La géolocalisation : contrôler le virus ou surveillance de masse ?
Les grands opérateurs se sont réunis lundi avec le commissaire européen au Marché Intérieur et au Numérique, Thierry Breton, pour collaborer dans « la guerre » contre le COVID-19. Résultat : ils partageront leurs données de localisation aux États européens. Si les opérateurs affirment que les données seront agrégées et anonymisées, ou encore que les données seront disponibles uniquement le temps de l’épidémie, rien n’est pourtant moins certain. C'est, par exemple, ce dont témoigne le fait que l'état d'urgence, institué en 2015 soit, encore aujourd'hui, maintenu.
Orange pour la France, Deutsche Telekom pour l’Allemagne, Vodafone pour la Grande Bretagne, Telefónica pour l’Espagne, Telecom Italia pour l’Italie, Telenor pour la Norvège, A1 Telekom Austria pour l’Autriche et Telia pour la Finlande et la Suède : Les grands opérateurs téléphoniques européens étaient réunis ce lundi avec le commissaire européen au Marché Intérieur et au numérique, Thierry Breton, pour collaborer dans la « guerre » contre le Covid-19. L’objectif affiché : ouvrir la voie à la collecte des données de géolocalisation au gouvernement.
C’est ce que confirme le président d’Orange, Stéphane Richard, à Europe 1. « Les données d’utilisateur sont d’ores et déjà partagées avec les autorités sanitaires, et notamment l’Inserm », précise le journal. Mais le patron d’Orange préfère rassurer : « la France n’est pas la Chine et l’Europe n’est pas la Chine. Les données sont agrégées et anonymisées, j’insiste parce que c’est important, il ne s’agit pas de suivre les individus mais de savoir comment les moyens hospitaliers doivent être dimensionnés et adaptés à l’échelle du territoire en fonction des mouvements de la population ». Ainsi, même si les opérateurs veulent insister sur la mise en place des « garde-fous », et qu’ils soulignent l’intérêt commun de cette mesure puisqu’il s’agit de « combattre » le virus ; les tenants et les aboutissants de cette collaboration restent inconnues au grand public. Somme toute, les méthodes expérimentées en Chine et internationalement tant critiquées semblent faire des émules dans les grandes puissances européennes : la transparence dont se targuent paraît alors un peu plus opaque qu’elle ne devrait.
Une méthode utilisée à l’internationale
En Europe, la Suisse voit déjà cette coopération se mettre en place entre l’opérateur Swuisscom et la Confédération. Il s’agit d’identifier les zones comptant au moins 20 cartes SIM dans un espace d’une superficie de 100 mètres sur 100 ; afin de déterminer si la population respecte l’interdiction de rassemblements de plus de cinq personnes dans l’espace public. Or comme le signalait Sylvain Métille, avocat spécialisé en protection des données, « la base légale que permet à l’OFSP de demander ces données, et qui respectivement obligerait les opérateurs à les transmettre, n’est pas connue. Le flou autour de ce projet m’inquiète. Si la situation était juridiquement claire, Swuisscom et l’OFSP communiqueraient sur ce projet ».
Et il rajoute, « Swuisscom peut, et a le droit de communiquer des données anonymes. C’est le cas si Swuisscom indique que pendant une semaine il y avait 300 personnes connectées à une antenne spécifique. En revanche, signaler qu’il y a 5 personnes en un lieu donné à un moment donné n’est pas une donnée anonyme, même si l’on ne connaît pas le nom ou le numéro de téléphone. C’est ce qu’on appelle une personne identifiable, que la loi et la jurisprudence reconnaissent clairement comme une donnée personnelle. »
C’est aussi le cas dans des pays tels que la Chine, Taïwan, Israël ou encore la Corée du Sud. Dans ce dernier, et comme nous le signalait Yeon-Hong lorsqu’une personne infectée est diagnostiquée à un endroit, l’information est communiquée aux citoyens par message, ainsi que l’ensemble de déplacements de la personnes infectée. Toutes les personnes ayant été en contact avec une personne infectée sont donc testées à leur tour, et les endroits (bureaux, magasins, bâtiments…) ayant été exposés sont fermés puis on y effectue une stérilisation. Si la Corée du Sud a réussi à maitriser pour l’heure l’épidémie usant notamment des tests massifs, cela s’est fait aussi moyennant des méthodes qui feraient sursauter en termes d’incursion dans la vie privée.
Surveiller les « mauvais élèves » pour la « sécurité de la nation » ?
La ministre de la recherche Frédérique Vidal a démenti tout projet d’utilisation du numérique à des fins de surveillance. Il s’agirait plutôt « d’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées », affirme l’Elysée ; une formulation laissant ouverte un certain nombre d’incursions dans la vie privée et dans les droits démocratiques. Et si c’est le caractère exceptionnel et temporaire de cette collecte qui est mis en avant, les moyens mis en œuvre pour s’assurer notamment que les opérateurs les détruisent annuellement restent pour l’instant une inconnue. L’exception pourrait-elle devenir la règle ?
Le fait même que cette mesure ait été incluse dans le projet de loi « d’urgence sanitaire » est plus qu’une indication. Comme l’affirme un site scientifique : « En France, un amendement au projet gouvernemental de loi d’urgence sanitaire du 23 mars, déposé par deux sénateurs de la majorité, avait été retiré alors qu’il proposait une mesure identique : « afin de faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19, et en particulier d’assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux, toute mesure visant à permettre la collecte et le traitement de données de santé et de localisation est autorisée pendant une durée de six mois, suivant la date de publication de la présente loi ». En fin de comptes, la collecte des données de géolocalisation a simplement pour objet la surveillance de masse d’un confinement d’un caractère de plus en plus ouvertement autoritaire, et s’inscrit dans la limitation progressive des droits démocratiques au nom de la sécurité nationale et du bien-être commun.
C’est que l’état de « guerre » contre le coronavirus fait en sorte que le gouvernement prenne une attitude de plus en plus autoritaire et martiale face à la population. Celle-ci, « mauvaise élève », ne respecterait pas le confinement : les cas de répression policière grandissent en nombre et en violence, les punitions aux passants sans justificatif se durcissent et vont jusqu’à devenir des peines de prison, la « vigilance » des rues des villages et des villes va jusqu’à justifier l’intervention de l’armée. Par ailleurs, il n’est pas anodin de noter que la présence des forces de l’ordre et leur violence sont majeures dans les quartiers populaires, où les « mauvais élèves » semblent être trop nombreux. Ainsi, non seulement ils individualisent la responsabilité de la propagation du virus, mais aussi tentent de montrer que l’incapacité des personnes à rester « sages » nécessite des mesures de plus en plus « protectrices » et radicales de la part du gouvernement.
Vouloir surveiller les mouvements des individus en utilisant les données de géolocalisation n’est qu’un pas de plus dans le chemin vers un pouvoir toujours plus autoritaire et répressif. Un cheminement légitimé par son « exceptionnalité », mais il suffit de se rappeler que l’état d’urgence instauré suite aux attentats avait été intégré dans la constitution pour voir quelle est la réalité de leurs mesures « extraordinaires ». Instaurer des mesures dites exceptionnelles afin d’ouvrir la voie au contrôle large de la population est une nouvelle offensive sur les droits démocratiques, comme le fait la nouvelle loi « urgence coronavirus » ; et peut même marquer l’instauration d’un régime de plus en plus bonapartiste où la surveillance de masse, mise en place au nom de la sécurité de la nation, pourrait devenir la norme.
On ne veut pas de 1984
La crise sanitaire et la gestion catastrophique des gouvernements montrent que ce n’est pas d’eux qu’on peut attendre une solution adéquate à nos besoins. Ils se montrent incapables de tester massivement la population afin d’avoir une radiographie réelle de la propagation du virus, mais sont les premiers à mettre en place des systèmes de contrôle liberticides qui annulent nos droits démocratiques. Leurs mesures ne sont évidemment pas pensées pour la majorité : pour ces femmes confinées avec leur maltraitant, pour ces jeunes précaires, pour ces travailleuses et travailleurs obligés de maintenir une activité non essentielle ou encore exposés au virus en raison d’économies sur l’équipement (des fois même invisible), pour ces nouveaux chômeuses et chômeurs récemment virés « car le corona », pour ces travailleuses et travailleurs de la santé endurant des journées sans fin dans des conditions indignes…
Pour une solution adéquate, et nullement orwellienne, face à la crise sanitaire (et ayant en vue la crise économique qui arrive) et pour éviter que le virus continue de se propager, il faut que cette classe travailleuse, et qui se trouve aujourd’hui au cœur de la « guerre » contre le coronavirus soit celle qui contrôle et décide de comment il faut utiliser son outil de travail. Nadia, machiniste à la RATP, le disait elle-même : « Le patronat et le gouvernement ne sont pas là pour notre bien-être, ils sont là pour leurs comptes, pour leurs profits. On peut le voir encore une fois, que ce soit pendant la grève ou maintenant pendant la crise, il y a les travailleurs d’un côté et les patrons de l’autre […]. Quand il s’agit de nos vies, de notre santé, de nos conditions de travail, c’est à nous d’aller les chercher parce qu’ils ne vont pas nous les donner. »
Le 04/04/2020
Source web Par revolutionpermanente
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