Taghazout la station «maudite»

La récente «colère royale» à Taghazout a mis les projecteurs sur cette station du Plan Azur qui peine à décoller. Mais ce n’est pas la première fois que la destination balnéaire voit ses projets tomber à l’eau. Retour sur la saga infortunée d’un site qui porte la poisse.
A quelques kilomètres d’Agadir se dresse le village de pêcheurs de Taghazout. Prisée essentiellement par les surfeurs du monde entier pour ses conditions favorables au sport de glisse, la destination a également attiré les investissements touristiques durant les 30 dernières années, sans qu’aucun n’ait pu réellement prendre.
Le soutien du prince
La saga commence avec la compagnie saoudienne, Dallah Albaraka, dont la filiale, Palais des Roses International, était un élément phare dans la station balnéaire dans les années 2000. Tenue par le richissime saoudien Cheikh Saleh Abdullah Kamal, Dallah Albarakah s’était positionnée sur Taghazout suite à l’intervention du prince Sultan Ibn Abdulaziz, ministre saoudien de la défense décédé en 2011 et grand amoureux du Maroc et d’Agadir en particulier où il avait fait construire son palais dans les années 1980. Bien avant le plan Azur, l’idée était en effet de valoriser la station en la confiant à un aménageur-développeur. Sauf que l’échec du groupe marocain Alliances, qui s’était associé à l’américain Bechtel, à réunir un tour de table solide vers la fin des années 1990 avait échaudé l’État qui a préféré s’en remettre au groupe saoudien présent au Maroc depuis le début des années 90 à travers l’industrie agroalimentaire et l’agriculture et qui bénéficie d’une renommée internationale et d’une forte assise financière. La convention est signée donc en 2002 devant le roi Mohammed VI par Palais des Roses International. Le message envoyé est fort puisque c’est le milliardaire saoudien qui s’engage en personne avec l’État marocain. Et les détails du projet suivent et ne font pas dans la demi-mesure: 35 hôtels totalisant 19.760 lits seront construits, dont un tiers en établissements de 5 étoiles, le tout couvrant une superficie totale de 1,5 million de m². Des espaces destinés à l’animation et au shopping sont également prévus ainsi que 25 grandes parcelles de résidences villas. Au total, 5 milliards de dirhams seront alloués à ce projet gigantesque dont la presse aussi bien nationale qu’internationale avait fait ses choux gras. Pourtant, deux ans plus tard, rien n’est fait ou presque. Les travaux sont à l’arrêt et des questions sans réponse commencent à semer le doute du côté marocain. L’une d’elles concerne l’apport en fonds propres de Dallah Albaraka qui se contente de 45 millions de dirhams. Une somme dérisoire pour aménager une station touristique, construire un hôtel et assurer son fonctionnement. Le délai de livraison du projet s’étire alors à ne plus en finir. Excédé par le retard enregistré, l’État met en demeure l’aménageur afin de se conformer à ses engagements pris. Une notification qui restera lettre morte. La convention est donc résiliée par Adil Douiri, ministre du Tourisme à l’époque, et la compagnie saoudienne est sommée de quitter les lieux.
Jamais deux sans trois
Malgré les deux déroutes, Taghazout n’est pas complètement abandonnée. Il faut dire que sur le papier, le projet reste très attractif grâce à la beauté exceptionnelle du site. L’État lance alors un nouvel appel d’offres auquel s’empressent de répondre des groupes marocains et étrangers. Le premier candidat est constitué de MHV, filiale de la CDG, CMKD (actuellement Al Ajial Holding, gestionnaire de la chaîne d’hôtels Farah), Attijariwafa bank, et Ynna Holding. Un méga-consortium aux reins solides mais qui sera relégué au deuxième plan face au groupe constitué de l’imposant fonds américain Colony Capital allié au tandem espagnol Satocan et Lopesan. Ce sont ces derniers qui sont derrière le Costa Melonera et la Villa del Conde, deux des hôtels les plus connus des Iles Canaries. Pour marquer le coup, l’américain double l’offre initiale et annonce des investissements de 10 milliards de dirhams et s’engage à réaliser dans les délais et en financement propre la totalité de la première phase. Cette promesse serait d’ailleurs derrière l’annonce du chiffre de 10 millions de touristes dans la vision stratégique du gouvernement. Rappelons que Colony Capital est un fonds qui gère 49 milliards de dollars d’actifs dans 20 pays. Pourtant, les choses ne se dérouleront pas comme prévu. En 2010, le fonds américain fait part de son intention de se retirer du projet. Justifiant sa décision par la profonde crise que traversent les États-Unis en 2008, Colony Capital n’aurait également pas du tout apprécié la gestion du dossier de la centrale électrique qui était prévu à Agadir (Cap Ghrir) et qui aurait fortement impacté par sa pollution l’attractivité du site. Finalement, la centrale sera délocalisée à Safi sans que le groupe américain ne revoie sa position. Le départ sera acté en 2011.
Le retour d’Alliances
Créée la même année pour accompagner le projet, la Société d’Aménagement et de Promotion de la Station de Taghazout (SAPST) verra son tour de table modifié au profit d’une présence plus forte du groupe Alliances qui reprend le projet sur instructions royales. Mais le groupe d’Alami Lazrak n’aura pas plus de chance que la première fois. En pleine crise de liquidités, le groupe immobilier est contraint de mettre en liquidation judiciaire ses trois filiales destinées aux travaux publics : EMT, EMT bâtiments et EMT routes. Ce qui l’oblige à se retirer du projet touristique et céder ses parts (20%) dans la SAPST. Et c’est finalement CDG développement et Sud Partners (consortium mené par Akwa group) qui ont repris à parts égales les 20% d’Alliances passant respectivement à 45% et 25% dans le capital de la société d’aménagement. Sud Partners avait d’ailleurs été spécialement créée en 2010 pour sauver ce projet après le départ de l’américain Colony Capital. Face aux diverses déconvenues, le projet devait absolument aboutir au point où tout a été pensé pour faciliter sa réalisation, notamment en permettant aux promoteurs immobiliers d’acquérir des terrains à prix cassés, allant jusqu’à 20 dirhams/m², selon une source bien informée, sans plus de réussite non plus.
Taghazout porterait-elle la poisse aux investisseurs? C’est ce que l’on pourrait croire, à en juger par les fiascos des noms à qui elle a été confiée à ce jour. La station balnéaire compte bien des infrastructures actuellement, mais celles-ci ne reflètent en rien la vision et les aspirations du royaume pour booster son activité touristique dans la région d’Agadir. À ce stade, l’on ne peut même pas parler d’une date de reprise ou de fin des travaux, puisque l’on risque de se retrouver, une fois de plus, dans un scénario d’échec, poussé par de nouvelles études pour trouver de nouveaux gestionnaires et la mise en place d’une nouvelle stratégie pour faire avancer les choses sur le terrain.
Le 09 Mars 2020
Source web Par Economie-Entreprises
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