Pour survivre à l’IA, il nous faut repenser l’éducation
Dans 1 000 ans, si nous n’évoluons pas, nous serons dépassés par l’intelligence artificielle, martèle Laurent Alexandre dans les médias. Il va donc falloir s’adapter et réussir ce que nous avons toujours eu du mal à faire : augmenter notre capacité cognitive pour rester pertinents.
Nous avons rencontré le chirurgien urologue, cofondateur de Doctissimo et président de DNA Vision, une société de séquençage de l’ADN. Dans son essai La Guerre des intelligences (éd. JC Lattès) sorti début octobre, il traite, à grand coups de phrases choc, de notre point faible : notre système éducatif.
L’intelligence artificielle risque-t-elle de nous mettre au chômage ?
L’intelligence artificielle ne deviendra pas hostile car elle n’a pas, aujourd’hui, de conscience. Elle va rendre caduque une grande partie des tâches que nous faisons actuellement mais ne va, dans aucun cas, remplacer la totalité des activités humaines. Notre défi n’est pas de résister à l’IA, mais de construire une société juste autour de l’IA.
Dans cette économie de la connaissance qui est la nôtre, nous avons industrialisé l’IA sans démocratiser l’intelligence biologique. Cela a créé des écarts, bientôt insoutenables, entre les personnes capables d’être complémentaires de l’IA, de comprendre la data, et les autres, dont la force est le travail manuel.
Si vous êtes un petit génie de l’IA comme Anthony Lewandoski, vous gagnez 21 millions de dollars par an chez Google. Si vous êtes moins doué, que vous avez un QI faible, vous n’avez pas de diplôme, vous n’avez pas de boulot.
On voit en Amérique l’effondrement des blancs non diplômés : il y a une explosion des morts par overdose et une baisse de l’espérance de vie dans cette communauté. Ce n’était jamais arrivé en un siècle.
Nous devons trouver comment réduire ces inégalités pour éviter la crise sociale qui nous menace.
Est-on forcément perdu si l’on a un faible QI ?
Pour être complémentaire de l’intelligence artificielle, il faut avoir une intelligence transversale, multidisciplinaire, avoir un fort esprit critique. Toutes ces choses nécessitent une intelligence conceptuelle forte, façon politiquement correcte de dire QI puisque le sujet est tabou.
Ce serait une erreur de penser que l’empathie et les qualités émotionnelles sont déconnectées du QI. Si c’était vrai, on irait chercher pour des postes commerciaux des personnes avec un fort QE et un bas QI. On ne le fait pas. Les gens qui ont un fort QE ont statistiquement un fort QI, contrairement à ce qu’on prétend.
La société ne sait pas réduire les inégalités intellectuelles, alors elle en fait un tabou. La vérité, c’est que le niveau de QI de chacun est aléatoire, qu’on n’y peut rien. La seule technologie à notre disposition pour augmenter nos capacités cognitives est l’école, et elle a un impact très modeste et surtout ne sait pas réduire les inégalités intellectuelles.
L’école est une technologie qui fonctionne très bien sur les personnes à QI élevé, moyennement sur les personnes à QI moyen et dramatiquement mal sur les personnes à QI médiocre.
On peut améliorer les capacités intellectuelles des enfants en offrant une meilleure école, avec des professeurs de haut niveau, bien payés et bien considérés, comme à Singapour, mais notre marge de manœuvre n’est pas si forte que ça. Nous devons, au niveau global, chercher une nouvelle technique éducative.
N’est-ce pas ce que font les personnes qui développent des méthodes éducatives expérimentales, comme Montessori ?
Les enfants qui ont suivi une éducation Montessori ont une réussite professionnelle très supérieure à la moyenne mais il y a un biais : pour mettre son enfant dans une école Montessori, il faut être fortuné et bien éduqué. La qualité de l’enseignement Montessori a sans doute une responsabilité dans la réussite de ces enfants mais pas autant que leur statut social. Aujourd’hui, on ne sait pas ce que donneraient ces technologies éducatives si on les généralisait à toute la population.
L’éducation doit faire comme la médecine : tester les différentes méthodes et les évaluer de façon indépendante et contradictoire. Il faut prendre des échantillons de 100 000 enfants tirés au sort et leur enseigner les méthodes Montessori, Singapouriennes, etc. ainsi que les techniques traditionnelles, et voir les résultats dans un an, deux ans, cinq ans.
En médecine, avant qu’on se mette à évaluer rationnellement les médicaments, il y avait plus de médicaments inutiles et dangereux dans la pharmacopée française que de médicaments efficaces. Ca ne chagrinait pas plus les médecins d’hier que ça ne chagrine les enseignants aujourd’hui. L’école moderne fonctionne comme la médecine de 1920.
Faire ces changements nécessite un réveil politique et des années de recherche. Ce ne sera ni pour cette génération d’enfants, ni pour la suivante. Que se passera-t-il pour les personnes qui n’auront pas bénéficié de cette révolution éducative ?
Nous allons avoir une génération perdue, c’est une évidence.
Tout ce que nous pouvons faire, c’est être conscient des changements que va amener l’intelligence artificielle, comprendre comment, demain, nos enfants devront penser pour lui être complémentaires. Le rôle des parents en 2018 est de les envoyer là où l’IA ne sera pas.
Il faut de toute urgence chercher des solutions et pour cela s’engager dans la recherche en pédagogie.
On dépense des milliards dans la recherche médicale, mais combien a-t-on dépensé en neuroscience pédagogique ? Il va falloir investir des dizaines de milliards de dollars pour comprendre comment on peut aider des enfants à QI médiocre à grimper l’ascenseur cognitif.
Mais vous dites vous-même que le pouvoir de l’école restera limité, n’y a-t-il pas une autre solution ?
On peut espérer qu’à moyen terme les puces neuronales imaginées par Elon Musk [ndlr : qui permettraient d’augmenter nos capacités cognitives] pourraient réduire les inégalités. Mais aujourd’hui, ces technologies n’existent pas, Neuralink, l’entité qui travaille dessus, n’est qu’une entreprise de recherche. On est sur de la spéculation, sur un pari qui laisse dubitative une grande partie de la communauté scientifique.
Ce qui est sûr, c’est qu’à terme, nous allons faire de la neuro-augmentation. Cela me paraît absolument indispensable.
Portrait de Laurent Alexandre par Gérard Dolidon
Le 16 février 2018
Source web par: Helloopenworld
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