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Le Plan Biladi ou l’autre moteur en panne du tourisme marocain

Le Plan Biladi ou l’autre moteur en panne du tourisme marocain

Plus de 10 ans après sa mise en place, le Plan Biladi qui devait métamorphoser en quelques années le tourisme interne marche sur les brisées de son « grand frère » le Plan Azur (destiné au tourisme international). Qu’en est-il aujourd’hui pour ce Plan qui fait partie de la Vision 2020 de son objectif de créer une dizaine de stations (pour une capacité cumulée de 30.000 lits) et de faire croître de 10% par an les nuitées annuelles réalisées par les touristes nationaux ? A deux ans seulement de l’échéance de la Vision 2020, le bilan est-il déjà plié ?

Si la Cour des Comptes vient, très récemment, de clouer au pilori la stratégie de la promotion du produit touristique marocain à l’étranger conçue par les différents organismes publics concernés et notamment le Plan Azur qui en fut le pilier majeur depuis 2001 (année du lancement de la Vision 2010), l’action publique mise en place pour dynamiser le tourisme domestique et en faire un véritable moteur de ce secteur clef de notre économie et un amortisseur conjoncturel (quand le segment du tourisme international est en panne…et il arrive souvent qu’il le soit !) est loin, à son tour, de mériter des louanges. En effet, le Plan Biladi, l’autre pilier de la stratégie nationale du développement du tourisme, est à ranger également au rayon des politiques publiques ayant échoué lamentablement à atteindre leurs objectifs.

Un constat des plus amers si l’on sait que sous d’autres cieux, le tourisme local est une véritable aubaine pour la consommation intérieure et un catalyseur de l’investissement privé dans le secteur du tourisme (en améliorant substantiellement les taux d’occupation des hôtels et, par ricochet, la rentabilité des investissements sous-jacents). En France par exemple, pays assez comparable au Maroc en termes de contribution de l’activité touristique au PIB global avec un taux qui caracole à un peu plus de 7% (mais la comparaison s’arrête là !), les touristes nationaux génèrent les deux tiers de la consommation touristique (contre à peine le tiers pour le tourisme marocain) et pourtant, le pays est la première destination touristique mondiale depuis plus de deux décennies (près de 11,35 millions de touristes étrangers reçus en 2017) !

Dix ans après, quel bilan ?                                            

Revenons à ce fameux Plan Biladi lancé en fanfare en 2007. Quelle fut sa raison d’être? Quel bilan peut-on en dresser aujourd’hui ? Quelles similitudes et/ou différences avec le Plan Azur notamment en matière des causes d’échec ? Enfin, y a-t-il encore espoir de voir ce Plan rattraper le temps perdu d’ici son horizon final en 2020 ?

Avant d’apporter des éléments de réponse, il est de bon ton de rappeler que, conscients de la dimension stratégique que revêt le tourisme interne pour le pays, le ministère du Tourisme et l’ONMT (Office National Marocain du Tourisme) n’ont eu cesse de concocter bien avant le lancement officiel du Plan Biladi, et à plusieurs reprises, différentes initiatives destinées à promouvoir ce segment. Celle qui a le plus marqué les esprits et perduré dans le temps a été sans conteste l’opération Kounouz Biladi, initiée dans sa première édition en 2003. Cette « formule » consistait à fédérer des centaines d’établissements hôteliers (de différentes catégories) autour d’une offre promotionnelle à destination de la clientèle locale qui soit à la fois assez homogène et, autant se faire que peut, adaptée aux besoins de celle-ci. Après l’engouement des premières années, Kounouz Biladi a commencé à pâtir d’une adhésion de plus en plus déclinante de la part des hôteliers, à l’exception des années où la conjoncture internationale faisait tarir le flux des touristes étrangers et où on se tournait vers le tourisme local comme un bouche-trou. Et malgré les opérations coup de poing de la part de l’ONMT destinées à redonner un nouveau souffle à cette action emblématique de sa stratégie promotionnelle, à l’instar de celle de juin 2015 qui avait coûté plusieurs millions de dirhams au budget de cet établissement public, la donne n’a point changé.

Ce sont d’ailleurs les résultats à demi-teinte de Kounouz Biladi et le constat corrélatif de la non adéquation de l’offre existante standard (notamment des hôtels situés dans les villes orientées vers le tourisme international) avec les attentes et les besoins du voyageur marocain, qui ont poussé les stratèges du ministère du Tourisme à penser à un plan plus compact comprenant la confection d’une offre totalement nouvelle et mieux ciblée à grands coups de milliards de dirhams d’investissement dans de nouvelles zones et stations touristiques situées dans les principaux bassins d’attraction pour le voyageur marocain. Rien que les études préalables et les différentes enquêtes d’opinion censées aiguillonner l’Etat dans le ciblage des sites et le contenu de leurs offres, avaient coûté plus de 10 millions de dirhams à l’époque au ministère de tutelle.  Le nouveau Plan devait donc apporter une solution de diversification tant géographique que de clientèles, permettant ainsi aux opérateurs touristiques d’aboutir à une combinaison intelligente entre touristes résidents et étrangers. Il devait également contribuer au développement territorial des régions autres que les deux têtes d’affiche que sont Marrakech et Agadir où se concentraient l’essentiel des nuitées touristiques réalisées par les résidents, en favorisant la canalisation d’une part des richesses nationales vers les populations locales et en stimulant la pérennisation des emplois et des effets positifs induits sur les activités de transport et sur les autres prestataires de services (restaurants, commerces, artisanat …). Enfin, le Plan Biladi devait, à ce titre, agir de concert avec la Régionalisation Avancée que le Maroc avait annoncée (à quelques mois d’intervalle) comme réforme structurelle majeure sur les plans politique, socioéconomique, culturel et démographique.

Quant aux objectifs quantitatifs du Plan Biladi, ils ne furent guère du reste en termes d’ambitions en ciblant quelque 7,2 millions de nuitées à horizon 2010 (soit trois ans à peine après son lancement) et plus de 9 millions de nuitées en 2015 (contre 5,9 millions en 2003). Bien évidemment, l’augmentation substantielle de l’offre sur-mesure devait être au rendez-vous pour permettre une telle inflexion. D’où l’objectif assigné audit Plan, dans son volet inhérent à l’infrastructure, à savoir l’injection d’une capacité litière additionnelle de 30.000 lits dont 19.000 lits en campings et 11.000 unités en résidences hôtelières horizontales (chalets et villas) et verticales (hôtels et appart-hôtels). Le tout réparti entre huit nouvelles zones touristiques intégrées d’une superficie allant de 25 à 45 hectares chacune. Il s’agit de Nador (Ras El Ma près de Saidia), de Marrakech-Tensift-Al Haouz, de Tanger-Tétouan (Kaa Srass près d’Assilah), du Sous-Massa-Draâ (Immi Ouaddar près d’Agadir), de Rabat-Salé-Gharb (My Bousselham et Mehdia), de Doukkala-Abda (Lalla Aïcha El Bahria près d’Azemmour et Sidi Abed à El Jadida), de Fès-Meknès-Ifrane (Ifrane Ville) et de l’Oriental (Lazzanane). Et pour montrer la célérité et la détermination du ministère du Tourisme à aller rapidement de l’avant, les appels d’offres relatifs aux trois premières zones dont les dossiers étaient les plus avancés, en l’occurrence Sidi Abed à El Jadida, Lunja Village à Imi Ouaddar près d’Agadir et Farah Inn à Ifrane ont été rapidement lancés et attribués dans la foulée du baptême de feu de ce qui allait devenir quelques années plus tard Feu Plan Biladi !

Onze ans après, le bilan est bien famélique hélas. D’abord d’un point de vue strictement quantitatif, le taux de réalisation de l’objectif intermédiaire, à savoir les capacités litières additionnelles est des plus faibles (moins de 30% en moyenne pour l’ensemble des stations et 0% pour celles qui n’ont jamais vu le jour !). Quant à l’objectif final, à savoir rehausser substantiellement la part des touristes nationaux dans les nuitées totales réalisées par les établissements touristiques et hôteliers du Royaume, le constat est encore plus triste car si ce ratio était de 25% en 2002, il est même aujourd’hui bien inférieur à celui-ci !

Les raisons de l’échec

Que s’est-il donc passé dans l’exécution de ce Plan ? Comment est-on arrivé à une situation assez comparable (sans être probablement aussi scandaleuse) au fiasco du Plan Azur dont le taux de réalisation des capacités hôtelières initialement ciblées n’est que de 3% plus de quinze ans après sa mise en œuvre !?

Retour sur les faits. Entre avril et juin 2008, soit à peine quelques mois après avoir dévoilé le détail du Plan Biladi, l’Etat marocain avait déjà signé trois conventions d’investissement avec les adjudicataires dont quelques grosses pointures de l’investissement immobilier et touristique au Maroc telles que la CGI (bras armé de la Caisse de Dépôt et de Gestion dans l’immobilier) pour Lunja Village et CMKD (devenue plus tard Al Ajial) pour Farah Inn et Sidi Abed. Les travaux devaient démarrer en 2009 pour des livraisons prévues entre 24 et 36 mois plus tard. Seules deux stations, en l’occurrence Ifrane et Imi Ouaddar, parmi celles lancées initialement, finiront par voir le jour progressivement avec des retards sur le calendrier initial entre 1 an (pour Ifrane) et quatre ans (pour celle confiée à la filiale de la CDG). Quant à celle de Sidi Abed, dont l’aménageur concessionnaire a pourtant rempli son contrat à Ifrane (en l’occurrence CKMD), elle n’a pas pu voir le jour. Cause officielle : problème de foncier non apuré. Et pourtant si le ministère du Tourisme avait commencé par les stations précitées c’est en raison, semble-t-il, de leur situation foncière déjà assainie ! Par ailleurs, deux autres stations furent relancées plusieurs années après le premier bal du printemps 2008. Il s’agit de celle de Mehdia, toujours en cours de construction par SGTM Immobilier (filiale de SGTM, le leader marocain du BTP) depuis le lancement « Royal » de ses travaux en septembre 2012 en présence du roi Mohammed VI et de la station de Ras El Ma (dans la région de Nador) dont la convention de sa concession avec l’investisseur maroco-saoudien Asma Invest a été signée en décembre 2013. Depuis, la ville de Kénitra où le tourisme est moribond depuis des décennies et la région de Saidia qui cherche à consolider l’offre autour de sa station éponyme du Plan Azur (à une quinzaine de km de Ras El Ma) attendent toujours ces livraisons qui tournent à l’arlésienne.

Enfin, pour la majorité des autres stations, elles n’ont jamais trouvé de preneurs si tant que leurs appels d’offres aient été réellement lancés (aucune information ne filtre à ce sujet), ce qui enterre définitivement les chances du Plan Biladi d’atteindre ses objectifs 2020 (à deux ans seulement de cette échéance). Sollicité pour répondre à nos questions, le ministère du Tourisme à travers la Société Marocaine d’Ingénierie Touristique (SMIT), qui pilote le programme, s’est rétracté à la dernière minute. Mais si le constat de désolation est comparable à celui du Plan Azur, et hormis quelques cas du Plan Biladi où le blocage émanerait peut-être d’une situation foncière non assainie, les raisons profondes de cette énième débandade d’un plan stratégique pour le pays sont foncièrement différentes. Car si plusieurs stations du Plan Azur sont restées au stade de maquette ou d’avorton, c’est plutôt à cause des adjudicataires eux même qui furent défaillants (ou de ceux qui les ont sélectionnés !), quand ce ne fut pas l’Etat marocain qui a manqué à ses engagements en matière d’accompagnement (dessertes aériennes, prise en charge de la promotion et/ou des infrastructures hors site…). Alors que pour le Plan Biladi, c’est vraisemblablement le business model qui a été assez mal fagoté en cherchant à se soustraire à la logique de marché en imposant aux adjudicataires des prix fixes par catégorie d’offres. Certes, l’objectif de l’Etat concédant à s’assurer que les prix de commercialisation par le concessionnaire exploitant de la station soient accessibles et incitatifs pour le consommateur marocain se défend. Mais malheureusement, avec une grille évolutive allant de 100 à 150 DH la nuitée pour le camping jusqu’à 300 à 500 DH pour les résidences hôtelières horizontales en passant par la fourchette de 200 DH à 400 DH la nuitée pour les résidences hôtelières verticales, la recherche d’un optimum entre prix suffisamment attractifs et tarification soutenable pour les business plan des investisseurs s’est avérée infructueuse, voire catastrophique pour des stations souffrant à l’origine de la saisonnalité de la demande, à l’instar de celle d’Ifrane. Le concessionnaire de cette dernière, la Société d’Aménagement et de Valorisation d’Ifrane (filiale d’Al Ajial) a, d’ailleurs, essuyé jusqu’à présent près de 400 millions de dirhams (en moins de 5 ans d’exploitation !). Pour certains experts consultés, tant que l’offre du Plan Biladi n’est pas encore commercialisée de façon « industrielle », à l’instar du tourisme international de masse et ce, autour de la triade Établissement hôtelier–Tour Opérateur–Agence de Voyages (de plus en plus digitalisées), elle pâtira de sa conception par trop rigide et dirigiste.   

Au demeurant, le Plan Biladi incarne un autre projet vital pour l’économie nationale qui aura péché tant par sa conception, notamment dans le manque de subordination de celle-ci au réalisme économique et financier qui préside à toute réussite en matière de politiques publiques induisant des investissements conséquents, que dans son exécution avec un cafouillage dans le choix des sites en question et dans le travail préalable d’assainissement des assiettes foncières sous-jacentes.

Le 14 septembre 2018

Source web par: challenge

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