Comment renforcer le pouvoir limité de l'europe par JEAN PISANI-FERRY
Jean Pisani-Ferry enseigne à la Hertie School of Governance de Berlin, et travaille auprès du gouvernement français en tant que directeur de la planification des politiques économiques. Il a dirigé le think tank économique Bruegel. Ses différents travaux portent sur les questions européennes, sur l’emploi et sur la politique économique.
Les résultats des élections parlementaires européennes du 25 mai sont aussi déconcertants qu’ils sont choquants. Aucune théorie ne permet en effet d’expliquer les différents résultats nationaux.
En Allemagne, où les politiques d’assistance financière de l’Union européenne et les initiatives de la BCE ont suscité une profonde controverse, la campagne électorale s’est révélée remarquablement terne et consensuelle. En revanche, en France où ni les unes ni les autres n’ont fait l’objet de débat au moment de la crise, elle a tourné autour des thèmes des eurosceptiques.
Ni les variables économiques de type croissance du PIB, ni les variables sociales telles que le chômage ne peuvent expliquer pourquoi l’Italie a voté en masse pour le Parti démocrate de centre-gauche du Premier ministre Matteo Renzi, alors que la France mettait en tête le Front national.
Au sein des pays excédentaires, les eurosceptiques se sont révélés puissants en Autriche, mais pas en Allemagne. Parmi les pays déficitaires, la Grèce s’est tournée vers la coalition d’extrême gauche Syriza d’Alexis Tsipras, tandis que les anciennes forces politiques dominantes, les partis Nouvelle Démocratie et Pasok, réunissaient ensemble moins d’un tiers du vote populaire. Au Portugal, en revanche, la domination des partis traditionnels s’est maintenue.
Plus l’on se penche sur les chiffres, et plus ils apparaissent déroutants. Selon l’historien Harold James, ce n’est pas par hasard que la droite nationaliste est la plus forte dans les deux États de l’UE qui restent hantés par leur héritage impérial, la France et le Royaume-Uni. Peut-être. Mais alors quid du Danemark, au sein duquel la droite anti-UE l’a emporté haut la main?
L’Europe a presque partout été au centre des débats politiques les plus importants de ces dernières années: ceux qui ont porté sur la réponse à la crise financière, l’orientation des politiques budgétaires, et les initiatives de sauvetage de la zone euro. Ces élections auraient pu donner l’occasion d’un débat, d’un bilan et d’une sanction populaire sur ce qui a été fait depuis cinq ans. Mais d’un pays à l’autre, ce n’est pas le même débat.
Source:Eurostat
Il y a là un problème sérieux pour les dirigeants européens: le séisme électoral a été suffisamment puissant pour qu’ils se sentent obligés de répondre au mécontentement économique et politique de leurs citoyens, mais ils ne savent pas quelle réponse lui apporter.
Sur le front économique, les premières discussions post-électorales ont révélé un consensus sur l’idée de faire plus pour la croissance et l’emploi. Il est difficile d’être en désaccord. La performance européenne est en la matière médiocre, particulièrement en comparaison avec celle des États-Unis qui, bien qu’ayant souffert du même choc il y a six ans, ont connu une reprise beaucoup plus solide de la production et de l’emploi. L’UE ne saurait nier sa part de responsabilité dans cette situation: le choix de procéder à l’ajustement budgétaire sans avoir au préalable apuré les bilans bancaires s’est révélé une erreur collective.
Il importe néanmoins que les dirigeants européens s’abstiennent de formuler des promesses qu’ils ne seront pas capables de tenir. L’Europe a derrière elle une longue tradition de proclamations sans suite qui n’aboutissent qu’à des déceptions.
Quelques milliards ici ou là ne sauraient faire la différence dans une économie de 13.000 milliards d’euros. Appeler à nouveau la Banque européenne d’investissement à appuyer les investissements et l’innovation ne changera pas son aversion au risque. Ou encore, réaffirmer l’attachement de tous à des finances publiques saines ne changera pas des ménages inquiets en consommateurs débridés.
N’a plus d’«unique» que le nom
Si les dirigeants de l’UE entendent véritablement soutenir la croissance et l’emploi, ils feraient bien de s’attacher à réparer un marché européen qui dans plusieurs secteurs n’a plus d’ «unique» que le nom, et de créer ainsi les conditions d’une croissance plus rapide des entreprises les plus innovantes et les plus efficaces. Ils devraient également mettre sur pied des financements pour les infrastructures critiques – pas seulement en construisant des lignes de TGV en direction de zones reculées, mais interconnectant systèmes énergétiques et systèmes de communications névralgiques. Il leur incombe par ailleurs de clarifier l’évolution future des prix du carbone. C’est de prévisibilité que les entreprises ont besoin pour investir dans les économies d’énergie et les énergies propres. Il leur faudrait également concevoir un mécanisme susceptible d’aplanir les écarts entre le coût du crédit au nord et au sud de la zone euro.
Il faudrait en outre que les dirigeants de l’UE s’attachent à promouvoir l’investissement privé dans les secteurs des biens échangeables des pays du sud de l’Europe. Il serait également judicieux de leur part d’investir davantage dans la formation et l’aide à la mobilité des jeunes chômeurs.
Enfin, et ce n’est pas le moins, il faudrait que les responsables européens examinent comment limiter l’excès d’épargne dans la zone euro, afin de contenir la pression à la hausse sur le taux de change de leur monnaie. Mais s’ils ne parviennent à s’entendre, il leur faudra en tout état de cause résister à la tentation de dissimuler sous le tapis la poussière de leurs différends. Sur le front politique, le débat porte sur la question de ce que l’UE doit désormais ambitionner d’être. La tentation postélectorale est d’y apporter une seule et unique réponse: moins. Suivre cette voie serait une erreur compréhensible, mais quand même une erreur. Bien que les citoyens soient divisés quant au degré d’intégration qui est au bout du compte souhaitable, ils partagent clairement la conviction qu’à tous les nouveaux, les gouvernements doivent apporter des résultats. Ceci vaut aussi pour l’UE, notamment en ce qui concerne l’euro. Peu avant sa mort, l’ancien membre du conseil de la BCE et ancien ministre italien des Finances Tommaso Padoa-Schioppa avait eu une formule saisissante: nous confondons souvent, avait-il dit, pouvoir limité avec pouvoir faible, c’est-à-dire privé des outils nécessaires pour agir au sein de sa sphère d’autorité. Or, seule cette sphère d’autorité doit être limitée, et non le pouvoir d’agir dans le cadre de ces limites.
Les dirigeants européens feraient bien d’adopter cette maxime: l’heure n’est pas à davantage d’Europe, mais à une Europe qui remplisse pleinement son mandat. Ceci pourrait signifier la suppression de certaines tâches inutiles face auxquelles l’UE manque soit de légitimité, soit n’est pas suffisamment équipé. Ceci pourrait également impliquer que soit conféré à l’UE les pouvoirs qu’il lui faut pour réussir ce dont elle est d’ores et déjà en charge. Certains trouveront sans doute pareil agenda bien terne. Peut-être auront-ils raison. Il offre cependant la meilleure chance de réconcilier les peuples d’Europe avec l’UE.
L’euro, une bonne idée finalement?
Selon un récent sondage d’opinion, les trois quarts des Français doutent que l’euro ait été une bonne idée. Une même proportion est tout aussi convaincue qu’il ne faut pas en sortir. Le message adressé aux institutions de l’UE est clair: nous avons peut-être fait une erreur en vous confiant cette tâche, mais la décision a désormais été prise, et votre rôle consiste à faire fonctionner l’euro.
Autrement dit, il est peu probable que les citoyens de l’Europe approuvent quelque projet destiné à étendre le champ des politiques et de l’autorité de l’UE; ils restent cependant très conscients de la nécessité pour l’UE d’honorer des obligations qui lui incombent dans le domaine qui est le sien.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Copyright: Project Syndicate, 2014.
SOURCE WEB PAR JEAN PISANI-FERRY L’ECONOMISTE
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