochrome et titubante. En direct, dans une salle du ministère de l’Intérieur, on procède à l’annonce des gagnants du scrutin législatif. A cet instant, les Indépendants obtiennent, selon les premiers dépouillements, 81 sièges sur 176, soit presque la majorité absolue.
Élu député à Oujda, Ahmed Osman, figure majeure de la politique marocaine et beau-frère de Hassan II, conserve son poste de Premier ministre. Le Rassemblement national des indépendants naît dans la foulée. Un peu moins de cinquante ans plus tard, un autre Indépendant mène ses troupes à la victoire : Aziz Akhannouch.
Avec 102 députés, la formation de “Ssi Aziz” caracole en tête du scrutin législatif, mettant fin à dix ans d’islam politique. La victoire des Indépendants est le fruit de plusieurs facteurs. D’abord, un maillage territorial optimal qui a permis au parti de bénéficier à plein de l’influence des notabilités locales, véritables symboles d’un clientélisme rural et urbain tentaculaire. Mobilisés pour le PAM en 2016, cette année, les notables ont exprimé une préférence pour le RNI.
Ensuite, il faut le souligner, le RNI a mené une campagne modèle. Le parti de la colombe a réinvesti le terrain grâce, notamment, à l’initiative 100 jours 100 villes. Dès 2018, une plateforme programmatique, intitulée “La voie de la confiance”, a permis au RNI de se positionner bien en amont du calendrier électoral. Bien sûr, les ressources considérables des candidats et la fortune de Aziz Akhannouch ont permis au parti d’avoir les moyens de ses ambitions, mais l’argent, facteur déterminant si l’en est, ne fait pas l’essentiel de l’élection.
Passons au PJD. Sa défaite est une spectaculaire déconfiture. Jamais dans l’histoire du royaume un parti n’avait perdu autant de sièges d’un scrutin à un autre. La déroute s’apparente à un putsch par les urnes, un coup d’Etat infligé par le peuple aux islamistes. Cet échec a bien des explications: incompétence dans la gestion des villes, impuissance face au Palais, inaptitude à moraliser la vie publique, hypocrisie au niveau des mœurs, tendance à avaler des couleuvres sans sourciller… Bref, la liste des tares est interminable.
Avec ses 13 sièges, le PJD ne peut même pas constituer un groupe parlementaire. Idéologiquement verrouillé, le parti ne s’est jamais ouvert sur les compétences extérieures. Tel une secte, il a placé les militants pur jus à des postes dépassant de loin leur seuil de compétences et prêté le flanc à l’échec. Là où le RNI peut puiser sans limites dans le réservoir de talents nationaux, quitte à encarter fissa un profil à fort potentiel, pendant dix ans les mêmes visages fréristes se sont succédé à la tête des ministères. Loin de se régénérer dans l’exercice du pouvoir, le PJD s’est fossilisé. Son attrait a diminué, notamment auprès des jeunes, qui ont constitué l’essentiel des 3 millions de primo-votants lors de ce scrutin très digitalisé.
Pour résumer: oui, le RNI, machine électorale bien huilée, a engagé des sommes prodigieuses (que certains qualifient d’indécentes) pour supplanter ses concurrents, mais cela n’exclut pas une organisation efficace et une mobilisation des troupes de longue haleine. Au tapis au moment du boycott, honni par le peuple à cause des marges indues sur les hydrocarbures, le président des Indépendants à su faire face à l’épreuve du feu pour rebondir.
Il a réussi ce que Ilyas El Omari avant lui a échoué à faire: tourner la page des islamistes. Au grand bonheur du pouvoir. Dont acte. Comme Ahmed Osman en 1977, Aziz Akhannouch, mission accomplie, peut désormais claquer un sourire satisfait. Pour l’instant du moins…
Source web Par : telquel
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