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La "grande démission" dans le tourisme est-elle une fatalité ?

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Brice Duthion, manager du projet Campus sud des métiers tourisme de la CCI Nice Côte d'Azur, revient sur les bouleversements engendrés par la crise liée au covid-19. Pour cet expert, la grande démission n'est pas une fatalité. La transformation des organisations est en marche et irrévocable. Les entreprises n'auront d'autres choix que de s'adapter.

Le mur de la « grande démission » est là, même pas devant nous, mais contre nous. Nous nous y sommes déjà fracassés. Souvenons-nous de Churchill. « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu'il ne nous prenne par la gorge » - Depositphotos.com Auteur eamesBot

Il était un temps pas si lointain, à peine deux années, où fleurissaient sur les réseaux sociaux la notion qui semblait alors nouvelle du « monde d’après ». C’était le temps du premier confinement du printemps 2020, un temps comme suspendu. On évoquait alors la période que l’on vivait comme « inédite ».

On imagina pendant ces deux mois de vie bouleversée le « monde d’après ». Quel était-il ce « monde d’après », quelles promesses lui imaginait-on, quelles valeurs lui donnait-on ? Assurément, la fin d’une dérive économique et industrielle, la volonté de préserver la planète, l’annonce d’engagements responsables, la déclaration de changements de consommation ou de modes de vie.

Certains se gaussèrent de cette naïveté, affirmant que le « monde d’après » ressemblerait au « monde d’avant », mais en pire.

D’autres y virent le signe de la nécessité de transformer leurs vies, qui par ces semaines passées loin des espaces partagés, loin des réunions inutiles, loin des managers tyranniques, avaient trouvé ou retrouvé un sens, ignoré parfois jusqu’alors.

Le monde du tourisme a traversé sa première véritable crise

Le monde du tourisme a traversé sa première véritable crise. Une crise majeure, à la fois structurelle et conjoncturelle. Juste après le premier confinement, les aspirations à vivre, à respirer, à profiter de la vie, se manifestèrent.

Les entreprises touristiques retrouvèrent une activité significative, et les plans de sauvegarde furent rapidement justifiés. Les Français étaient fiers de leur pays, de sa diversité.

Les semaines de l’été 2020 marquèrent le triomphe de la très grande proximité, à la fois géographique, écologique et humaine.

La vie reprenait ses droits, sous des formes nouvelles. La notion de contrainte semblait évoluer, au gré des annonces de ces secteurs qui furent déclarés comme prioritaires, puis ne le furent plus. Bref, une certaine forme de cacophonie accompagna les reprises, les fermetures.

Qui était utile ? Qui ne l’était pas ? Les mots ont un sens. L’inutilité sociale ou économique fit son travail, chemin faisant…

La mutation du travail

Rapidement, la mutation du marché du travail intéressa. Comment les personnes qui vécurent enfermées pendant deux mois et restèrent enfermées en famille, seulement connectées au reste du monde, dont leurs entreprises, par leurs différents écrans allaient bien pouvoir retourner au travail ? Cela questionna, interrogea.

Puis franchement dans de nombreux secteurs, la question inquiéta, tant les premiers retours des employeurs furent alarmistes. Les employés fuyaient, à une vitesse inconnue, inégalée, inédite. Les métiers de la santé en furent les premiers touchés.

Trente années de fermeture de lits, de tableurs Excel érigés en modèles stratégiques infaillibles soulignèrent combien les décisions prises le furent souvent en dépit du bon sens. Les soins, donc les patients, furent hiérarchisés.

La tarification à l'activité (T2A) devint le mode de financement unique des établissements de santé, publics et privés dans le cadre du plan « Hôpital 2007 ». La dilution d’un modèle qui fit la fierté du service public à la française, et d’une forme d’égalité républicaine fut attaqué de toute part. En deux ans, le nombre de postes vacants d’infirmiers est passé de 10?000 en 2019 à plus de 60?000 en 2021.

Les exemples se multiplièrent dans de nombreux autres secteurs, présentés comme pourvoyeurs d’emplois à faible valeur ajoutée, peu rémunérés et aux conditions d’exercices souvent difficiles : le transport, la logistique, et bien évidemment l’hôtellerie et la restauration.

Mais d’autres profils ont été touchés. C’est ce que montra le documentaire « Ruptures », par le parcours de six jeunes diplômés d'écoles de management remettant en cause le modèle économique contemporain et aspirant à trouver du sens à leur travail. La notion de « bullshit job » fut partagée, ces fameux « emplois à la con » décrits par David Graeber.

La transformation des organisations est en marche

La "grande démission" dans le tourisme est-elle une fatalité ?

2022 souligne deux années de transformation sociétale majeure : les démissions massives font parties désormais du vocabulaire commun.

On parle de “The Great Resignation” ou “The Big Quit” aux USA. En France, au troisième trimestre 2021, plus de 620 0000 démissions et ruptures conventionnelles et été observées, soit une augmentation d’environ 20% par rapport a? son niveau de 2019.

Cette situation aurait pu apparaître paradoxale il y a encore un peu plus de deux années. Mais elle semble presque logique aujourd’hui. Tant le chemin parcouru sur la quête de sens, d’engagement et de réalisation de soi dans le monde professionnel semble être devenu quotidien.

Vacuité de la vie professionnelle d’avant, quête de sens individuelle et collective, recherche d’équilibre, aspiration a? une vie professionnelle apaisée, management horizontal et moins descendant, autonomie et liberté.

Sont-ce là des acquis sociétaux nouveaux, des revendications illusoires ou bien des objectifs à prendre en compte, tant par les pouvoirs publics que les organisations ? La transformation des organisations est en marche. Et osons l’affirmer, leur transformation humaine est irrévocable. Elle est même devenue l’ultime étape de la transformation touristique.

Le mur de la « grande démission » est là

La compréhension de transformation humaine et la décision d’actions qui en résulte est l’étape que beaucoup d’organisations semblent encore repousser aujourd’hui.

Mais le mur de la « grande démission » est là, même pas devant nous, mais contre nous. Nous nous y sommes déjà fracassés. Souvenons-nous de Churchill. « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu'il ne nous prenne par la gorge ».

La Grande démission n’est pas une fatalité pour le tourisme si et seulement si on respecte, au moins, quatre conditions :

- Analyser objectivement la situation : on accepte l’idée que la Covid19 est un révélateur des fragilités, que l’attente des salariés a changé (avec un passage en quelques mois du « que puis-je faire pour l’entreprise ? » au « que l’entreprise peut faire pour moi ? ») et que cette crise des vocations est largement partagée et mondialisée, donc les réponses ne pourront être que collectives.

- Transformer nécessairement les organisations : on transforme les organisations en commençant par une nécessaire et indispensable stratégie autour des notions de raison d’être, de valeurs et d’engagement. Combien d’entreprises touristiques en sont aujourd’hui capables ? Le vecteur de la transformation doit passer par une véritable stratégie RSE et pas uniquement la pose de quelques cautères sur des jambes de bois. Et la transformation passe d’abord par les RH (organisation, management, équipe). L’humain, la transformation humaine, constitue la prochaine frontière du tourisme.

- Penser autrement « l’expérience salarié » : je l’ai déjà écrit dans cette chronique, il est temps de réfléchir à la place de l’humain dans le tourisme. Avec ce paradoxe et ce qui semblait pouvoir être une opposition entre le client et le salarié. Il faut impérativement que les entreprises et plus largement les organisations donnent du sens aux emplois pour générer l’engagement des salariés. Et qu’elles se concentrent sur la notion de parcours de ces derniers.

- Préparer collectivement l’emploi touristique de demain : il convient d’agir en équipe, en collectif, à l’échelle d’un territoire ou d’une destination pour la transformer. Il faut y associer tous les acteurs, analyser les besoins par exemple par une GPEC territoriale et la volonté manifeste de former tous types de personnes (handicapés, jeunes, chômeurs, migrants, etc.) à des métiers, à des compétences professionnelles, à des savoir-être et pas uniquement à des diplômes.

La transformation du secteur est nécessaire

La « grande démission » dans le tourisme n’est assurément pas une fatalité. Mais il faut une conviction partagée et une volonté exprimée à toutes les strates de décision.

A commencer par l’État. Inutile de dire que l’absence d’un ministre du tourisme dans le Gouvernement d’Elisabeth Borne ne présage pas une politique ambitieuse en la matière.

Citions de nouveau Churchill. « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté. »

La difficulté de représenter le tourisme au plus haut échelon des politiques publiques constitue assurément une magnifique opportunité et un défi manifeste.

Le secteur doit se mobiliser pour agir. Parce que sa transformation est nécessaire. Et son avenir en dépend. Le tourisme du « monde d’après » s’écrit chaque jour davantage.

Avec, soyons-en certain(e)s, au cœur du dispositif sa transformation humaine.

Brice Duthion est manager du projet Campus sud des métiers tourisme de la CCI Nice Côte d'Azur. Il est également consultant et expert indépendant en tourisme, culture et développement territorial. Il intervient auprès de nombreux acteurs publics et privés, est expert auprès de l'Open Tourisme Lab, du CNFPT et de l'INSET de Dunkerque et fait partie de l'équipe des blogueurs du site etourisme.info.

Il a été auparavant maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (Le Cnam), enseignant et tuteur à l'Ecole Urbaine de Sciences Po Paris, vice-président de la Conférence des formations d’excellence en tourisme (CFET) et membre fondateur de l'Institut Français du Tourisme (IFT).

Brice Duthion est l'auteur de nombreux ouvrages et articles spécialisés en tourisme. Il a assuré la direction de la collection "tourisme" aux éditions de Boeck supérieur. Il est, enfin, l'auteur de plusieurs MOOC mis en ligne sur France Université Numérique (FUN).

Le 2 Juin 2022

Source web par : tourmag

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