Au Maroc, un barrage débordé par la sécheresse
Le barrage de Bin el Ouidane, en 2010. Photo Wikipedia Commons
A Bin El Ouidane, dans le Moyen-Atlas, la retenue d'eau est quasiment vide et ne permet plus d'irriguer les cultures. Les exploitants les plus riches forent pour atteindre les nappes profondes tandis que les petits agriculteurs prient pour l'arrivée de la pluie.
Les feuilles ont commencé à jaunir. Mohammed est sorti dans son champ pour inspecter une nouvelle fois ses grenadiers. Depuis plus de six semaines, cet agriculteur d’une cinquantaine d’années doit se passer de l’eau du barrage de Bin El Ouidane, dans les montagnes du Moyen Atlas qui bordent Béni-Mellal, l’une des premières régions agricoles du Maroc, à 220 kilomètres au sud-est de Casablanca. Rempli à seulement 16%, c’est le barrage le moins performant du royaume chérifien.
Tout comme les canalisations de béton qui serpentent dans les plaines pour irriguer plus de 100 000 hectares de betteraves, céréales ou arbres fruitiers, celles qui encerclent les cinq hectares de Mohammed sont vides. L’agriculteur scrute le ciel. Faute de puits, ses cultures sont dépendantes de la pluviométrie. Les premières gouttes sont tombées six jours après les prières pour «implorer la pluie» ordonnées par le «commandeur des croyants», le roi Mohammed VI. Tout est bon pour conjurer la sécheresse qui sévit au Maroc depuis la fin de l’été. Les conséquences peuvent être désastreuses alors que le royaume dépend de l’agriculture. Ce secteur, qui draine 88% de la consommation d’eau du pays, fait vivre 40% de la population et représente 15% du PIB.
Les relevés menés depuis les années 60 montrent un phénomène de réchauffement climatique – jusqu’à quatre degrés – conjugué à une baisse du niveau des précipitations annuelles, selon différentes études universitaires. Cette saison, la culture céréalière, qui occupe une place prépondérante dans la production agricole, est la plus menacée. La sécheresse pourrait contraindre ce pays de 35 millions d’habitants à importer massivement des céréales.
Barrage en voûte
En suivant les canalisations sèches remplies de déchets et de terre, on grimpe dans les montagnes pour atteindre l’immense barrage en voûte construit en 1953 sous le protectorat français. «En vingt ans, je ne l’ai jamais vu aussi vide», décrit Hicham, chauffeur de taxi collectif. Derrière son épaule, des milliers d’hectares agricoles s’étendent à perte de vue. De l’autre côté, autour du lac, la délimitation est nette entre la flore habituée au dur soleil de décembre et les parois vides d’eau qui sèchent jusqu’à en faire craqueler la terre.
«Sans être dans une phase critique, nous sommes dans une phase de surveillance car il n’a pas plu ni neigé suffisamment depuis deux ans. Les orages pourraient encore minimiser les dégâts», espère M’hamed Riad, président de la Chambre d’agriculture de la région de Béni Mellal-Khénifra. Puisque le barrage est aussi utilisé pour l’électricité et l’eau potable, l’irrigation subit des restrictions dès que l’eau disponible est inférieure aux prévisions. «Le plus important est de garder au moins trois ans de réserve d’eau potable dans le barrage», explique-t-il.
Les terrains dédiés à la betterave sucrière ont été réduits de 16 000 à 13 500 hectares. «Le rendement sera beaucoup moins élevé du fait du manque d’eau», se désole celui qui est aussi exploitant agricole. Il anticipe une «réduction d’environ 10%» de la production de blé. «Nous devrions diminuer la luzerne, le blé et le maïs pour se diriger vers des plantations qui consomment moins d’eau et qui ont une grande valeur ajoutée comme le caroubier.»
Plan Maroc Vert
Sacs bleus sur l’épaule et chapeau de paille sur la tête, des cultivateurs foulent déjà leurs terres fraîchement labourées pour y jeter à la main les semences de blé. «J’ai de l’espoir grâce aux dernières pluies mais ce n’est pas suffisant pour que cela pousse», explique Abdelrahim, qui possède trois hectares dans la montagne, au-dessus du lac asséché.
«Utiliser le goutte-à-goutte permet aussi d’économiser jusqu’à 40% de sa consommation d’eau, ajoute M’hamed Riad. Pour les agriculteurs qui possèdent moins de cinq hectares, 100% de l’installation est remboursée par l’Etat.» Ce système est promu par le Plan Maroc Vert (établi en 2008) qui vise à améliorer les moyens de production et les revenus des petits agriculteurs. Mais beaucoup de paysans sont dépourvus de titres fonciers et ont du mal à décrocher les fameuses subventions.
Nappes profondes
M’hamed Riad n’entre pas dans cette catégorie. Il parcourt au volant de son SUV aux pneus remplis de terre ses 400 hectares de cultures verdoyantes. L’agrobusinessman est à la tête d’une exploitation familiale qui pèse plus de 2 milliards de dirhams (178 millions d’euros). Il vient vérifier que l’eau coule bien dans les kilomètres de tuyaux noirs qui passent dans les rangées de betteraves, maïs et orangers. Pour irriguer ses parcelles, il a foré par deux fois en 2015 à plus de 300 mètres, pour atteindre les nappes profondes. Grâce à des pompes installées à mi-chemin, il récupère l’eau dans d’immenses bassins qui peuvent irriguer 120 hectares. Un investissement de 20 millions de dirhams (1,7 million d’euros) par forage.
Selon un rapport de la FAO daté de 2011, les sécheresses répétées dues au manque de pluie et la diminution des apports des barrages ont conduit à la surexploitation des nappes souterraines depuis les années 80. «Au lieu de creuser à 5 ou 10 mètres, comme à l’époque, il faut maintenant aller à 50 ou 60 mètres pour trouver de l’eau», observe Mohammed, le producteur de grenades, qui préside une association locale d’irrigation. Or forer si profond et puiser dans les nappes coûte bien plus cher que de s’alimenter avec l’eau du barrage. Les rendements seront aussi moins élevés. «Cette année je vends les carottes 4 dirhams le kilo au lieu de 2 ou 3 dirhams l’année dernière», explique Abdelhak, vendeur de légumes au souk d’Afourer, petite ville sur la route de Bin El Ouidane. Un signe avant-coureur. Les agriculteurs préviennent qu’il faut s’attendre à une forte hausse des prix de leurs produits.
Le 27 Décembre 2017
Source Web : Liberation
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