11 novembre 1918 : Le rôle et les sacrifices des troupes indigènes de l’Armée d’Afrique
Le général Joffre décorant des tirailleurs marocains:
Le 11 novembre 2018 marque le 100ème anniversaire de l’armistice de la terrible guerre mondiale qui avait débuté en 1914.
Beaucoup de nos concitoyens, particulièrement les nouvelles générations, ignorent le rôle et l’immense sacrifice des soldats africains, lors de la Première Guerre mondiale.
Ces soldats « indigènes » en grande majorité musulmans constituaient le fer de lance de l’Armée d’Afrique.
C’est ainsi, qu’étrangement, vont participer à la Première Guerre mondiale en Europe des indigènes africains à qui on avait pourtant vanté la “haute supériorité de la race blanche”!
Ils seront mêlés aux batailles et aux massacres les plus terrifiants entre “blancs” et vont découvrir la folie auto-destructrice de cette “civilisation avancée”. Leurs régiments se verront plusieurs fois décimés et à chaque fois reconstitués.
Cependant, hormis quelques rappels éparses aucune cérémonie spécifique et régulière ne commémore leur participation à ce conflit de la Première Guerre mondiale.
Pourtant ces “oubliés” de l’Histoire ont contribué à marquer le cours des événements mondiaux, des hommes auxquels la France et l’Occident doivent beaucoup.
Naissance de l’Armée d’Afrique
L’Armée d’Afrique est née en Algérie. La plus ancienne unité est celle des Zouaves, viendront ensuite les Spahis, les Régiments de Tirailleurs, les Goumiers, les Chasseurs d’Afrique sans oublier la Légion étrangère créée à Sidi-Bel-Abbès.
Les soldats africains sont engagés à partir du Second Empire dans de nombreux conflits: - Campagne de Crimée 1854-1856 ; - Campagne d’Italie 1859 ; - Guerre de 1870-1871.
- Ils participeront de façon massive aux deux guerres mondiales, celles de 1914-1918 et de 1939-1945 et serviront encore en Indochine et en Algérie.
Durant ces 130 années d’existence de 1832 à 1962, que ce soit sous la Monarchie, le Second Empire ou la République et même quand la France paraissait réduite, occupée, humiliée, l’Armée d’Afrique lui est demeurée fidèle. Elle a vaillamment soutenu plusieurs guerres notamment quand la France fut envahie en 1870, 1914 et 1940.
A travers victoires et désastres, querelles intestines et changements institutionnels en métropole, l’Armée d’Afrique a toujours été l’ossature militaire de la France.
L’ensemble de ces guerres a coûté un million de vies humaines à l’Armée d’Afrique*.
Pourtant aujourd’hui encore, tout écolier français qui feuillette des manuels scolaires d’histoire n’y trouvera rien qui mentionnent leurs noms.
L’Armée d’Afrique durant la Première Guerre mondiale de 1914-1918
Il ne s’agit pas ici de refaire l’histoire de ces régiments d’Afrique mais de rappeler sommairement leur participation à la “der des ders “.
Les soldats africains sont engagés dès le départ en août 1914.
Pas moins de 32 bataillons sur 40 existants en Afrique du Nord avaient été envoyés en France.
Les Zouaves, les Tirailleurs, aux costumes colorés, défilent dans Paris au chant des « Africains » pour donner confiance aux Parisiens.
Mais rapidement ils sont lancés dans les combats où ils ont largement dépassé les espérances qu’on avait pu fonder sur eux. Leur héroïsme évita un plus grand désastre. Mettant fin à la dure retraite de 300km des troupes françaises, ils respectèrent sans faille l’ordre du général Joffre avant la bataille de la Marne : “Une troupe, qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer.”*.
Sur la Marne, les soldats de l’Armée d’Afrique essuient les premiers coups de feu et furent engagés dans cette terrible bataille : “En spéculant uniquement sur leur bravoure et leur esprit de sacrifice, sans leur accorder le soutien d’un seul groupe d’Artillerie de campagne.” (Général Joffre)*.
Leur discipline, leur bravoure, leur sacrifice contraignent l’armée de Von Klück à faire demi-tour et à abandonner la prise de Paris alors qu’elle ne se trouvait plus qu’à 40 km de la capitale. C’est la première retraite de l’armée allemande. La bataille de la Marne est gagnée. Les forces de l’Armée d’Afrique ont cruellement souffert des hécatombes.
Le chef allemand Von Klück écrira dans ses mémoires : “Que des hommes couchés par terre et à demi morts de fatigue puissent reprendre le fusil et attaquer au son du clairon, c’est là une chose avec laquelle nous n’avions jamais appris à compter, une possibilité dont il n’a jamais été question dans nos écoles de guerres.”*.
Après la Marne et l’Yser les régiments d’Afrique sont de toutes les offensives : - Artois mai et juin 1915 ; - Champagne 25 septembre 1915 ; - La Somme 1916 ; - Verdun 24 octobre et 15 décembre 1916, et 20 août 1917;- La Malmaison octobre 1917; -Puis en 1918 de toutes les batailles de la campagne de France.
Sur le Chemin des Dames, et à Verdun, les actions de l’Armée d’Afrique furent glorieuses.
En 1916 nous assistons à la première défaite allemande, le Fort de Douaumont est repris par le Régiment d’Infanterie Colonial du Maroc, le 4ème Régiment de Zouaves, le 4ème Régiment Mixtes de Zouaves et Tirailleurs et le 8ème Régiment de Tirailleurs algériens.
Le Père Teilhard de Chardin, jeune brancardier au 8ème R.T.A, a jugé cette bataille en se demandant : “Je ne sais par quelle espèce de monument le pays élèvera plus tard en souvenir de cette lutte.”*.
Bien que les chiffres ne soient pas très précis, sur les 475.000 hommes de l’Armée d’Afrique près de 200.000 étaient des musulmans d’Algérie, 50.000 Tunisiens, 35.000 Marocains, 130.000 Sénégalais, 30.000 Malgaches, 40.000 Indochinois et 3000 somalis. Pour les pertes algériennes, on parle de 56.000 morts, 80.000 blessés et 9.000 mutilés*.
Il se peut même que le soldat inconnu reposant sous l’Arc de Triomphe soit l’un d’eux.
A la fin de la Première Guerre mondiale, à laquelle pris part l’émir Khaled, officier saint-cyrien et petit-fils de l’émir Abdelkader, les emblèmes de l’Armée d’Afrique brillaient d’honneur bien gagnés : les 10 palmes, la fourragère double rouge et verte méritées par le Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc en faisait du fameux régiment RICM le plus décoré de France. Puis sur les 21 régiments s’étant vu décerner 6 citations à l’ordre de l’armée, pendant la guerre 14-18, on trouve 9 corps de l’Armée d’Afrique.
Rappeler cette histoire et l’enseigner :
Malheureusement, cette histoire, qui appartient à la mémoire collective, reste méconnue et n’est toujours pas véritablement enseignée. Pourtant, la France doit remplir ses obligations à l’égard de ceux qui l’ont servie avec honneur au prix de leurs vies.
Un pays quel qu’il soit est comptable des souffrances et des sacrifices qu’il impose à ses citoyens.
La commémoration des soldats de l’Armée d’Afrique devrait s’inscrire dans les traditions de la République car elle rappellera à la Nation que la présence et l’origine des musulmans de France sont fort anciennes et qu’ils ont rempli à son égard les obligations les plus terribles, mais aussi les plus nobles, celles des sacrifices et du sang versé pour sa liberté.
Il aura fallu attendre 90 ans après la terrible bataille de 1916 pour que soit inauguré en juin 2006 un monument à Verdun en hommage aux soldats musulmans.
Ce n’est aussi qu’en 2006 qu’a été officialisée une aumônerie musulmane. Celle-ci s’inscrivait pourtant dans l’histoire et la tradition militaire française car elle était pratiquée par des soldats musulmans instruits en religion même s’ils n’appartenaient pas à la catégorie des aumôniers et qu’ils n’avaient pas de signe distinctif religieux.
Ce n’est également que 90 ans après les effroyables hécatombes de 1917 qu’un monument en l’honneur des tirailleurs sénégalais a vu le jour en septembre 2007 sur le site du Chemin des Dames. Ces événements majeurs de 2006 et de 2007 ont eu pour mérite de rafraîchir la mémoire collective et de rappeler à la Nation le souvenir de la glorieuse Armée d’Afrique.
Devant les profanations répétées des tombes de ces soldats, le racisme, les discriminations, l’islamophobie et les exclusions de toutes sortes qui envahissent notre société et devant les troubles internationaux, il est crucial de faire appel à la mémoire et au souvenir de l’Histoire de France.
Le Général De Montsabert a écrit à propos de l’Armée d’Afrique : “ C’est une œuvre dont nous serons éternellement fiers”*.
* Universitaire, réserviste membre honoraire de l’armée, fils d’un ancien combattant de l’Armée d’Afrique qui avait été blessé au front en 1940 et qui avait participé au débarquement de Provence d’août 1944 durant la 2ème Guerre Mondiale 39/45.
*L’Armée d’Afrique 1830-1962. Général R.Huré, Editeur Charles Lavauzelle -Paris 1977.
Tirailleurs sénégalais
Tirailleurs algériens
Tirailleurs tunisiens en gare d’Austerlitz:
Mémorial musulman de Verdun:
Le 14 novembre 2018
Source web Par Libération
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