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Nouzha Skalli, ministre du développement social, de la famille et de la solidarité

Nouzha Skalli, ministre du développement social, de la famille et de la solidarité

On ne peut pas continuer à faire comme si de rien n'était Publié le : 19.10.2011 | 11h25 La déclaration de Nouzha Skalli, à propos de la légalisation partielle de l'avortement dans notre pays n'a laissé personne indifférent. La ministre s'explique sur le sujet. Le Matin : Qu'entendez-vous par la légalisation partielle de l'avortement ? Nouzha Skalli : Il s'agit de l'assouplissement de la législation d'interruption médicale de grossesse dans des cas extrêmes: En cas de viol, de violence sexuelle, d'inceste, de malformation fœtale ou de risque pour la santé physique ou mentale de la femme. Beaucoup de pays dans le monde sont confrontés au problème des législations de l'avortement au vu des considérations éthiques et religieuses. Mais d'autres considérations relatives aux conséquences dramatiques sociales et psychologiques, comme les cas de viol ou d'inceste par exemple, ont poussé de nombreux pays à revoir leurs législations. Le Maroc appartient à un groupe de pays parmi les plus restrictifs du monde en matière d'interruption médicale de grossesse qui n'est autorisée que si la vie ou la santé physique de la femme est en danger grave. Qu'en est-il dans d'autres pays musulmans pour ne citer que ceux-là ? En Turquie, l'avortement est légal jusqu'à la 10e semaine de grossesse avec consentement du conjoint. En Tunisie, il est légal jusqu'à 12 semaines depuis 1973. Au Togo, pays membre de l'OCI, l'avortement est autorisé depuis 2009 en cas de viol ou d'inceste. Même l'Iran a dépénalisé l'avortement en cas de malformation fœtale. L'Algérie voisine a introduit en 2004 le droit d'avorter en cas de viol commis dans le cadre d'une opération terroriste. Dans tous ces pays, comme au Maroc d'ailleurs, on parle de centaines de cas chaque jour d'avortements clandestins. De nombreuses voix au Maroc se sont élevées pour dénoncer les effets catastrophiques de l'avortement clandestin pratiqué quotidiennement sur des femmes pauvres et démunies. Le moment n'est il pas venu pour notre pays d'assumer la responsabilité collective d'assouplir sa législation dans les cas extrêmes et en tenant compte des considérations éthiques et religieuses ? Malgré les efforts constants déployés par l'Etat pour lutter contre la précarité et contre les violences à l'égard des femmes, et par la société civile pour porter assistance à des femmes et des enfants en situation difficile, des situations dramatiques nous interpellent chaque jour : mères célibataires, nourrissons abandonnés ou parfois tout simplement tués et déposés dans un terrain vague ou un dépotoir! On ne peut continuer à faire comme si de rien n'était! Quelles sont les causes qui vous ont poussée à faire une telle déclaration ? Le problème de l'avortement est un problème socio-sanitaire qui a, en plus des enjeux liés à la santé des femmes et des enfants, des conséquences sociales multiples et lourdes et dont le poids pèse sur toutes les politiques de développement humain. Du fait des missions dont j'ai la charge, je me trouve souvent confrontée à ces questions qui m'interpellent avec force en tant que responsable, comme elles interpellent vivement notre société et le corps médical. Combien de femmes meurent du fait d'avortements clandestins ? combien à cause des tentatives d'avortement clandestin se retrouvent mutilées ou stériles ? Combien de cas d'infanticides de nouveaux nés venus au monde par accident ? Combien de nouveaux nés sont abandonnés ? Combien parmi eux sont le fruit de relations incestueuses ? Quelles sont les réponses à apporter ? L'agenda gouvernemental de l'égalité, dans le cadre de la consolidation et du renforcement des programmes de «maternité sans risques» et de planification familiale a programmé, à côté d'autres mesures comme l'information en santé reproductive, une action de révision des législations de l'interruption médicale de grossesse, sachant que les avortements clandestins sont cause de 13% des cas de mortalité maternelle d'après l'OMS. Est-ce que vous vous attendez à des réactions suite à votre déclaration ? Cette problématique est certes délicate et sensible mais ses enjeux sont vitaux pour la santé des femmes, pour leur survie, pour leur intégrité physique et morale mais aussi pour celles des enfants. Ses incidences sociales sont multiples et dramatiques. Aucune femme ne songe à avorter de gaieté de cœur ou par caprice, j'ai vu de près les souffrances infinies de ces mères célibataires et les défis qu'elles doivent affronter seules. Quelles solutions légales offre la société à une jeune fille qui a une grossesse consécutive à un viol, à une grossesse accidentelle ou même à une relation incestueuse subie ? Rejetées par la famille et la société, livrées à une détresse morale et matérielle, quel choix s'offre à ces jeunes filles souvent très jeunes, peu ou pas instruites et en situations précaires ? Quelles solutions pour une femme enceinte qui apprend que son fœtus est anencéphale ou atteint d'un handicap profond ? Les réponses à ces questions sont vivement attendues par tous les acteurs publics et le personnel médical constamment confrontés à ces drames et qui ne peut leur apporter aucune réponse légale. Je suis bien consciente que les réactions négatives ne manqueront pas de se manifester mais je rappelle qu'il s'agira là d'une réforme législative qui sera soumise conformément à la nouvelle Constitution au circuit législatif et que ce sera aux représentantes et représentants de la Nation d'assumer leurs responsabilités, en toute cohérence, entre la nécessité de lutter contre la violence et le harcèlement à l'égard des femmes et celui d'assurer des solutions pour les femmes victimes de violence! Est-ce qu'il faut s'attendre prochainement à un projet de loi à propos de ce sujet ? Le sujet de l'avortement a toujours été considéré comme un tabou dans notre pays du fait du double interdit religieux et légal. Si l'interdit religieux fait l'objet de l'unanimité des fokahas après 120 jours de grossesse, période de l'insufflation de l'âme, «Nafkh eroh» au fœtus, la période qui précède fait l'objet d'avis différenciés en fonction de la période et des raisons de l'interruption médicale de la grossesse, il y a donc véritablement matière à l'ijtihad. Sur le plan légal, les articles du code pénal concernant l'avortement datent de près d'un demi-siècle (1962) et n'ont été que légèrement révisé en 1982. Ces textes n'ont jamais été discutés par l'instance législative depuis 2002, l'année où les femmes sont rentrées au Parlement en nombre significatif. Un projet de loi sera donc élaboré en concertation avec toutes les parties concernées et le dernier mot appartiendra au Parlement loin de toute surenchère ou polémique. SOURCE WEB Par Hajjar El Haïti | LE MATIN