Comment le Maroc compte faire face à la raréfaction de l'eau
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La raréfaction des ressources en eau est en passe de rattraper plusieurs pays. Le Maroc, qui se trouve dans une région particulièrement touchée par ce fléau, a lancé une Stratégie nationale en 2009, initié un programme national en 2020 et mis en place un cadre réglementaire pour réagir aux pénuries de cette ressource vitale. À ces mesures sont venus s'ajouter également des programmes d'urgence pour rattraper le retard pris dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale.
Garantir la desserte en eau potable pour l'ensemble des citoyens et couvrir les besoins des secteurs agricole, industriel, touristique et autres en eau, sans pour autant épuiser les réserves des barrages ou celles des nappes phréatiques, voilà tout le casse-tête qui se pose aujourd'hui. Le Maroc, qui a lancé sa Stratégie nationale de l'eau en 2009, et vient de démarrer le programme national pour l’approvisionnement en eau potable et l'irrigation (2020-2027), est toujours en train de réajuster ses actions pour pallier la succession d'années de sécheresse.
Un programme national de 115 milliards de DH et un autre d'urgence de 3 milliards de DH
Le programme national pour l’approvisionnement en eau potable et l'irrigation 2020-2027 a été lancé il y a deux ans par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. D'un coût global de 115 milliards de dirhams, ce programme est destiné d'une part à assurer la desserte en eau potable des citoyens et, d'autre part, à fournir les eaux nécessaires à l'irrigation des terres agricoles. Aussi, divers autres programmes ont été déployés avec pour principal objectif la gestion des ressources en eau à travers la construction de barrages. Ainsi, à ce jour, le Maroc compte 148 barrages. Ces rappels sont ceux de Nizar Baraka, ministre de l’Équipement et de l'eau, qui revient, dans une interview accordée à l'agence MAP, sur les actions entreprises par le Maroc ces derniers temps pour faire face à la raréfaction des ressources en eau. Le ministre s'est également attardé sur les efforts déployés pour améliorer l'accès de la population à l'eau, notamment dans les zones rurales et montagneuses. La couverture de ces zones par des canaux de distribution d'eau est de près de 98%, et 40% de la population en milieu rural dispose d'un raccordement à l'eau, contre 100% en milieu urbain, a-t-il précisé.
Des efforts certes considérables, mais qui restent contrés par la succession d'années de sécheresse, comme cette année où le taux de remplissage des barrages n'est actuellement que de 34%, avec un volume de 5,3 milliards de m³, sur une capacité totale des barrages de plus de 19 milliards de m³, souligne M. Baraka. Il a par ailleurs indiqué qu’une évaluation qui a été faite a révélé un retard dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale de l'eau. À cet égard, des Directives Royales ont été données pour la mise en place d'un programme de rattrapage afin de répondre aux enjeux à venir.
M. Baraka est également revenu sur le programme d'urgence de près de 3 milliards destiné à compenser le déficit hydrique accusé par certains bassins hydrographiques. Ainsi, et concernant le bassin de Moulouya, le taux de remplissage de ses barrages ne dépasse pas 11%, ce qui affecte négativement la population des régions qui en dépendent (notamment l'Oriental). Cette situation est due, selon le ministre, aux changements climatiques et à la baisse des précipitations, d'une part, et au retard dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale de l'eau, d'autre part. À Saïdia, par exemple, il était prévu de boucler le projet de construction d'une station de dessalement de l'eau en 2018 pour assurer la desserte en eau des populations de Nador, Driouch et Saïdia.
Voilà pourquoi un programme a été mis en place pour le bassin de Moulouya doté d'un budget de 1,3 milliard de dirhams. Ce programme vise à exploiter l'ensemble des ressources en eau mobilisables, notamment par l'exploration de nouvelles nappes phréatiques ou le lancement d'un programme de dessalement de l'eau à Nador. Il a également été procédé, dans ce cadre, à la réalisation de nouveaux barrages collinaires au niveau de ce bassin hydraulique, a fait savoir M. Baraka, ajoutant que onze autres barrages collinaires seront également réalisés à terme.
Quant au bassin du Tensift, il accuse également un déficit en eau avec un taux de remplissage de ses barrages qui ne dépasse pas 34%, dit le ministre. Dans ce contexte, la ville de Marrakech pâtit elle aussi du manque d'eau. Cette situation a imposé la mobilisation de 20 millions de m³ à partir d'un barrage pour assurer l'approvisionnement en eau de cette ville. Par ailleurs, les autorités déploient de sérieux efforts pour venir à bout du phénomène de «vol d'eau» dans la région et de celui relatif à l'état des canaux d'eau qui enregistrent des pertes comprises entre 40 et 60%.
De même, il est prévu le lancement dans les prochaines semaines du grand projet de dessalement de l'eau de Casablanca qui portera sur un volume de 300 millions de m³. La liaison de Casablanca Nord à Casablanca Sud a permis de réduire la pression sur le barrage d'Al Massira. Quant au bassin du Bouregreg, c’est surtout le barrage de Sidi Mohammed Ben Abdallah qui sera le plus sollicité. À cela s'ajoute la réalisation de barrages collinaires dans le bassin d'Oum Er Rbia. Il est aussi prévu de mettre au point un système de gestion intégrée de la nappe phréatique dans la région de Berrechid et de conclure des contrats dans cette importante zone agricole afin de satisfaire les besoins en eau, sans pour autant que cela implique des pertes en eau potable.
En complément de ces programmes urgents, on assistera cette année au lancement d'un programme portant sur 120 barrages collinaires et devant se terminer en 2024, a ajouté M. Baraka, expliquant que les barrages collinaires jouent un rôle important dans la lutte contre les inondations, assurent l'approvisionnement en eau du bétail et alimentent les nappes phréatiques. Et de signaler que la nappe phréatique subit une exploitation excessive et la ville de Berrechid à elle seule accuse une diminution annuelle de 2 m³ de sa nappe phréatique, alors que celle de la région d'Al Houz en accuse 1,5 m³.
Programmes de dessalement de l’eau : quelles perspectives ?
Le dessalement de l'eau figure actuellement parmi les projets prioritaires du ministère dirigé par M. Baraka. Grâce à ses deux façades maritimes, le Maroc a fait des progrès significatifs dans le domaine des énergies renouvelables, tant solaires qu'éoliennes, qui devront permettre de dessaler l'eau à moindre coût, indique M. Baraka. Et le ministre de poursuivre que d'importantes stations ont été lancées dans les régions du sud (Laâyoune et Sidi Ifni). De plus, la nouvelle station, réalisée dans le cadre d'un partenariat public-privé dans la région de Chtouka Aït Baha, est appelée à assurer l'approvisionnement en eau potable d'Agadir et à contribuer à alimenter le secteur agricole, grâce à l'irrigation des exploitations s’étendant sur plusieurs hectares.
À Dakhla, le projet de dessalement de l'eau à travers l'exploitation de l'énergie éolienne est également prévu. Il permettra d'assurer l'approvisionnement en eau potable et l'irrigation de grandes zones agricoles sans faire appel aux réserves de la nappe phréatique. De la sorte, on maintiendra son niveau actuel tout en assurant un approvisionnement en eau pour le secteur agricole, ce qui contribuera à améliorer les revenus des petits et moyens agriculteurs de cette région. Selon M. Baraka, une vingtaine de stations au total verront le jour dans les années à venir. Il s'agit d'une orientation qui concerne des villes telles Casablanca, dont la station sera opérationnelle d'ici 2026-2027, Safi (2025) ou Nador.
Quelle stratégie de l'eau faut-il adopter à l'avenir ?
Pour le ministre Baraka, il est grand temps de passer à une gestion intégrée de l'eau. Celle-ci peut assurer une exploitation des ressources en eau à moindre coût, plus efficace et plus rationnelle. Ainsi, l'eau potable sera garantie pour tous les citoyens, de même que les eaux destinées à l'irrigation et à toutes les autres activités économiques. Cette gestion intégrée doit être incorporée dans la vision prospective des villes, a affirmé le ministre, indiquant que des réunions avec les départements concernés (Agriculture, Habitat, Urbanisme, Transition énergétique et Développement durable) ont été organisées dans le but de créer des groupes de travail «conjoints» pour appréhender ces questions, pérenniser les ressources en eau pour les habitants ainsi que pour les activités économiques.
M. Baraka a tenu a rappelé que le nouveau modèle de développement a soulevé la question de l'eau, en indiquant que le Maroc sera confronté à une forte pression due au changement climatique et l'on passe aujourd'hui de la phase de pénurie à celle de rareté de l'eau. Cette pénurie impose, selon lui, de multiplier les efforts en termes de construction de barrages, d'exploration de nouveaux gisements d'eau souterraine, de traitement des eaux usées en vue de leur réutilisation, de construction de stations de dessalement de l'eau, ou encore de préservation des nappes phréatiques.
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Entretien avec Mohammed Benabbou, expert en climat et développement durable
«Le Maroc atteindra un niveau de stress hydrique extrêmement élevé à l’horizon 2040»
Le Maroc passe de la phase de carence en eau à la phase de la rareté de l’eau. Cette phrase lourde de sens est de Nizar Baraka, ministre de l’équipement et de l’eau qui s’exprimait il y a quelques jours dans un entretien accordé à la MAP. Malheureusement, les chiffres lui donnent raison : cette année est marquée par le recul de 59% des ressources hydriques. Le taux de remplissage des barrages a atteint actuellement seulement 34% avec 5,3 milliards m³, alors que la capacité des barrages dépasse les 19 milliards m³. Eclairage de Mohammed Benabbou, expert en climat et développement durable.
Le Matin : Il y a quelques jours, le ministre de l’Équipement et de l’eau a déclaré que le Maroc passait de la phase de carence en eau à la phase de rareté de l’eau. Qu’est-ce que cela veut dire exactement selon vous ?
Mohammed Benabbou : Cela veut dire tout simplement qu’on est passé de 2.500 mètres cubes d’eau douce par habitant en 1960 à 500 mètres cubes actuellement. Et la situation sera plus compliquée encore si le scénario prévu par le World Ressources Institute se concrétise. Car cet organisme a indiqué dans son dernier rapport que le Maroc atteindra un niveau de stress hydrique extrêmement élevé à l’horizon 2040, c’est-à-dire que la demande dépassera les ressources disponibles. Il faut savoir aussi qu’on est déjà passé sous la barre symbolique des 1.000 mètres cubes d’eau douce par habitant par an. Bien sûr, ce ratio varie selon les régions. Et si la région de Souss-Massa et la région de l’Oriental ont subi de plein fouet les conséquences de la sécheresse, il y a d’autres bassins hydrauliques qui souffrent d’un problème de réel de stress hydrique : Tensift, Oum Er Rbia et Moulouya.
Pourquoi en est-on arrivé là, selon vous ?
Cette situation est due bien sûr à la raréfaction des pluies liée au réchauffement climatique et la surexploitation des nappes phréatiques. Plusieurs zones humides se dessèchent ou disparaissent. Et la pollution des eaux des fleuves et des eaux souterraines complique la situation, puisque le taux de dégradation des écosystèmes due aux changements climatiques est devenu très élevé et peut représenter une menace pour la sécurité de l’eau et la sécurité alimentaire aussi.
Comment faire face à cette situation ? Quelles sont les solutions possibles ?
Plusieurs solutions sont disponibles. Pour commencer, on doit œuvrer davantage pour la récupération des eaux de pluie et pour la réutilisation des eaux usées. Dans ce cadre, des mesures urgentes seront mises en œuvre dans les bassins hydrauliques de la Moulouya, de l’Oum Er Rbia et du Tensift. Ainsi, des partenariats ont été conclus entre des différents acteurs, pour le financement et la réalisation d’actions urgentes au niveau du bassin hydraulique de Moulouya. Dans ce sens, seront lancées l’étude de faisabilité et la réalisation de la station de dessalement de Nador, ainsi que la réalisation de la première tranche des petits barrages et des lacs collinaires (une dizaine). Il s’agit également de la réalisation des études bathymétriques au niveau des barrages Mohammed V, Oued Za et Hassan II par l’Agende du bassin de Moulouya, la réalisation d’une conduite d’adduction au niveau de la rive gauche de la Station de traitement de Nador pour canaliser les besoins en eau potable afin de réduire les pertes estimées à plus de 40%.
Au niveau du bassin hydraulique de l’Oum Er Rbia, les actions urgentes et structurantes prévues concernent notamment l’achèvement de la première tranche du projet d’interconnexion eau potable entre Bouregerg et sud de Casablanca, la réservation d’un volume transférable de 40 millions de m³ au niveau du barrage de bin El Ouidane vers le barrage Al Massira pour renforcer la réalisation de la première tranche de petits barrages et de lacs collinaires du bas de l’Oum Er Rbia, l’installation des barges flottantes au niveau d’Al Massira, le dégagement de nouvelles ressources souterraines de secours, la surveillance des transferts d’eau dans les différents canaux multiservices de transports pour empêcher les prélèvements d’eau non autorisés, le renforcement des campagnes de recherches et la réparation des fuites au niveau des différents réseaux de production et de distribution d’eau potable, la réalisation de la deuxième tranche du projet d’interconnexion eau potable Bouregreg et sud de Casablanca pour atteindre 4 m³/s et soulager le bassin d’Oum Rabia. Il s’agit aussi de l’accélération de la réalisation du projet de dessalement de Casablanca de 300 millions m³/an, la mise en œuvre des réseaux d’adduction (eau potable et irrigation), l’accélération de la réalisation de la station de dessalement d’eau de mer de Safi pour un débit de 30 millions de m³/an, la réalisation de la première tranche de petits barrages et de lacs collinaires. Pour ce qui est des actions urgentes au niveau du bassin hydraulique du Tensift, elles portent notamment sur la réservation d’un volume de 20 millions de m³ pour Marrakech à partir du barrage Moulay Youssef.
Si rien n’est fait, quels sont les risques encourus ?
Le Maroc se trouve dans une situation de stress hydrique chronique qui s’est accélérée au cours des vingt dernières années, comme en témoigne la forte pression sur les ressources hydriques du pays. Malgré le renforcement, dès les années 1960, des infrastructures destinées à la mobilisation des ressources en eau, la disponibilité de ces ressources est demeurée sous pression, en raison du caractère erratique des précipitations, ainsi que de la surexploitation de ces ressources, en particulier par le secteur agricole qui consomme plus de 85% des ressources disponibles. Donc il y aura toujours des risques, mais qui seront plus dues aux effets du changement climatique qu’à la gestion des ressources en eau disponibles. Mais je pense que la mise en œuvre de Plan national de l’eau 2050 va garantir la sécurité alimentaire et la sécurité en eau pour les générations futures.
Le 01 février 2022
Source web par : le matin
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