Moins d’impôts, plus de boulots : au Maroc, la stratégie des zones franches
L’Afrique au défi de l’emploi (4/5). Pour attirer des constructeurs aéronautiques et automobiles, le royaume propose des avantages fiscaux, mais aussi une main-d’œuvre qualifiée à faible coût.
Il y a ces avions qui volent et atterrissent à l’aéroport Mohammed-V de Casablanca. Et, juste à côté, dans la zone franche de Midparc, ceux qui existent sous forme de pièces détachées. « Ici, on prépare l’extension de l’usine [du constructeur canadien] Bombardier », indique Aref Hassani, directeur général de ce vaste complexe situé en périphérie de la capitale économique du Maroc. A l’intérieur cohabitent 20 unités industrielles, à 75 % dans le secteur aéronautique.
Aref Hassani pointe du doigt un terrain vague. « Avant la fin de l’année, les travaux d’aménagement de l’extension de 62 hectares vont commencer, pour doubler la surface de la zone franche », explique-t-il. Cette zone d’activité en pleine croissance fait déjà travailler 2 500 personnes, essentiellement des opérateurs et techniciens. « Dans dix ans, on atteindra les 15 000 emplois », ambitionne Hamid Benbrahim El Andaloussi, PDG de Midparc.
Maillons indispensables de la politique d’accélération industrielle promue par le gouvernement, les zones franches se multiplient à travers le pays, de Tanger à Kénitra en passant par Rabat et Oujda. Les entreprises qui s’y installent bénéficient d’avantages fiscaux et douaniers, ainsi que d’aides administratives. Le Maroc mise sur cette stratégie pour attirer de gros industriels internationaux, comme Renault en 2012 et PSA l’été dernier, et ainsi créer de l’emploi. Une nécessité dans ce pays de 36 millions d’habitants où le taux de chômage des jeunes dépasse 25 %.
« Dans les zones franches, le nombre d’emplois s’élevait à 91 000 en 2017 », affirme Abdeljaouad Ezzrari, économiste au Haut-Commissariat au plan, citant des statistiques du ministère de l’industrie. Rien qu’entre 2014 et 2017, quelque 15 000 emplois ont été créés, précise-t-il encore. Selon la chercheuse Aïcha El Alaoui, l’impact commence effectivement à se voir, surtout à Tanger, dans la zone située à proximité de l’usine Renault et de Tanger Med, le premier port africain : « En plus des emplois directs, plusieurs activités développées autour de la zone franche créent des emplois indirects dans le logement, les services ou le transport. » Risque de « précarisation »
Se pose cependant la question de la nature de ces emplois. « Les entreprises internationales sont attirées par des emplois hautement qualifiés, mais à faible coût », s’inquiète Aïcha El Alaoui, évoquant un risque de « précarisation » face à des « jeunes diplômés chômeurs en concurrence, prêts à accepter toutes les conditions ». De plus, « ce sont souvent des contrats à durée déterminée, avec un taux de rotation très élevé », continue l’économiste.
A Midparc, les jeunes sortis de formation commencent avec un revenu mensuel de 3 200 dirhams (environ 300 euros), soit 600 dirhams de plus que le salaire minimum marocain. « Nous proposons des emplois stables à valeur ajoutée, avec des perspectives d’évolution », se justifie Hamid Benbrahim El Andaloussi. Et pour répondre aux critères internationaux, souligne-t-il, le Maroc a mis en place « des cursus de formation appropriés ».
En face de Midparc, de l’autre côté de la route, est installé l’Institut des métiers de l’aéronautique (IMA). Depuis son ouverture en 2011, plus de 3 200 jeunes y ont suivi une formation initiale d’opérateur ou de technicien. « Nous répondons aux besoins des industriels avec des formations sur mesure qui permettent d’insérer 99 % de nos étudiants », affirme Hamid Benbrahim El Andaloussi. « Nous recrutons parmi les jeunes qui ont un niveau bac + 2, sans emploi, pour les monter en compétences », explique Patrick Ménager, le directeur de l’IMA. Pour suivre la demande des entreprises, l’institut a déjà doublé de taille. Une formation équivalente existe dans le secteur automobile à Tanger et Kénitra, où sont implantées les usines de Renault et PSA.
Pour Hamid Benbrahim El Andaloussi, cette stratégie de formation est stratégique pour confirmer le Maroc comme un « acteur de la chaîne mondiale ». « Nous souhaitons tirer l’emploi vers le haut avec la création de nouveaux métiers qualifiés », continue le PDG, qui cite la fibre optique ou l’impression 3D. A terme, son objectif est de faire du royaume « une base de recherche technologique ».
Liste grise des paradis fiscaux
Le modèle des zones franches a pourtant poussé Oxfam à tirer la sonnette d’alarme, en avril. « La contrepartie demandée par l’Etat marocain est la création d’emplois, Renault en aurait créé environ 10 000, mais à quel prix ? L’Etat ne reçoit quasiment aucune entrée fiscale directe [du secteur automobile] », écrit l’ONG.
Ces incitations fiscales sont aussi dans le viseur des autorités européennes qui, en mars, ont maintenu le Maroc sur la liste grise des paradis fiscaux. « Le royaume s’est engagé à s’aligner sur les normes internationales et à en finir avec ce régime de zones franches, observe l’économiste Najib Akesbi. Pourtant, cette stratégie de sous-traitance internationale et de délocalisation émane de recommandations de cette même Union européenne. »
Dans le projet de loi de finance de 2020, présenté au Parlement lundi 21 octobre, le taux de l’impôt sur les sociétés basées dans les zones franches passe de 8,75 % à 15 % après la période d’exonération de cinq ans ; un délai qui ne sera plus accordé aux entreprises exportatrices créées à partir de 2020. La question est sensible pour le groupe PSA, « qui ne souhaite pas communiquer sur les “Free Trade Zones” tant que ce sujet figurera parmi les dossiers sensibles à régler entre le Maroc et l’Union européenne », a-t-il indiqué au Monde Afrique.
Le PDG de Midparc affirme quant à lui rester confiant malgré ces changements : « Les entreprises ne sont pas attirées par les avantages de l’offshore mais par un écosystème qui donne des solutions, notamment en termes de formation et de recrutement. » Un avis partagé par Najib Akesbi, qui cite d’autres facteurs comme le foncier, le port de Tanger Med ou la situation géographique du Maroc, aux portes de l’Europe. Selon lui, la stratégie d’incitation fiscale est d’ailleurs « un manque à gagner pour un impact négligeable, même en termes d’emplois ».
Sommaire de la série « L’Afrique au défi de l’emploi »
Malgré l’engagement pris à l’échelle internationale d’éradiquer d’ici à 2030 l’extrême pauvreté, l’Afrique concentre toujours plus de la moitié des pauvres du monde. Parce que cette bataille planétaire sera perdue ou gagnée sur le continent, Le Monde Afrique est parti explorer les solutions mises en œuvre, dans divers pays africains, pour tenter de venir à bout de la grande misère. Le troisième volet de notre série se penche sur le défi de l’emploi, alors que 450 millions de jeunes devraient venir grossir les rangs de la population active en Afrique au cours des deux prochaines décennies.
Le 24 octobre 2019
Source web Par le monde
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