Médecine traditionnelle Les ferragates toujours aussi prisées
En dépit de l’évolution de la société marocaine et malgré le nombre croissant d’hôpitaux, médecins…, les Marocains sont toujours attachés aux guérisseurs traditionnels. Le métier de «ferraga» est généralement exercé par des femmes «guérisseuses». Quand bébé a un problème de santé, le plus logique serait de l’emmener sans tarder chez son pédiatre. Toutefois, certaines personnes voient les choses différemment et préfèrent conduire leurs enfants chez des médecins d’un autre genre. Il s’agit de guérisseurs traditionnels alias «ferragates». Selon les personnes qui ont déjà fait l’expérience, ces guérisseurs ont le pouvoir de soulager les bébés déprimés ou qui pleurent sans cesse à cause d’un mauvais œil ou de la sorcellerie. «J’ai emmené mes sept enfants chez des “ferragates” lorsqu’ils étaient bébés. Maintenant, j’emmène mes petits enfants aussi», raconte Khadija, la soixantaine passée. «Les bébés sont tellement fragiles que n’importe quoi peut leur faire du mal. Grâce à ces guérisseurs et les méthodes qu’ils utilisent, je suis sûre que mes petits se sentiront bien après et seront protégés», poursuit-elle. Le métier de «ferraga» est généralement exercé par des femmes «guérisseuses» qui utilisent des moyens traditionnels pour soulager les maux des enfants. Elles leur prodiguent différents soins pour diverses pathologies. Il s’agit le plus souvent de femmes âgées, majoritairement analphabètes, considérant leurs pratiques comme un don divin transmis de génération en génération. Ces guérisseuses, plus présentes dans la région de Marrakech, sont également d’accès facile, à domicile ou dans les souks partout au Maroc. Leurs honoraires sont symboliques à la «baraka», variant généralement entre 20 et 50 DH, y compris la consultation et les traitements. Hajja Milouda, guérisseuse traditionnelle dans l’ancienne médina à Casablanca est fière de ses trente années d’exercices de métier de «ferraga» et du grand nombre de bébés qu’elle a pu sauver grâce à ses dons. «Si je peux me vanter d’une chose dans cette vie, c’est bien de la «baraka» dont j’ai hérité de mes parents et grands-parents. Une “baraka” que je combine à un savoir-faire pour protéger et sauver des vies», indique-t-elle, les jambes croisées, assises sur l’une des trois banquettes (seddari) qui lui servent de salle d’attente. Un simple rideau sépare cette pièce de la salle de consultation, dans laquelle on trouve plusieurs bouteilles de différentes formes remplies de liquides noirs, verts, orange ou jaunes, des herbes, des poils d’animaux, des plumes d’oiseau… «Il n’y a absolument rien à craindre. Toutes ces matières sont inoffensives. Elles ont même des vertus que seuls des experts comme moi en apprécient la valeur. Ces plantes par exemple nous aident à faire sortir tout le mal qui peut se trouver à l’intérieur du corps de l’enfant. Cette huile, quant à elle, a le pouvoir de soulager les maux de ventre et d’apaiser la diarrhée chez les nourrissons», explique hajja Milouda. Pas seulement les couches défavorisées... Les gens ont recours à ces guérisseuses traditionnelles pour différentes causes. Cependant, la principale raison reste la volonté des parents d’enlever le mauvais sort qui touche leurs bébés. «J’ai toujours eu peur que mon enfant absorbe les ondes négatives de sorcellerie «chem shour», d’autant plus que je sais que les garçons sont les plus touchés par ce genre de choses. Et malheureusement, c’est ce qui s’est passé. Son père et moi avons remarqué que sa tête devenait plus grosse jour après jour. Je me suis précipitée chez ma mère qui m’a recommandé d’aller voir une “ferraga” sans plus tarder», confie Sanae, femme au foyer. «Grâce à cette guérisseuse, la tête de mon fils n’est plus affreuse comme avant. Elle a commencé par lui serrer le crâne à l’aide d’un tissu propre, elle lui a mis des produits sur le front… et puis comme par magie, mon petit garçon est redevenu normal», ajoute-t-elle. Contrairement à ce que l’on peut croire, ce ne sont pas uniquement les personnes défavorisées ou analphabètes qui s’adonnent à ce genre de pratiques. «Il est vrai qu’au début je n’y croyais pas, mais après avoir fait l’expérience, aujourd’hui, je suis convaincue que tout ce qui se dit au sujet des “ferragates” est bien réel», affirme Sara, cadre dans une banque. Et d’ajouter : «Ma fille souffre d’une allergie pulmonaire. Aucun médecin n’a réussi à la soulager jusqu’à ce que je l’ai emmenée chez une guérisseuse traditionnelle qui lui a vidé ses poumons. Elle lui a fait avaler de l’huile d’olive et d’autres ingrédients. Ensuite, elle lui a glissé une plume dans la gorge puis dans chaque narine. Tout juste après, ma fille a commencé à vomir tout ce qui la gênait et maintenant elle se sent beaucoup mieux. Depuis je n’ai plus peur des “ferragates”. J’ai même entendu dire qu’un pédiatre à Mohammedia les recommandait à ces patients». Pas d’accord ! Si beaucoup de Marocains sont toujours attachés aux guérisseurs traditionnels, d’autres sont totalement contre soit pour des raisons de croyance ou des raisons d’hygiène… «Je ne confierai jamais mon petit ange à une “ferraga”. Pour moi, ce sont tous des charlatans qui se moquent de gens naïfs», fustige Salwa. «Comment peut-on faire confiance à une personne analphabète qui administre des choses bizarres aux enfants, plus qu’un médecin qui a passé plusieurs années de sa vie à étudier pour avoir son diplôme ? Ce genre de pratiques doit certainement avoir des conséquences néfastes sur la santé des bébés», poursuit-elle. Repères •Les «ferragates» utilisent des produits comme l’huile de cade, l’huile d’olive, les graines de «harmel» (du latin nitrariaceae ou peganum harmal), les poils et vertèbres d’animaux, les plumes d’oiseau, la cannelle, le fenugrec, la nigelle, le fenouil, le clou de girofle, le cresson alénois, etc. •Les «ferragates» prétendent traiter, chez le nouveau-né et le nourrisson, des symptômes et des pathologies aussi divers que les troubles digestifs, neurologiques, respiratoires, les infections dermatologiques, la fièvre, les cris incessants… Publié le : 24 Juin 2012 – SOURCE WEB Par Hajjar El Haiti, LE MATIN