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Histoire locale et régionale des villes marocaines La recherche en histoire locale, levier pour le développement régional

Histoire locale et régionale des villes marocaines  La recherche en histoire locale, levier pour le développement régional

 

C’est Mokhtar Soussi (1900-1963) qui avait remis au goût du jour au Maroc l’intérêt pour les recherches sur les cultures et l’histoire régionales et locales avec son monumental travail effectué entre les années trente et quarante du XXème siècle sur la région du Souss. Ce travail s’est traduit par une cinquantaine de volumes, « Maâssoul », « Illigh qadimane wa hadithane », « Souss al-alima », « el-Ilighiyat » entre autres, un brassage encyclopédique de tous les domaines religion, histoire, langue, littérature écrite et orale etc. Mokhtar Soussi avait pris comme modèle Mohamed Daoud auteur de « Histoire de Tétouan », œuvre monumentale sur Tétouan et sa région embrassant l’histoire des origines et de la vie contemporaine. 
La préoccupation de Mokhtar Soussi était de sauvegarder la mémoire du passé d’une perte inéluctable dans une optique nationaliste en perspective de la réalisation d’une histoire nationale globale.
Ceux qui emboîtent le pas à cet illustre pionnier, aujourd’hui, sont mus, en plus du même souci de sauvegarde, par l’idée de valorisation et de développement économique et social de leurs villes et régions souvent victimes d’abandon et de négligence pour leur histoire et patrimoine culturel qui représentent le noyau de leur identité.

Durant les dernières années, fin des années quatre-vingt-dix début 2000, des initiatives se sont multipliées par le biais de l’associatif pour initier, avec une constance remarquable, des travaux de recherche sur l’histoire régionale et locale. En réalité il s’agit souvent d’initiatives individuelles, sans aucun soutien et avec des difficultés énormes capables d’en dissuader plus d’un.
Un atlas des Derb de Safi
C’est pour mettre cette activité en lumière et tenter une évaluation de ce qui a été réalisé à ce jour, que tout dernièrement un colloque « Mémoire et recherches en histoire locale » a été organisé dans la ville de Safi par un collectif d’associations. A l’origine de l’idée plusieurs associations locales et un chercheur Ibrahim Kredya auteur de nombreux travaux à caractère monographique sur la ville de Safi et sa région. Kredya est auteur de dizaines de petits livres en arabe sur les différentes facettes de l’histoire ancienne et contemporaine de la ville de Safi. Il s’agit d’environ une centaine d’ouvrages monographiques en arabe. Il vient de publier pour l’année 2014 notamment un atlas des rues et quartiers de l’ancienne médina de Safi intra muros avec ses monuments, les noms des familles musulmanes et juives qui y avaient transité à travers le temps et les hommes célèbres qui y avaient vécu etc. Ces noms témoignent de brassages d’époques et de populations venues de tous les horizons. Il s’agit de « Atlas douroub al-madina al-a’tiqa bi-Asfi ». 

Cette série en quatre tomes comporte une description des quartiers de la vieille ville, au total 36 derbs avec une riche documentation iconographique sur la ville. Elle est réalisée en recueillant des informations dans des témoignages de quarante personnalités safiotes sans parler d’une riche bibliographie avec ouvrages des ouléma Sbihi et Kanouni écrits sur la ville ainsi que des manuscrits dispersés entre nombre de bibliothèques privées, constituant une véritable mine d’or inédite pour les recherches dans le même domaine. 

Dans ce travail il arrive, entre autres curiosités, que l’auteur nomme des anciens maâllems artisans disparus qui travaillaient dans des ateliers aujourd’hui disparus dont ne reste plus comme trace que le nom du Derb qui les abritait. Ainsi il y a les derbs Najjarine, Smaytiya, Hajjama etc. 

Ces noms d’artisans, aujourd’hui anonymes, semblent donner la pleine mesure de la signification de l’histoire locale qui serait un triomphe pour l’importance des humbles et par conséquent la mosaïque des détails infimes oubliés allègrement par le « grande Histoire » et que seuls les poètes aiment tant à relever.

 Ibrahim Kredya a aussi publié au cours de cette année un petit livre sur l’histoire de l’un des monuments de la ville de safi, le fameux « Tagine de Safi » le plus grand tagine des boulettes de sardines, entré dans le livre Guiness de records en 1999. Aussi une monographie sur les « Femmes soufies de Abda » retraçant les biographies de femmes saintes à Safi et sa région. Autre publication qui vient de sortir c’est la biographie du maitre de l’Aita Hasbaouiya Jamal Zerhouni avec une préface de Hassan Najmi.

Mémoire ensevelie

  A côté de Kredya Ibrahim, il y a d’autres chercheurs en histoire locale dont le travail est inscrit dans la constance. C’est le cas de Mustapha Jmahri (Lire entretien ci-contre) auteur de plusieurs ouvrages sur la ville d’El Jadida depuis 1993 dans le cadre d’une collection « Les Cahiers d’El Jadida ».

De formation journaliste (lauréat de l’ISJ) il a publié notamment « Bibliographie sur l’histoire d’El Jadida », « Mazagan : deux siècles d’histoire consulaire », « Une vie de colon à Mazagan », « Le Port d’El Jadida : une histoire méconnue, « Mazagan : patrimoine mondial de l’humanité » etc. Le dernier ouvrage publié, quinzième de la collection, est intitulé « El Jadida, destins croisés ».

 Autre parcours non moins original est celui d’Omar Lakhdar ancien ingénieur cartographe qui s’intéresse, lui, à sa ville natale Essaouira depuis de longues années et en particulier à la suite de sa mise à la retraite. Il publiera plusieurs ouvrages autour de l’histoire d’Essaouira : « Au pays d’Anflous », « Sur les traces de Castello Réal à Amagdoul », « Mogador Judaïca », « Les Îles et les canons de Mogador » et « Ben Elisha, l’enfant miraculé (histoire d’une famille juive de Mogador) ».

 Il note à propos de ses motivations pour ce travail au long cours :

 « Pour moi, écrire un ouvrage sur l’histoire de la ville d’Essaouira, c’est contribuer à découvrir des personnages et faits historiques souvent gommés ou estompés sous le poids de siècles d’oubli et ce, dans l’intérêt des générations actuelles et futures ».
 De son côté Habib Daim Rabbi qui est inspecteur d’enseignement, il écrit en arabe et s’intéresse à Sidi Bennour, une ville pour laquelle il a consacré deux livres : « Sidi Bennour, l’homme, l’histoire et l’espace » paru en 2006 et « Guide bibliographique des écrivains et artistes des Doukkala » sorti en 2009.

 Dans une précision à propos des ses motivations il déclare :

 « Je pense qu’écrire sur l’histoire de ma région est d’abord un devoir de mémoire et de citoyen afin de contribuer à découvrir notre proche environnement et de là les spécificités des régions du Maroc ».

Difficultés et indifférence

 On cite des auteurs qui ont écrit, dans la même veine de l’histoire locale, un seul ouvrage sur leur ville : Miloud Achak avec « L’Histoire de Khemisset » (en arabe), Mohamed Abou Assal avec « La Mémoire de Chefchaouen » (en arabe), Abdelbasset Lekrari « Settat ou les non-dits de l’Histoire (en français) et enfin Mohammed el-Maftouhi avec « El Hoceima dans l’Histoire » ouvrage en arabe.

 Bien entendu, il n’y a rien d’exhaustif dans cette énumération des contributions qui, dans l’ensemble, ont eu comme base méthodologique aussi bien la recherche dans les bibliothèques, les manuscrits anciens que le travail de terrain avec recueil de témoignages oraux pour ce qui est de l’époque contemporaine.

 On explique le fait que le nombre des travaux reste relativement restreint, par les énormes difficultés rencontrées par les auteurs. Lesquelles difficultés sont presque les mêmes. Parmi ces difficultés il y a le manque d’intérêt pour l’histoire locale en général chez le lectorat, l’absence totale d’intérêt des conseils communaux les premiers pourtant concernés, l’absence d’aide pour l’édition de ce genre d’ouvrages. Les auteurs publient des livres sur leur ville dans l’indifférence totale des responsables.

Autre écueil et non des moindres le manque de documentations en matière d’histoire locale d’où les difficultés insurmontables pour les chercheurs. Des cas d’administrations qui refusent l’accès à des archives pour des chercheurs seraient légion. Mais on n’oubliera pas de noter que parmi les difficultés il y a aussi la diffusion et la distribution des livres. Le cas de Ibrahim Kredya est édifiant puisque ses nombreux ouvrages ne sont pas distribués hors de la ville de Safi. Il ne semble pas cependant se plaindre de l’accueil du public safiot.

Les autres auteurs par contre mettent l’accent volontiers sur l’aspect de la réception, du fait que le lectorat est restreint surtout pour la production d’histoire locale.

 Mustapha Jmahri note toutefois que malgré la forte déception des chercheurs qui désespèrent de trouver un feedback, l’espoir est peut-être légitime pour une véritable embellie de la recherche en histoire locale dans le cadre du projet de la régionalisation avancée.

1/8/2014_SOURCE WEB L’Opinion

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