Dans le Maroc rural, la vie dans les zones arides racontée par des spécialistes
Dans les régions rurales arides, la pluie a, sans surprise, été moins abondante qu’ailleurs. Les populations ont parfois un accès compliqué aux puits, car toutes n’en sont pas dotées, et les lâchers de barrages, parfois insuffisants, compliquent davantage leur accès à l’eau. Et lorsque l’eau ne leur parvient pas en quantité suffisante et que les touristes, même locaux, se font rares, elles doivent compter sur d’autres sources de revenus.
Les pluies ont certes été très importantes cette année dans les principales régions agricoles, au point de susciter la joie des agriculteurs, mais dans d’autres régions, très arides, elles ont été moins abondantes.
"Oui, l’année a effectivement été très bonne en termes de pluviométrie. Le remplissage des barrages est plus important que l’année dernière et les nappes phréatiques ont été en partie rechargées – en partie seulement, car une bonne année pluviométrique ne peut suffire à les recharger entièrement. Depuis plusieurs années, la pression sur les nappes est forte. Dans la Vallée du Drâa par exemple, à certains endroits, le niveau des nappes a baissé de 15 à 40 mètres entre 1980 et 2020. Ailleurs, dans certaines régions du Saïss, le niveau baisse à hauteur de deux mètres par an environ. C’est dire si une seule année ne peut suffire à regorger les nappes", explique Lisa Bossenbroek, sociologue spécialisée en sociologie rurale et chercheuse rattachée à l’université allemande de Koblenz-Landau.
"Les régions oasiennes ont un rapport différent à la pluie. Que l’année soit bonne ou pas en termes de pluviométrie, cela ne change pas grand-chose. Les régions sahariennes sont marquées par des zones de grandes crues qui arrivent par les vallées. La dernière vraie crue date de 2014 : le Drâa était plein, rempli d’eau. Il y avait de l’eau dans la Vallée du Drâa jusqu’à Tan-Tan. C’est rare", souligne Zakaria Kadiri, ingénieur agronome et professeur de sociologie à la faculté des lettres et des sciences humaines Ain Chock de Casablanca.
Un accès parfois difficile aux puits et des lâchers de barrages insuffisants
Dans la Vallée du Drâa, région rurale où le climat est sec, les agriculteurs comptent notamment sur les lâchers de barrages, notamment celui d'El Mansour Eddahbi, pour irriguer leurs terres. "Le dernier lâcher a été effectué il y a une quinzaine de jours. Or hier matin, lorsque nous y sommes allés, nous avons constaté que le lit de la rivière était déjà desséché", explique de son côté Hind Ftouhi, ingénieure agronome, qui prépare actuellement une thèse en sociologie rurale à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II. "Une femme nous a expliqué que dans sa communauté, le lâcher d’eau n’a duré qu’une journée ou deux. Une autre originaire du village de Ksar Tissergate nous a dit que certains agriculteurs n’ont pas travaillé leur jardin car il n’y a pas d’eau. Même les palmiers dattiers, culture centrale dans l’économie oasienne – elle permet de constituer une petite trésorerie –, n’ont quasiment rien donné cette année", ajoute Hind Ftouhi.
Lorsque les lâchers de barrages ne sont pas suffisamment importants pour irriguer toutes les parcelles, les agriculteurs comptent sur leurs puits. Mais voilà, deux problématiques se posent : "Les puits ne sont pas systématiquement des sources d’eau. Les agriculteurs peuvent creuser jusqu’à plusieurs dizaines de mètres dans le sol et ne pas trouver d’eau, ou alors de mauvaise qualité. C’est justement l’autre problème : l’eau, de plus en plus salée à certains endroits, rend impossible son utilisation pour irriguer certaines cultures intolérables au sel. Un agriculteur nous a dit qu’il préférait ne pas irriguer du tout plutôt que de le faire avec de l’eau salée qui risque d’endommager ses cultures. Cela peut être dû à la composition des pierres nichées dans les strates du sol, ou à une augmentation de la concentration de sel dans ce qui reste d’eau dans le sol", expliquent Lisa Bossenbroek et Hind Ftouhi, qui se trouvent actuellement dans la région de Zagora.
Il faut dire cependant que tous les agriculteurs ne disposent pas d’un puits. "Ceux-là sont donc dépendants des bonnes relations avec le voisinage et avec la communauté en général. Ils dépendent en effet des puits des voisins, qu’ils doivent rémunérer pour en avoir l’accès", poursuivent-elles.
Des populations pluriactives contraintes de trouver d’autres sources de revenus
A écouter les récits de ces agriculteurs, que nous relaient Lisa Bossenbroek et Hind Ftouhi, on comprend que ces hommes et leurs familles, faute d’avoir un accès suffisant à l’eau, et de surcroît de qualité, doivent nécessairement se tourner vers d’autres sources de revenus. "Ces populations sont pluriactives ; elles savent qu’elles ne peuvent pas compter sur une seule et unique source de revenus. Beaucoup de fils migrent dans les grandes villes pour travailler et envoyer de l’argent à leurs familles", rappelle Hind Ftouhi.
"Dans les régions oasiennes, il y a deux sources d’eau : l’eau superficielle, qui vient des barrages ou de la pluie, et les eaux souterraines, c’est-à-dire les forages et les puits. Mais lorsque l’eau n’est pas présente en quantité suffisante, les familles s’en remettent aux revenus de la migration, nationale et internationale", indique de son côté Zakaria Kadiri. Et d’ajouter : "Il y a bien quelques touristes locaux actuellement, mais c’est loin d’être suffisant pour générer des revenus. Lorsqu’elles ne peuvent pas suffisamment compter sur leur production agricole ou la vente de produits artisanaux aux touristes, les familles comptent donc surtout sur d’autres membres basés dans les grandes villes du Maroc ou à l’étranger."
Et pour celles et ceux qui restent, notamment les femmes ? "Certaines femmes ont des coopératives de pain : elles produisent du pain et les vendent autour d’elles, notamment à des hôtels de la région et lors des grands rassemblements comme les mariages. Pendant le confinement et après, elles ont été très affectées puisque les regroupements étaient interdits, ou du moins drastiquement limités, mais, depuis quelque temps, la vie reprend peu à peu son cours et elles peuvent à nouveau vendre une petite partie de leur production. Les coopératives sont devenues une alternative importante pour pallier l’insuffisance des revenus agricoles", indique Lisa Bossenbroek. "Les coopératives de tapis sont aussi une autre source de revenus pour ces femmes. Elles les vendent en grande partie aux touristes mais, le secteur étant à l’arrêt en ce moment, leurs revenus en ont forcément pris un coup. Elles attendant avec impatience leur retour pour pouvoir à nouveau vendre leurs produits", conclut Lisa Bossenbroek.
Le 06 avril 2021
Source web Par : medias24
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