Emmanuel Macron en Algérie : quelles sont les implications géostratégiques de cette visite ?

Le président français est arrivé ce jeudi en Algérie, où il va rester pendant trois jours. Officiellement, cette visite vise à consolider les liens et a enterrer la hache de guerre entre les deux pays. Officieusement, la France cherche un nouveau partenariat pour combler ses besoins en énergie. Et l’Algérie vise à conclure de nouveaux investissements. Pour que chaque partie réponde aux attentes de l’autre, un seul point est en jeu : la question du Sahara. Décryptage.
Emmanuel Macron, président de la France, entame ce jeudi une visite officielle de trois jours en Algérie. Selon l’Élysée, ce déplacement vise à tourner la page des années de différends et de tensions entre le pays hôte et l’Hexagone. La même source indique que le dirigeant français veut se concentrer sur la «reconstruction» d’une relation encore entachée par le passé trouble de la colonisation.
Pour Paris, l’amélioration de ses liens avec Alger revêt une importance croissante en raison de la pénurie d’énergie induite par la guerre de la Russie en Ukraine. Ce conflit a renforcé la demande en gaz naturel nord-africain. De son côté, l’Algérie veut profiter de la flambée des prix de l’énergie pour signer d’importants contrats et projets d’investissement, comme elle l’a déjà fait avec l’Italie et la Turquie. Notons que ce pays est le troisième plus grand fournisseur de gaz de l’Union européenne (UE), représentant 8,2% de ses importations en 2021.
Il faut préciser qu’il s’agit de la deuxième visite d’Emmanuel Macron en Algérie depuis 2017, et sa première depuis qu’il a indiqué que le gouvernement d’Alger avait adopté «un système politico-militaire» et que la «nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle (…) un discours qui, il faut bien le dire, repose sur une haine de la France». D’ailleurs, rappelons-le, après ces propos, avancés en octobre 2021, l’Algérie a rappelé son ambassadeur à Paris en signe de protestation. Depuis, le président français a présenté ses excuses et les deux dirigeants ont décidé de redynamiser leur coopération.
Quid de l’ampleur géostratégique de cette visite pour l’Algérie
Pour un décryptage plus poussé de cette visite, nous avons contacté Mohamed Tajeddine Houssaini, professeur des relations internationales à la Faculté de droit de l’Agdal à Rabat. Ce dernier nous a d’abord expliqué qu’«il faut faire une distinction entre le peuple algérien et le régime algérien». Selon lui, «le peuple n’a toujours pas oublié les 132 ans de colonisation française ni les milliers de ses concitoyens qui ont perdu la vie pendant la guerre pré-indépendance. Par contre, le régime en place voit en la visite d’Emmanuel Macron un moyen de plus pour défier et affecter la position géostratégique du Maroc. Mais aussi, il y voit une opportunité pour conclure un nouveau partenariat avec l’Europe en matière d’exportation d’énergie, notamment de gaz naturel».
L’expert souligne qu’à la suite à l’invasion russe en Ukraine et la perturbation des chaines d’approvisionnement liées aux énergies, «l’Algérie s’estime aujourd’hui en position de force. Elle se présente comme un partenaire idéal pour l’Europe – qui souffre d’une pénurie énergétique – en remplacement de la Russie». Le pays nord-africain chercherait non seulement à augmenter ses exportations en gaz naturel, mais aussi celle de son pétrole, vu la cherté et la rareté actuelles de ces deux ressources. Notre intervenant souligne ainsi «que l’agressivité de l’Algérie s’intensifie à chaque fois que les prix du pétrole connaissent une flambée dans le monde».
D’un autre côté, poursuit le professeur, «le gouvernement algérien veut se saisir de toute distraction qui pourrait faire oublier au Hirak les défaillances et les problématiques internes dont souffre le pays. Il souhaite également profiter de la visite de Macron pour lui proposer des livraisons d’énergie, contre une position plus favorable à l’Algérie concernant la question du Sahara». Une position qui risque d’éloigner davantage le Maroc de la France et d’exacerber les tensions entre les deux pays.
Quelles implications pour le Maroc ?
Pour sa part, Nabil Adel, enseignant-chercheur en géopolitique, indique que, «pour le moment, l’Algérie est confrontée à une impasse géostratégique. Si la France apporte son soutien au plan d’autonomie proposé par le Maroc pour la résolution du dossier du Sahara, ce dernier sera définitivement clos et marquerait l’échec de tous les efforts de déstabilisation régionale du régime algérien. Par contre, l’ambiguïté de la position de l’Hexagone quant à cette question est le dernier espoir de l’Algérie de prolonger artificiellement le débat sur ce dossier».
L’expert soutient que la France cherche à exploiter ce flou pour soutirer le maximum d’avantages de l’Algérie, notamment en matière d’approvisionnement en gaz naturel, d’investissements et de coopération, etc. «D’où l’anticipation par le Souverain, dans son dernier discours, de cette éventuelle manipulation». Il a prévenu qu’une réticence de l’Hexagone concernant la clarification de sa position sur le dossier du Sahara ne fera qu’intensifier les tensions entre les deux pays. Il faut préciser que la France commence déjà à perdre du terrain au Maroc. À titre d’exemple, souligne le politologue, la Chine a manifesté son intérêt pour la récupération et la poursuite de la réalisation du projet de la ligne à grande vitesse du Royaume. Un marché qui était détenu auparavant par la France.
Pour conclure, le Professeur Adel estime que «le Maroc doit maintenir la pression. Le dossier du Sahara est un point d’inflexion. Si la France se range du côté de la raison internationale, telle que manifestée par l’Espagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, les États-Unis, le Portugal, plusieurs pays de l’Europe de l’Est, les pays arabes et 40% des pays d’Afrique, qui ont ouvert des consulats dans le Sud, on va enfin pouvoir clore ce dossier artificiel et passer à des projets beaucoup plus structurants et stratégiques».
Et de prévenir que «plus la France tarde à se prononcer sur ce sujet, clos de toutes les manières, plus elle aura du mal à récupérer le retard qu’elle est en train de creuser au Maroc, où d’autres pays qui se sont déjà déclarés favorables au plan d’autonomie proposé par Rabat, bénéficieront de la manne que représente le Royaume sur bien des sujets».
SOURCE WBE PAR Lebrief
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