A Marrakech, quand la bourgeoisie marocaine construit des musées plutôt que des golfs

L’entrepreneur Mohamed Alami Lazraq a conçu son musée Al-Maaden comme un écrin artistique. L’exposition inaugurale, « Essentiel paysage », fait un lien entre les différentes influences artistiques africaines.
Une oeuvre de Mohamed Tabal de l’exposition « Essentiel paysage » du musée Al-Maaden de Marrakech
Il y a trois ans, Mohamed Alami Lazraq voyait grand. « Certains doivent se dire que je suis fou, nous avait alors confié le patron du groupe immobilier marocain Alliances, un homme sec et pressé, collectionneur d’art depuis quarante ans. Comme je ne m’imagine pas vendre une seule œuvre, et que je ne peux pas tout exposer dans mes bureaux, j’ai pensé à un musée ». Pas un petit musée: 6 000 m2 consacrés à l’art contemporain africain, construit au carrefour de trois terrains de golf, en face du « resort » Al-Maaden à Marrakech.
Un concours avait été lancé dans la foulée, gagné par le cabinet d’architectes espagnol Nieto Sobejano. Mais la crise est passée par là. Accusant une baisse de chiffre d’affaires de 31 % en 2014, le magnat marocain a dû liquider trois sociétés de son pôle construction et restructurer un groupe fortement endetté. Plus question d’acheter de nouvelles œuvres. Encore moins de se lancer dans une infrastructure coûteuse.
Les revers de fortune ont moins émoussé le désir de Lazraq qu’ils ne l’ont redimensionné. Exit les ambitions pharaoniques. Place à un écrin de 900 m2, aménagé par l’architecte français Jean-François Bodin dans ce qui était jusqu’en juin 2016 un bureau de ventes à Al-Maaden. « On a besoin d’un projet qui réussisse, pas d’un projet qui soit plus grand que nos capacités, plaide Mostafa Aghrib, le directeur du musée. Je préfère de loin consacrer le budget à l’éducation et à la consolidation d’une communauté, que de dépenser l’essentiel de l’argent en maintenance. »
Pédagogie
Nommé en octobre 2016, ce dernier n’a que ce mot à la bouche : éducation. « Il faudra réinventer un autre langage et ne pas baratiner les élèves avec un vocabulaire sophistiqué, déclare-t-il. On veut que les jeunes prennent confiance en eux, qu’ils ne soient pas impressionnés. »
Pierre Bodo, « Femme surchargée », figure dans l’exposition « Essentiel paysage » du musée Al-Maaden de Marrakech.
Parler pédagogie dans un golf huppé peut faire sourire. Difficile d’imaginer un habitant du quartier populaire de Sidi Youssef Ben Ali surmonter facilement le regard scrutateur du portier à l’entrée d’Al-Maaden puis celui, condescendant, des usagers du golf… « Le discours éducatif a l’air artificiel, plaqué comme un patch, mais il est réel, plaide Meryem Sebti, rédactrice en chef du magazine d’art marocain Diptyk. Au Maroc, on n’a pas encore trouvé la méthode qui combine le public composé des directeurs des grands musées internationaux, la grande bourgeoisie et les petits gosses qui vivent dans les quartiers populaires. Mais vous allez voir : les bus scolaires vont venir à Al-Maaden et repartir avec des goodies. Parce que c’est comme ça que les choses fonctionnent ici. »
L’exposition inaugurale « Essentiel paysage », conçue par Brahim Alaoui, participe à l’aspiration didactique. Le commissaire d’exposition marocain y a réuni des œuvres aptes à toucher tous les publics, en premier lieu les non-initiés, sans tomber pour autant dans un art littéral et simpliste. Misant sur le syncrétisme, il a aussi évité de tracer une délimitation entre Afrique blanche et noire. Aussi l’accrochage mêle-t-il joyeusement des artistes congolais comme Pierre Bodo, Chéri Chérin et Chéri Samba, que Lazraq a acquis ces dernières années, à leurs confrères maghrébins Yamou, Younès Rahmoun ou Hicham Berrada.
Planète malmenée
Découpé en cinq séquences, le parcours glisse de l’évocation d’une nature féconde à celle d’une planète malmenée par l’homme. Chacun y va de sa critique. Les branches décharnées du Camerounais Pascale Marthine Tayou emprisonnent des sacs en plastique qui, bien que nocifs pour l’environnement, prolifèrent sur tout le continent. Les photos du Congolais Sammy Baloji montrent les cicatrices béantes laissées avec les mines du Katanga par la colonisation belge. L’exposition a aussi pour mérite d’élargir le spectre aux artistes naïfs : Mohamed Ben Allal, originellement cuisinier, Ahmed Louardiri, jardinier de profession, ou encore Mohamed Tabal, musicien d’Essaouira qui crée dans un état de transe, selon le rituel gnaoua. Sans oublier le peintre éthiopien Mawi Mazgabu Gera, dont les Talismans empruntent aux archétypes et idéogrammes des icônes orthodoxes éthiopiennes.
Cette mise en jambe réjouissante a mis la barre haut pour le reste de la programmation, qui reposera notamment sur des partenariats avec les Fondations Zinsou et Blachère. Elle atteste aussi d’une lente mutation de la bourgeoisie marocaine, que Meryem Sebti résume ainsi : « Il y a vingt ans, des gens comme Lazraq érigeaient des club houses et des boutiques de golf. Aujourd’hui, ils font des musées. »
Le 08.02.2017
SOURCE WEB Par Le Monde
Les tags en relation
Les articles en relation

Hamid Bentahar réélu à la tête de la Confédération nationale du tourisme pour un nouveau manda
Hamid Bentahar a été réélu président de la Confédération nationale du tourisme (CNT) pour un nouveau mandat de trois ans, lors de l’assemblée généra...

Air Europa connecte Madrid à Casablanca
La compagnie low cost lancera dès le 1er juin 2019 une route reliant Madrid-Barajas à Casablanca. Ainsi, 4 liaisons hebdomadaires seront opérées en juin et ...

Trois villes marocaines dans le Top 10 des destinations préférées en Afrique et au Moyen-Orient
Le média spécialisé américain «Travel+Leisure» a publié son classement pour 2024 des villes préférées de ses lecteurs en Afrique et au Moyen-Orient. P...

Vidéo. RNI: Akhannouch promet une stratégie de lutte contre le chômage des jeunes
Le président du Rassemblement national des indépendants (RNI), Aziz Akhannouch a ouvert vendredi soir à Marrakech, en présence de quelque 3000 jeunes, la pr...

#MAROC_MARRAKECH_ETAT_D_URGENCE: FERMETURE DE PRÈS DE 60 RESTAURANTS À MARRAKECH
Une large campagne de contrôle menée par les services de sécurité et les autorités locales a abouti à la fermeture de 56 restaurants à Marrakech. Cette o...

Les 22 photos les plus époustouflantes du Maroc prises par National Geographic
Le Maroc est un pays qui regorge de trésors naturels, historiques et architecturales. De Casablanca à Chefchaouen en passant par Essaouira ou encore Marrakech...

Cop 22 : au Maroc mais sans marocains !
Par Majid Bennis DG de Hors limite Organisation COP 22: Le plus grand événement jamais organisé au Maroc ne sera pas produit par une agence d'événe...

Tourisme au Maroc : 40 nouvelles lignes aériennes pour 2025
Dans le cadre de sa stratégie "Light In Action", l’Office National Marocain du Tourisme (ONMT) intensifie ses efforts pour renforcer la connectivité aérien...

France 3: L'émission "Faut pas rêver" à la découverte des oasis du Maroc
La chaîne TV France 3 a offert, lundi 5 février, à ses téléspectateurs un voyage sur la route des oasis au Maroc, leur faisant découvrir tout aussi bien l...

Mme le Maire de Marrakech rencontre les professionnels de sa région
Bel exemple d’interaction impliquée public-privé nouvelle ère que celui fourni grandeur nature par les professionnels de Marrakech avec la nouvelle mairess...

Le Ritz-Carlton Marrakech coûterait 2.189.099.440,00 DH
D’une valeur estimée à 220 millions de dollars américains (2.189.099.440,00 DH), le projet de réalisation du Ritz-Carlton Residences and Resort sera sur l...

8ème édition du Women's Art World du 1er au 30 avril à Marrakech
La 8-ème édition du Women's Art World (WAW) aura lieu du 1er au 30 avril à Marrakech, dans le cadre des festivités célébrant la journée international...