Le Maroc n’est pas sorti d’affaire s’alarme Berrada
«Nous sommes rattachés à une locomotive qui ralentit», avance Mohamed Berrada. Le président du centre de recherche Links, qui s’exprimait à l’occasion du colloque Coface Risque Pays, organisé jeudi à Casablanca, formule ainsi un souci que ne manqueront pas de partager les autres tribuns de l’évènement. En effet, la crise de la zone Euro accroît, de par l’impact qu’elle peut avoir de l’économie marocaine en 2012. L’ancien ministre des Finances n’y va d’ailleurs pas par quatre chemins pour expliquer que malgré la résilience dont a fait preuve le royaume face à la crise, il faut se préparer à une conjoncture difficile. «Certains voyants ont viré au rouge», s’alarme Berrada, en pointant du doigt le déficit budgétaire, qui devrait se creuser davantage cette année et plus encore le déficit structurel de la balance commerciale. Aussi, la faible croissance, voire la récession dans laquelle se sont enlisés nos principaux partenaires économiques, notamment la France et l’Espagne, devrait peser encore plus sur ces indicateurs, d’autant plus que le Maroc souffre d’une déficience de compétitivité. Problème de compétitivité Pour Fathallah Oualalou, le problème de la compétitivité est partagé par l’ensemble du pourtour méditerranéen. Le président du conseil de la ville de Rabat considère que c’est d’abord une question de diversification. Or c’est loin d’être gagné, estime Hassan Benabderrazik, président d’Agro Concept. Il avance : «Notre commerce extérieur est beaucoup moins diversifié qu’il y a 15 ans», avant d’étayer : «L’agriculture et les mines dominent la structure de nos importations. Ce n’était pas arrivé depuis les années 80». En somme, nous sommes beaucoup plus fragiles en termes d’offre, même si Saâd Benabdelah nuance ce propos, en expliquant que le Maroc jouit aujourd’hui d’une très bonne image à l’international. «Pour la première fois, nous commercialisons nos produits à l’export en amont de la production», surenchérit-il, avant d’arguer : «Nous sommes en train de nous construire». Le directeur général de Maroc Export avance aussi le fait qu’aujourd’hui le Maroc exporte aussi des services. Plus généralement, la question de l’offre exportable est tributaire des différents plans sectoriels lancés durant la décennie passée. Sur cette question, il y a unanimité autour du fait que ces plans commencent à significativement donner leurs fruits. Toutefois, avec la crise européenne, cela semble loin d’être suffisant. En effet, comme l’affirme Fathallah Oualalou ex ministre de l’économie et actuel président du Conseil de la ville de Rabat : «Nous avons besoin d’une Europe forte». Cet avis est partagé par Hassan Benabderrazik, président d’Agro Concept, qui avance : «Nous réalisons mal le danger de la désagrégation de l’Europe» Nouveaux partenaires Dans ce contexte, si la recherche de nouveaux partenaires s’impose, ces derniers ne peuvent en aucun cas se substituer aux anciens. Benabdellah insiste dans ce sens : «Ce n’est pas parce que mon premier partenaire est en crise que je dois en changer». De fait, le développement économique du royaume s’avère donc lié à celui de ses partenaires européens, même les acteurs économiques marocains lorgnent de plus en plus l’Afrique. Dans ce sens, il ne faut pas croire non plus que l’économie marocaine pourra ce faisant tourner le dos à l’Europe. Brahim Benjelloun Touimi, directeur général délégué de BMCE Bank va plus loin, en expliquant que nous avons désormais changé de paradigme économique : «Il faut aller vers l’Afrique, avec nos partenaires européens». Toutefois, au-delà des bonnes intentions et de la démarche de partenariat, le Maroc doit aussi et surtout préserver ses intérêts. C’est pourquoi Mohamed Berrada en appelle au patriotisme économique. «Il nous faut adopter une politique économique centrée sur la préférence nationale», argue l’ex-ministre des Finances, avant d’aller plus loin, en appelant à revoir les accords de libre-échange qui commencent à sérieusement à handicaper nos entreprises. Il faut rappeler à ce propos que le Maroc a réussi à prouver sa résilience face à la crise, grâce à un modèle basé sur la demande interne. Ce modèle commence à montrer ses limites, car, comme le défend Berrada, «Si nous continuons à pousser la demande interne, ce sont les entreprises étrangères qui en profiteront». L’aubaine assurance-crédit En attendant et face à la crise, les entreprises qui se projettent à l’export doivent faire face à de plus en plus de difficultés avec leurs principaux clients. En effet, il va de soi que les difficultés conjoncturelles accroissent le taux de défaillance des entreprises. Aussi, ces difficultés peuvent représenter une aubaine pour les assureurs crédit. Yves Zlotowsky valide ce constat, en expliquant qu’il y a bien un regain pour l’assurance crédit, depuis le déclenchement de la crise. Toutefois, cela doit être relativisé par rapport au fait qu’il y a un recul mécanique des opérations. En tout cas, pour Abdelhakim Marrakchi, vice-président de la CGEM, qui souligne l’importance de l’assurance crédit dans un tel contexte: «À une époque où la défiance se propage, l’assurance crédit permet un continuum». Ce n’est pas Nezha Lahrichi qui dira le contraire. La présidente de l’Asmaex conclut en appelant à créer un système afro-euro-méditerranéen. Sans doute sera-ce la clé du développement de l’assurance-crédit et surtout du développement économique de la région dans son ensemble._______________________________________ Yves Zlotowksi, Economiste en chef Coface «Les PME, plus sinistrables» Les Échos quotidien : Comment évaluez-vous l’impact de la crise européenne sur l’économie marocaine ? Yves Zlotowksi : Pour l'instant, il n’est pas perçu très violent. C'est vrai que l'on attend un ralentissement de la croissance au Maroc, mais il sera honorable. Probablement autour de 3,5% et de l'impact, notamment dans notre scénario, sera très limité. En revanche, si la crise de la zone euro s'aggrave, le Maroc serait exposé – par nombre de canaux –, peut-être pas plus que les pays d'Europe centrale. Il y a évidemment le canal commercial, parce qu'il est exposé à la croissance française et espagnole, par le canal des investissements directs, par le canal des transferts, 85% – me semble-t-il – des transferts qui viennent de la zone euro, et puis aussi par le canal du crédit bancaire, car si la crise de la zone s'aggrave, les banques européennes seront en difficulté, elles peuvent être poussées à réduire leur exposition à d'autres pays, tel le Maroc. Donc s'il y a un scénario très dramatique en zone euro, le Maroc pourrait effectivement être plus touché qu'il ne l'est actuellement. Si la situation continue telle qu'elle est, c'est-à-dire une crise larvée en quelque sorte, l'économie marocaine ralentira un peu, mais pas de manière dramatique. Y aura-t-il des arbitrages en ce qui concerne les investissements européens ? C'est tout à fait vrai. Il est absolument clair que le Maroc est un bon pari pour toutes les entreprises qui veulent se développer. La croissance est forte ; le système bancaire est simple ; il n'y a pas trop d'enlèvement externe ; la situation est vraiment idéale. En revanche, s'il y a un problème, il ne serait pas lié à la situation du Maroc, mais à la zone euro. Les banques subissent de nombreux chocs, en l'occurrence, celui de la dette souveraine, le problème de Bâle III, donc l'arrivée de nouvelles réglementations, subissant parfois le problème de l'accès au dollar... Du coup, elles se trouvent dans un contexte où elles doivent réduire la voilure globalement. Des arbitrages seront effectivement à faire, et c'est vrai que dans ces arbitrages, le Maroc n'est pas du tout mal placé. Quel impact sur les PME ? De manière générale, dans toutes les économies, que ce soit en France ou au Maroc, les PME sont plus fragiles que les autres entreprises, donc il y a plus de sinistralités pour les PME. Les PME sont très sensibles à l'accès au crédit, moi il me semble, quand on regarde les chiffres, que l'approfondissement de l'intermédiation financière au Maroc, c'est-à-dire le poids du crédit dans l'économie, est quand même relativement élevé, certes. Il pourrait l'être encore plus, mais globalement il est relativement élevé. C'est vrai que ça cache des disparités d'accès au crédit entre les grandes entreprises et les PME, mais cela est valable partout. Il est un fait que les réformes et les mesures d'incitation sont les bienvenues, mais même si les PME se développent, elles seront de toute façon plus fragiles que la moyenne des entreprises, c'est vrai dans le monde entier. J'ajoute que la question des PME est très importante, d'autant plus pour la croissance à moyen terme, car ce sont elles qui font la croissance. Ça l'est aussi pour l'emploi. Autre élément important : le taux d'investissement. Le taux d'investissement au Maroc est tout de même relativement élevé par rapport à d'autres pays, il pourrait l'être plus. Néanmoins, qui dit taux d'investissement plus élevé, dit croissance plus forte. Derrière cette question, il y a celle de l'entrepreneuriat, de la gouvernance, de l'accès au crédit, pour que puisse se développer une PME. Si quelqu'un a envie d'être entrepreneur, il est essentiel qu'il ait les moyens de le faire et de s'épanouir. Qu’est ce qui a motivé la suppression de la mention surveillance positive pour le Maroc en 2008 ? Nous avions effectivement mis une surveillance positive au Maroc à une période où nous étions un peu tous très optimistes, mais c’était avant la crise en 2009. Du coup, nous nous sommes un peu calmés depuis sur nos surveillances positives. À notre sens, le Maroc est une économie internationalisée qui a un système bancaire très performant, lequel est de plus en plus ouvert. Néanmoins, même si tout se passe bien au Maroc, compte tenu de la crise, c'est le fait que l'environnement direct du pays aille très mal qui nous a incités à retirer cette surveillance positive. Nous l'avons d'ailleurs fait pour beaucoup d'autres pays qui étaient dans la même situation. Le Maroc a eu la meilleure progression dans le Doing Business de cette année, cela peut-il avoir une incidence sur votre évaluation ? Le Doing business n'est pas une notation que nous prenons souvent en compte, car elle est très axée sur le cadre réglementaire. C'est vrai que c'est très bien d'avoir de nouvelles lois qui favorisent l'environnement des affaires, mais en ce qui nous concerne, on se concentre surtout sur la manière dont ce cadre réglementaire est appliqué. On constate d’ailleurs souvent un énorme gap entre celui-ci et la manière dont il est appliqué. Nous sommes attentifs à la vie réelle des entreprises. C'est pour cela que dans notre évaluation de l'environnement des affaires, nous avons une vision plus subjective. C'est une surveillance que l'on établit en interne avec nos arbitres qui sont présents dans le monde entier. C'est vrai que ça a aussi des biais, mais au moins ça a le mérite de contourner le biais lié au fait qu'on peut avoir une très belle réglementation sur le papier, mais qui concrètement n'est pas pratiquée. Néanmoins, un tel rapport du Doing Busines est très bien pour le Maroc et son image à l'international À quand un reclassement du Maroc dans votre évaluation ? En ce moment, c'est difficile, bien que l’on soit très contents de notre expérience au Maroc et que les entreprises marocaines soient de bons payeurs. C'est actuellement le pays émergent par excellence qui a beaucoup d'atouts. Sauf que l'environnement extérieur immédiat du Maroc est dans une situation difficile, et le Maroc qui est un pays ouvert aux économies étrangères risque d’évoluer un peu comme tous les pays qui s’ouvrent à l’international et d’en payer le prix. D’autant plus qu’en ce moment, la situation en Europe, surtout en Europe du Sud, et l’Espagne est un partenaire essentiel du Maroc, n’est pas très florissante. Résultat, aujourd'hui l'environnement est trop difficile pour penser à un reclassement immédiat. Il est vrai toutefois que sans la crise, le Maroc serait effectivement un candidat éventuel pour le reclassement surtout grâce à la stabilité de sa conjoncture. Ce que je trouve d’ailleurs extraordinaire, c'est que le Maroc est devenu une économie résistante, résiliente. Nous subissons moins ces à -cotés conjoncturels, nous avons une économie qui croît - à un rythme qui devrait être plus élevé, c’est vrai - mais qui est quand même assez bon et assez stable. C'est très important Mais l’économie marocaine est basée sur la demande interne, c'est un modèle qui a aussi ses limites... Ce qui peut être inquiétant pour le Maroc, c'est la question du déficit courant qui s’approfondit. Il y a certes la question de la facture énergétique, mais ce n’est pas la faute du Maroc. Il y a beaucoup de pays qui ont ce problème, dont notamment la France. L’autre question clé que le pays maîtrise, c’est celle des exportations, autrement dit la spécialisation et l’offre. C’est vrai que c’est une question de moyen terme. Cela étant dit, notre notation n’est pas aussi ambitieuse. La question est de savoir avant tout si les entreprises payent. En ce qui concerne les problèmes structurels, il faut savoir que toutes les économies en ont, si on notait sur les problèmes structurels des économies, il y aurait beaucoup de pays d’Europe qui n’auraient pas leur note actuelle. Et au Maroc, les entreprises payent bien, il y a une croissance qui est stable, ce sont des données positives. Encore une fois, le problème du Royaume, c’est l’environnement immédiat aujourd’hui. Mise à jour le Vendredi, 11 Mai 2012 16:18 SOURCE WEB Par Par Aziz SAIDI Les Echos Maroc Vendredi, 11 Mai 2012 15:49