Exécution des jugements: Le Médiateur du Royaume ne trouve pas de mots assez durs contre l'Administration
Abdelaziz Benzakour, Médiateur du Royaume nommé par le Roi le 18 mars 2011
Dans son rapport 2016, le Médiateur a durci le ton sur le sujet de l'inexécution des jugements prononcés à l'encontre de l'Administration.
"Nous ne pouvons pas répéter chaque année qu'un jugement est inutile lorsqu'il n'est pas exécuté". Comme un air de lassitude. La phrase émane d'une institution constitutionnelle: Le Médiateur du Royaume a adressé son nouveau rapport au Roi (publié au Bulletin officiel). L'inexécution des jugements par l'Administration est, encore une fois, présentée comme l'inconduite administrative par excellence.
En 2016, le Médiateur a reçu 129 plaintes pour ce motif. Un chiffre inférieur à celui des plaintes à caractère administratif (1369), de celles relatives au foncier (407) ou aux litiges financiers (226). Mais en terme de symbolique, le sujet mérite qu'on s'y attarde. C'est l'essence même de la Justice qui est remise en question.
En ce sens, le Médiateur évoque "un point faible" qui entache non seulement "notre Administration", mais aussi "notre système judiciaire" en entier, "en ce qu'il vide le contentieux de son substrat, de son efficacité et de son utilité".
"Il est vrai que tous les premiers ministres et Chefs de gouvernement ont émis des circulaires sur le sujet, mais y a-t-il eu des effets concrets ?", s'interrogent les rédacteurs du rapport.
Tout en reconnaissant "la complexité des procédures" inhérentes à la comptabilité publique, l'Institution ne manque pas de rappeler que "se soustraire à l'exécution d'un jugement en usant de prétextes dont la fragilité est visible à l'œil nu, c'est inadmissible".
Quant à l'excuse de "la faiblesse des crédits alloués", la responsabilité incombe non seulement à l'administration concernée, mais aussi à "l'auteur de la loi de Finances ainsi qu'à la personne chargée de répartir la masse budgétaire". Ces derniers sont tenus de prendre en considération le caractère obligatoire des dépenses liées à l'exécution des décisions judiciaires, qui doivent être programmées à titre prioritaire", souligne le Médiateur.
L'image d'un Etat insolvable
Le rapport rebondit sur un sujet d'actualité: Face à des administrations récalcitrantes, les juridictions ont de plus en plus recours à l'exécution forcée. "La saisie des fonds publics auprès du Trésorier général ou de la Banque centrale" sont fréquentes et c'est l'image de débiteur public qui en pâtit.
"Il est temps (…) d'immuniser l'Etat contre la croyance de sa réclacitrance, de l'insuffisance de ses crédits, voire de son insolvabilité. L'Etat n'en a pas besoin", tranche le Médiateur. Cette instance appelle à la création "d'un mécanisme" dédié à l'exécution des jugements, placé sous "l'autorité ou la tutelle du Chef du gouvernement ou du ministère des finances, et ce, en coordination avec l'Agence judiciaire du Royaume".
Le Médiateur peut saisir la primature, ou le parquet
En attendant, l'instance présidée par le Bâtonnier Abdelaziz Benzakour peut utiliser ses mécanismes propres. Même si leur efficacité demeure relative. Le Médiateur a un pouvoir d'enquête, pas de sanctions.
Cela dit, il peut, "lorsqu’il apparaît que le refus de l’exécution d’une décision de justice irrévocable rendue à l’encontre de l’administration est dû à la position injustifiée d’un responsable, d’un fonctionnaire ou d’un agent de ladite administration ou que l’intéressé a manqué à son devoir d’exécution de ladite décision", soumettre "un rapport spécial au Premier ministre, afin de prononcer les sanctions qui s’imposent et de prendre les mesures nécessaires à l’encontre de l’intéressé". (Art 32 du Dahir portant création de l'institution du Médiateur).
Option plus radicale, la voie judiciaire: "Le Médiateur peut adresser à l’administration concernée une recommandation pour engager la procédure disciplinaire et, s’il y échet, une recommandation de transmettre le dossier au ministère public, afin de prendre les mesures prévues par la loi contre le responsable, le fonctionnaire ou l’agent dont la responsabilité des faits précités est établie." (art 32 alinéa 2).
Se faire connaître
Durant l'année 2016, le Médiateur du Royaume et ses différentes délégations ont reçu 8.281 réclamations, plaintes et doléances de la part des citoyens. Ce chiffre concerne toutes les requêtes, abstraction faire de la nature du litige.
Les plaintes concernent de nombreux secteurs dont l’Intérieur, les Collectivités Territoriales, l’Economie et les Finances, l’Education Nationale et la Formation Professionnelle, l’Enseignement Supérieur, l’Emploi et les Affaires Sociales, l’Agriculture et la Pêche Maritime, l’Habitat et la Politique de la Ville, l’Energie et les Mines, l’Eau et l’Environnement, l’Equipement le Transport et la Logistique, et enfin la Défense Nationale.
Fait intéressant, "à l'instar des deux années précédentes, les plaintes et doléances correspondant à la compétence de l'institution ne présentent qu'un taux limité de 27%, soit 2.286, avec une amélioration de 2,2% en comparaison avec l'année 2015", précise le rapport.
En parallèle, le nombre des plaintes et requêtes qui, au vu de leur objet, nature ou parties concernées, n'entrent pas dans les compétences du Médiateur, est estimé à 5.995. En 2015, ce chiffre s'établissait à 6.206, soit une baisse de 3,4%.
"Ces résultats appellent le Médiateur à davantage d'ouverture, de communication et de proximité avec les citoyens", de manière à leur permettre une meilleure connaissance des instances habilitées à recevoir leurs plaintes, concèdent les rédacteurs du rapport. Se faire connaître pour ne plus se répéter, c'est probablement le chantier majeur d'une institution si importante, mais si discrète.
Le 02 Octobre 2017
Source web par Médias 24
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