FISCALITÉ AGRICOLE LES INGRÉDIENTS D’UN FAUX DÉPART
Édition N° 4304 du 2014/06/24
SUR LA QUALITÉ DU CONTRIBUABLE ET LA BASE IMPOSABLE, LES EXPERTS SE PERDENT
PLUSIEURS ACTIVITÉS EXCLUES DU CHAMP DE L’EXONÉRATION
Source: CGI Plusieurs tranches de revenus issues de productions végétales et animales doivent basculer dans le domaine des activités commerciales et donc imposables selon le régime de droit commun. Ce sont des centaines de milliers de petits producteurs qui vont trinquer
Des difficultés à la pelle surgissent en ce
qui concerne la mise en pratique de la fiscalité agricole. Le flou est
quasi-total aussi bien quant à la qualité du contribuable et des bases
imposables. Sous le thème: «La fiscalité agricole sème le trouble», la
rencontre organisée vendredi dernier à la Chambre française du commerce et d’industrie du
Maroc a drainé un grand nombre de spécialistes venus de plusieurs villes du
Royaume. «L’article 46 du code général des impôts introduisant la fiscalisation
du secteur agricole est jugé politiquement très fort, mais difficile à mettre
en pratique», constate d’emblée Brahim Bahmad, expert-comptable. Le texte
soulève beaucoup d’interrogations et n’apporte que peu de réponses. Surtout
lorsqu’il est approché par rapport à la législation française. Même la
circulaire 722 de la DGI
sur les nouvelles dispositions de la loi de finances 2014 maintient le flou sur
plusieurs aspects. A commencer par la définition des contribuables et du
périmètre des activités imposables. «Sont considérés comme revenus agricoles,
les bénéfices réalisés par un agriculteur et/ou éleveur provenant de toute
activité inhérente à l’exploitation d’un cycle de production végétale et/ou
animale dont les produits sont destinés à l’alimentation humaine ou animale
ainsi que des activités de leur traitement à l’exception de la transformation
industrielle», dispose l’article 46 du CGI. A l’analyse, le texte ne définit ni
l’agriculteur ni l’éleveur et passe sous silence les exploitations tenues par
des investisseurs.
Par contre, la législation française renvoie à l’activité agricole et non pas à
une catégorie professionnelle de la personne qui réalise le bénéfice agricole.
Quid aussi du cycle de production? De la semence jusqu’à la récolte? De la
naissance du bétail jusqu’à sa vente? Le code général des impôts n’apporte pas
des précisions alors que le texte français énumère les différents stades de
croissance des végétaux et des animaux.
De plus, le législateur marocain exclut du champ du revenu agricole toutes les
activités destinées à une utilisation autre qu’alimentaire: l’exploitation
forestière, les plantes médicinales, aromatiques, les pépinières, les cultures
ornementales et celles destinées à la production d’énergie. Ces activités basculent
dans le domaine industriel et commercial et sont donc imposables quel que soit
le niveau du revenu.
Le même constat est relevé pour l’élevage. Au sens du CGI, «est considérée
comme production animale celle relative à l’élevage des bovins, ovins et caprins».
Cette disposition exclut plusieurs espèces animales : aviculture, animaux de
basse-cour (canards, dindes, lapins), l’élevage des chevaux et autres équidés,
des porcs, l’apiculture et l’aquaculture. Ces activités relèvent du droit
fiscal commun. A tel point que de nombreux spécialistes estiment que
«l’exonération des revenus agricoles inférieurs à 5 millions de DH est une
chimère». Et nombreux les petits agriculteurs qui associent ces types d’élevage
à leur activité agricole qui risquent de trinquer. «L’essentiel de cette
catégorie se trouve dans une frange de revenu égal ou inférieur à 100.000 DH».
Pourtant, les services des Finances tablent sur la fiscalisation d’un maximum
de 1.100 contribuables agricoles à l’horizon 2020 pour une masse estimée à 5 millions
d’exploitants. L’idée est qu’à cette échéance, les revenus dépassant le plafond
de l’exonération soient fiscalisés. Mais de nombreuses questions restent sans
réponse. «Comment un exploitant individuel peut-il savoir qu’il réalise un
chiffre d’affaires inférieur à 5 millions de DH s’il n’a pas l’obligation
fiscale de tenir sa comptabilité», s’interroge Bahmad. Qu’en est-il aussi de
l’exploitant agricole qui se trouve à la limite du seuil d’exonération? Et
comment peut-il prouver à l’administration qu’il réalise un chiffre d’affaires
exonéré? Autant d’interrogations soulevées. Au-delà, l’imposition à l’IS et à
l’IR est basée sur le régime du résultat net réel. Quid alors de
l’amortissement d’une vache ou d’un oranger ? Ce qui fait dire à certains experts-comptables
que le texte sur la fiscalité agricole a été préparé dans la précipitation.