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Stratégie d’efficacité énergétique : d’importants retards à rattraper (III)

Stratégie d’efficacité énergétique : d’importants retards à rattraper (III)

Malgré les efforts consentis dans le domaine de l'efficacité énergétique, les résultats n'ont pas été au rendez-vous. Said Mouline pointe du doigt le flagrant manque de moyens, notamment financiers. Les experts, eux, mettent "l'échec" de cette stratégie sur le dos de la négligence de l'Etat et de la multiplicité des intervenants.

Dans cette troisième partie du dossier consacré à la stratégie énergétique du Maroc, Médias24 traite de l’efficacité énergétique (EE). Un des sujets pour lesquels les avis convergent vers le manque de résultats, mais pas pour les mêmes raisons.

Il y a d’un côté ceux qui prennent en compte les efforts consentis, durant cette dernière décennie et de l’autre ceux qui ne jurent que par le manque de bilan chiffré et détaillé de la contribution des programmes de l’EE dans l’atteinte de l’objectif fixé en 2009.

L’objectif de 12% d’économie non atteint

Rappelons qu’en 2009, le Maroc avait pour objectif de réaliser une économie d’énergie de 12% à l’horizon 2020 et de porter ce taux à 15% en 2030. L’objectif des 12% n’a pas été atteint. En cours de route, l’objectif a été revu et porté à une économie d’énergie de l’ordre de 20% en 2030.

Se pose alors la question : comment évaluer objectivement une stratégie en l’absence d’indicateurs précis ? Si l’on se base sur le seul objectif des 12%, la réponse est simple. La Maroc a échoué. Mais encore une fois, comme pour la stratégie solaire, un tel exercice est plus complexe qu’il n’y parait.

Il faut alors rentrer dans le détail de qui ce qui a été réalisé et comprendre les raisons pour lesquels les efforts fournis n’ont finalement pas permis d’atteindre l’objectif ultime d’économie d’énergie.

« Je pense que si la stratégie d’EE n’a pas trop avancé, c’est parce qu’elle ne dépend pas seulement du ministère de l’Energie ou de l’Agence marocaine de l’efficacité énergétique. Plusieurs acteurs et départements sont impliqués, sans véritable coordination », avance Driss Zejli, Professeur, spécialiste des énergies renouvelables et ex-président de la Société Marocaine de Développement des Energies Renouvelables (SMADER).

« De bonnes politiques ont été mises en place mais, malheureusement, leur application sur le terrain a  fait défaut. Je pense que si toute la stratégie dépendait d’un seul organisme, le résultat aurait été meilleur », ajoute notre interlocuteur.

Les pertes de l’Efficacité Energétique sont 8 fois plus importantes que celles de la stratégie solaire

L’expert en conseil stratégique dans le domaine des politiques énergétiques, Said Guemra a un avis plus tranché. « Sur les dix années passées, entre 2010 et 2020, aucun programme d’efficacité énergétique, qui est pourtant la priorité nationale, avec effet de baisse de la facture (et non des audits et des estimations) n’a été mené dans l’industrie et le bâtiment. L’agence chargée de l’efficacité énergétique (AMEE) a malheureusement un bilan nul dans ce domaine prioritaire », lâche-t-il.

« C’est très bien de faire des petits projets d’eau chaude par le solaire, mais ce n’est pas cela qui nous permettra d’atteindre nos objectifs », ajoute-t-il.

Pour notre expert, la perte en efficacité énergétique est huit fois la perte du projet solaire. « De par ses engagements internationaux en matière de changements climatiques, le Maroc s’est engagé à réduire sa consommation de 12% entre 2010 et 2020, pour une facture moyenne de 70 MMDH/an. Le gain aurait été d’environ 8 MMDH/an, soit huit fois la perte annuelle du projet solaire », détaille Said Guemra.

« L’EE a été négligée. Cette négligence a été une des grandes erreurs stratégiques commises ces dernières années par le Maroc », insiste l’expert.

A quoi doit-on le résultat constaté aujourd’hui ? Est-ce à une négligence de l’Efficacité Energétique de la part de l’Etat en faveur d’autres stratégies ? Quelles sont les explications de nos officiels?

L’intensité énergétique marocaine en baisse

Nous avons contacté le ministère de l’Energie et l’Agence Marocaine de l’Efficacité Energétique (AMEE) pour faire le point, sur ce qui a été fait et son impact sur notre consommation d’énergie.

Le Ministère n’a pas eu le temps de répondre à nos questions dans les délais impartis. Nous publierons ses réponses ultérieurement.

Pour l’AMEE, son directeur général Said Mouline a accepté de présenter son bilan. Mouline est aux commandes de cette agence et de ses ancêtres le CDER et l’ADEREE,  depuis 2009.

« Je ne suis pas d’accord avec les propos disant que peu de choses ont été faites sur l’efficacité énergétique. Ce n’est pas un seul grand projet pour lequel nous allons faire un appel d’offres et suivre son avancement. Réussir l’efficacité énergétique, c’est changer les comportements, changer les lois, et porter des milliers de petits projets. C’est pour cela que mesurer chaque action accomplie dans le cadre de la stratégie d’efficacité énergétique n’est pas facile », rétorque Said Mouline.

« Attention, quand on dit une réduction de 12% de l’énergie, cela ne veut pas dire que l’on doit consommer moins. Mais, cela veut dire que l’on doit consommer mieux. Parce que la réalité est que notre consommation par habitant est très faible, même en comparaison avec d’autres pays du continent. Il est donc normal que le Marocain consomme plus de d’énergie pour son bien-être. Maintenant, il faut l’aider à faire les bons choix et ne pas gaspiller l’énergie », poursuit le DG de l’AMEE.

« Cela dit, il faut voir comment a évolué l’intensité énergétique de notre pays ces 10 dernières années.  Elle a baissé et le Maroc est devenu le premier au Maghreb. Ce qui n’était pas le cas avant. Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’Agence internationale de l’Energie. La baisse a commencé à partir de 2012 », ajoute notre interlocuteur.

L’intensité énergétique est une mesure de l’efficacité énergétique d’une économie. C’est le rapport entre la consommation d’énergie et le PIB qui permet d’exprimer la quantité d’énergie nécessaire pour produire un point de PIB. Elle est généralement exprimée en tonne équivalent pétrole (tep)/PIB.

Selon les données de l’AIE arrêtées à 2018, l’intensité énergétique marocaine était de 0,23 en 2005. Elle a baissé à 0,19 en 2018.

« Avec le peu de moyens que nous avions, on s’est battu pour avoir des résultats », commente Said Mouline qui insiste justement sur le fait, que son agence n’a jamais pu bénéficier d’importants financements.

« Nous avons bataillé pour un fonds dédié à l’efficacité énergétique mais, nous n’avons pas réussi à l’avoir. Nous avons demandé une prime à la casse pour encourager le renouvellement du parc des vieilles voitures qui consomment beaucoup d’énergie, mais là encore les budgets n’étaient pas disponibles » poursuit le directeur général de l’AMEE.

« Il fallait mettre en place un fonds pour accompagner les politiques et les mesures décidées. Si nous avions instauré une prime à la casse, comme ce qui a été fait après pour les taxis, cela aurait pu changer la donne. Mais, on ne peut pas interdir les vieilles voitures alors que tout le monde n’a pas les moyens. Pour le cas des voitures dans le secteur du transport par exemple, il faudra à terme arriver à cette prime à la casse », explique Said Mouline.

La Tunisie, un cas d’école ?

« L’argument du manque de moyens est un classique. L’agence nationale pour la maitrise de l’Energie (ANME) en Tunisie ne dispose pas de plus moyens que l’AMEE, mais l’agence tunisienne a su se placer comme l’animateur central de l’efficacité énergétique dans l’industrie, le bâtiment, et les énergies renouvelables. Ils ont pu intéresser les banques pour être des acteurs principaux dans ce marché », réplique Said Guemra.

« En Tunisie, les projets d’efficacité énergétique sont suivis un à un, et l’agence tunisienne peut sortir le bilan des économies réalisées quasiment en temps réel. Quel bilan l’agence marocaine peut sortir ? En 1990, l’ANME comptait déjà 150 sociétés de conseil et de réalisation en matière d’efficacité énergétique, à ce jour le Maroc ne compte pas plus de 10/15 structures », interpelle-t-il.

Le directeur général de l’AMEE, lui, estime que l’agence a bien un bilan qu’il n’hésite pas à défendre. « Toute stratégie d’efficacité énergétique repose sur trois éléments : la réglementation, l’accompagnement technique et financier et la sensibilisation et la formation. C’est ce que nous avons essayé de mettre en place sur chacun des cinq grands secteurs qui consomment le plus d’énergie au Maroc : l’industrie, le transport, le bâtiment, l’agriculture, et l’éclairage urbain », explique-t-il.

« Des programmes ont été mis en place et cela n’a pas été décidé au sein de l’AMEE seule. On a organisé avec les banques de développement, les acteurs publics et privés, ce que nous avons appelé les états généraux de l’EE (en 2013, ndlr). Nous sommes ressortis avec 120 mesures pour l’ensemble des secteurs. Certaines recommandations sont de l’ordre réglementaire, ce qui ne nécessite pas beaucoup de moyens. Par exemple, nous avons mis en place la réglementation thermique du bâtiment définissant six zones climatiques », poursuit notre interlocuteur.

Sur le secteur du bâtiment, la réglementation thermique du bâtiment est devenue une obligation depuis ce début de 2021. Le document du bilan thermique est exigible dans le dossier de demande d’autorisation de construire.

« Ce n’est pas facile de convaincre tout le monde des changements à opérer. Il faut des mesures d’accompagnement, de la formation et de la sensibilisation. Avant de rendre obligatoire une réglementation, il faut s’assurer de son applicabilité sur le terrain », précise Mouline qui rappelle que grâce à un don de l’Union Européenne, huit projets respectant la réglementation thermique ont été réalisés dans tout le royaume avec en partenariat avec Al Omrane.

« Ce travail a été complété par la mise à la disposition des architectes d’un logiciel gratuit téléchargeable sur le site de l’AMEE, Binayat, qui permet de calculer le bilan thermique du bâtiment. Ce n’est jamais facile de changer des choses établies. Cette réglementation existe en Tunisie depuis plusieurs années, il y a pas de raison qu’elle ne puisse pas fonctionner au Maroc », commente le DG de l’AMEE.

400 MW pour le pompage solaire

Dans le secteur du transport, Said Mouline explique qu’il n’y avait pas de moyens pour opérer de grands changements, mais des actions ont été menées. « Nous avons demandé des moyens financiers pour accompagner l’efficacité énergétique dans le secteur du transport mais, les fonds ne sont pas disponibles pour le moment. Donc, on a fait avec les moyens disponibles pour mener les actions possibles notamment la sensibilisation, la  formation, la réglementation et la fiscalité », précise-t-il.

Parmi ces actions, Mouline cite le package fiscal qui a été mis en place pour encourager les véhicules électriques et hybrides. Il s’agit de la suppression des droits de douane, de la vignette et des taxes de luxe.

Il cite aussi le programme de formation à l’éco-conduite destiné aux entreprises de logistique ou disposant d’une importante flotte de véhicules. « La formation des chauffeurs à l’éco-conduite, peut permettre la réduction de 20% de la facture énergétique de l’entreprise ».

Dans le secteur de l’agriculture, un programme a été mis en place pour aider les agriculteurs à switcher des pompes diesel aux pompes solaires. « C’est un programme qui a d’abord nécessité la sensibilisation des agriculteurs car, c’est eux qui achètent pas nous », avance Said Mouline.

« On a formé des jeunes aux techniques d’installation et de maintenance des pompes solaires et ils sont installés au plus près des agriculteurs dans les zones rurales. Ensuite, le volet du financement a été assuré par  le Crédit Agricole qui a mis en place une ligne dédiée au pompage solaire. Sur ce programme, le bilan est clair, nous avons pu installer jusqu’à 400 MW grâce à plus de 40.000 pompes solaires installées. », poursuit le DG de l’AMEE.

« 400 MW de solaire décentralisé, ce n’est pas rien. C’est l’équivalent d’une centrale. Et ça a été financé totalement par les acteurs et les banques. Quand on a la sensibilisation, la formation et le financement, le résultat vient très vite par la suite », commente-t-il.

Sur l’éclairage public, Said Mouline explique que le Partenariat Public Privé (PPP) a donné des résultats mitigés. « On a quelques cas d’écoles qui fonctionnent et d’autres qui n’ont pas fonctionné parce que il y a pas eu de respect des contrats », avance-t-il.

« Il faut que les contrats soient respectés de parts et d’autres pour que ça marche parce qu’il est vraiment possible qu’un acteur privé reprenne l’éclairage public d’une ville et le rende plus efficace tout en se rémunérant sur l’économie d’énergie », insiste-t-il.

Un fonds de l’économie verte en gestation

En ce qui concerne le secteur de l’industrie, le patron de l’AMEE rappelle la mise en place de l’obligation de l’audit énergétique pour les établissements et les entreprises énergivores dont la consommation énergétique dépasse le seuil de 1.500 Tep pour le secteur industriel, y compris les entreprises de production de l’énergie, ou le seuil de 500 Tep pour le secteur tertiaire.

Dans ce domaine aussi, le financement a été assuré grâce aux organismes internationaux en collaboration avec le secteur bancaire marocain. « Le secteur financier marocain a joué le rôle pleinement. Toutes les banques disposent de lignes dédiées à l’efficacité énergétique. Ces lignes sont en train de se transformer en des lignes dédiées à l’économie verte », nous explique Said Mouline.

« Depuis que nous sommes passés sous la tutelle du ministère de l’Industrie, du commerce et de l’économie verte et numérique, on a développé avec Maroc PME un programme dédié aux TPE/PME qui accorde une subvention allant jusqu’à 30% de tout investissement dans l’économie verte », détaille notre interlocuteur.

« On aurait pu faire encore plus mais malheureusement il n’y a pas eu de fonds dédié à l’efficacité énergétique, comme il y en a eu pour les énergies renouvelables. On s’est battu pour avoir des fonds internationaux, on les a eu et c’est comme ça qu’on a pu faire ce qui a été fait jusqu’à maintenant », ajoute Said Mouline.

« On veut aller plus vite, c’est pour cela que nous sommes en train de travailler avec le ministère de l’Industrie et de l’économie verte sur la création d’un fonds dédié à la transition à l’économie verte. Le fonds est actuellement proposé à plusieurs bailleurs de fonds, et bien sûr aussi au niveau national avec le ministère des Finances », nous confie-t-il.

« Quand on a entamé la stratégie d’efficacité énergétique, la baril était à 100 dollars, donc on était à 100 milliards de dirhams de facture énergétique, 1 % d’économie c’était un milliard de dirhams.  1% d’économie aujourd’hui c’est 700 MDH. Ce qu’il faut absolument garder en tête, c’est qu’en efficacité énergétique, il n’y a pas de petites économies », conclut-il.

Le 28/04/2021

Source web Par : medias24

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