Réflexion sur la sécurité des laboratoires de recherche scientifique dans nos universités
En ce moment où le monde entier est touché par cette étrange pandémie du Covid-19 causée par le coronavirus SARS 2 (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère 2) et où plusieurs groupes de professeurs chercheurs biologistes microbiologistes, immunologistes, généticiens et autres ont répondu à l’appel d’offres du CNRST pour soumettre des projets de recherche en relation avec le Covid-19, il est important de rappeler que l’OMS a publié plusieurs éditions de son « Manuel de sécurité biologique ». Ce manuel incite tous les pays à accepter et à appliquer les concepts de base de la sécurité biologique et à mettre au point des recueils nationaux de directives pratiques ou codes de bonnes pratiques destinés aux laboratoires de leur territoire où sont manipulés des micro-organismes pathogènes.
Les questions qui méritent d’être posées sont : i) quel est l’état des lieux de nos laboratoires de recherche en matière de sécurité biologique ?, ii) quel est l’état des équipements de nos laboratoires ?, iii) quelles nouvelles formations ont suivi nos professeurs chercheurs et nos doctorants pour mener des recherches scientifiques sur des virus ou des particules virales ? Il m’est difficile de répondre à ce questionnement, car cela demande plusieurs enquêtes et des autorisations et un budget pour le réaliser. Mais ce qui est faisable en ce moment, c’est de rappeler certaines bases de la sécurité et de la sûreté biologique.
La sécurité biologique consiste dans la mise en œuvre d’un certain nombre de principes, de techniques et de pratiques de confinement visant à prévenir le risque accidentel d’exposition du personnel à des agents pathogènes ou à des toxines, ou encore de libération de telles substances.
La sûreté biologique consiste dans la mise en place d’un certain nombre de mesures d’ordre administratif et de gestion du personnel, en vue de réduire le risque de perte, de vol, d’utilisation à mauvais escient, de détournement ou de libération délibérée d’agents ou de toxines.
En ce qui concerne les micro-organismes manipulés dans les laboratoires et pour assurer une bonne sécurité biologique, on distingue quatre groupes de risque 1, 2, 3 et 4. Ils sont énumérés entre faible et important pour les individus ou la collectivité.
• Groupe de risque 1 (risque faible ou nul pour les individus ou la collectivité)
Micro-organisme qui, selon toute probabilité, ne peut causer de maladie humaine ou animale.
• Groupe de risque 2 (risque modéré pour les individus, faible pour la collectivité)
Germe pathogène capable de provoquer une maladie humaine ou animale mais qui ne représente vraisemblablement pas un sérieux danger pour le personnel de laboratoire, la collectivité, le bétail ou l’environnement. Une exposition en laboratoire est susceptible d’entraîner une infection grave, mais qui peut être traitée ou prévenue efficacement; par ailleurs le risque de propagation de l’infection est limité.
• Groupe de risque 3 (risque important pour les individus, faible pour la collectivité)
Germe pathogène qui cause habituellement une grave maladie humaine ou animale, mais qui ne se transmet généralement pas d’un individu à l’autre. Il existe un traitement et des mesures préventives efficaces.
• Groupe de risque 4 (risque important pour les individus comme pour la collectivité)
Germe pathogène qui cause habituellement une grave maladie humaine ou animale et peut se transmettre facilement d’un individu à l’autre, soit directement, soit indirectement. Il n’existe généralement ni traitement, ni mesures préventives efficaces.
Les laboratoires qui manipulent les différents groupes de risque microbien doivent assurer un niveau de sécurité biologique qui justifie leurs activités. Ces laboratoires sont classés sur la base de leur type d’organisation, de leur mode de construction, de leurs moyens de confinement et des appareillages du laboratoire ainsi que sur les pratiques et modes opératoires pour travailler sur les différents groupes de risque. En fonction de ces différents indices, les laboratoires sont désignés comme suit :
• Les laboratoires de base (niveau de sécurité biologique 1 et 2).
Dans ce groupe, on peut citer tous les laboratoires d’enseignement (niveau de sécurité biologique 1) et les laboratoires de recherche scientifique des établissements universitaires (niveau de sécurité biologique 2) qui manipulent les micro-organismes (laboratoire de microbiologie, laboratoires de génétique, ….). Ces laboratoires sont appelés à appliquer les bonnes techniques microbiologiques pour les premiers (niveau de sécurité biologique 1) et à utiliser des enceintes de sécurité biologique contre le risque d’aérosols, des vêtements protecteurs et des logos de risque biologique pour les second (niveau de sécurité biologique 2).
• Les laboratoires de confinement (niveau de sécurité biologique 3).
Ce sont des laboratoires de diagnostic spécialisé et/ou de recherche. En plus des exigences des laboratoires de niveau de sécurité 1 et 2, ils doivent utiliser des vêtements spéciaux, réglementer l’accès dans les locaux, appliquer un flux d’air dirigé, utiliser des enceintes de sécurité biologique (ESB) ou tout autres moyen de confinement primaire pour l’ensemble de leurs activités.
• Les laboratoires de confinement à haute sécurité (niveau de sécurité biologique 4).
Ces laboratoires manipulent des germes pathogènes dangereux. En plus des exigences du niveau de sécurité biologique 3, ils doivent installer un sas à air à l’entrée, une douche à la sortie et une élimination spécifique des déchets. Ils doivent être équipés d’enceintes de sécurité biologique (ESB classe III) ou combinaisons pressurisées utilisées avec une ESB classe II, des autoclaves à deux portes formant sas mural et l’air des locaux doit être filtré.
En suivant ces recommandations qu’on peut résumer en cinq points i) bonnes techniques microbiologiques, ii) systèmes de confinement appropriés, iii) installations bien conçues et agencées, iv) des équipements correctement utilisés et entretenus, v) personnel qualifié, ces laboratoires peuvent réduire au minimum les risques pour le personnel, la population, les animaux, les végétaux et l’environnement dans son ensemble.
D’après mon expérience de plus de 30 ans dans l’enseignement théorique et pratique de microbiologie et en tant que responsable d’une équipe de recherche dans ce domaine, je peux affirmer que nos laboratoires d’enseignement et de recherche ne répondent pas aux exigences des laboratoires de base (niveau de sécurité biologique 1 et 2). Et bien évidement aucun laboratoire de niveau de sécurité 3 ou 4. Toutes les expériences de pointe qui nécessitent beaucoup d’attention du point de vue sécuritaire sont réalisées en collaboration avec des laboratoires externes nationaux et internationaux.
En ces jours de confinement total, à cause de la maladie du Covid-19, loin de nos amphithéâtres et de nos laboratoires d’enseignement et de recherche, je ne peux que formuler certaines recommandations basées sur mes observations dans le but de classer nos laboratoires dans le niveau 1 et 2 de sécurité biologique : i) veiller au respect de l’application du code de bonnes techniques de laboratoire (manuel interne propre à chaque laboratoire), ii) limiter l’accès au personnel et aux visiteurs autorisés, iii) renforcer les mesures de protection individuelle (vêtement de protection, lieux d’entreposage des vêtements,…), iv) revoir le mode de gestion des appareils et des équipements (entretien, maintenance, gaz, électricité,…), v) revoir le mode de gestion des produits chimiques et du petit matériel (locaux sécurisés et bien équipés en étagères et placards sécurisés pour les produits dangereux,…), vi) veiller sur la propreté et la désinfection des locaux, vii) évaluer le risque avant l’introduction de tout nouvel agent microbien pour déterminer s’il faut revoir le niveau de sécurité biologique (passage à un niveau supérieur), viii) recruter des techniciens professionnels pour les laboratoires de recherche ou à la limite une unité commune pour la préparation, la stérilisation du matériel et la destruction des déchets contaminés, ix) prévoir des moyens financiers pour la formation continue des professeurs chercheurs, des doctorants et des techniciens, x) en plus de l’évaluation à mi-parcours des activités et de la production scientifique des structures de recherche accréditées, il faut instaurer un système d’audit biannuel pour renouveler cette accréditation.
Le respect de ces recommandations constitue un premier pas pour éviter des accidents de contamination par des agents dangereux qui pourraient échapper à tout contrôle.
* Professeur à la Faculté des sciences d'Agadir
Laboratoire de biotechnologies microbiennes et protection des végétaux
Université Ibn Zohr
Le 14/05/2020
Source Web Par Libération
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