Le tourisme dans la région Drâa Tafilalet est face à un nouveau départ
La crise du tourisme provoquée par la pandémie de Covid 19 a frappé de plein fouet le Maroc et tout particulièrement la région Drâa Tafilalet alors que commençait à peine sa haute saison, entre l’hiver et l’été de chaque année. Les conséquences de cet arrêt brutal des actitivités et les incertitudes sur leur reprise laissent planer un risque pour les milliers d’emplois liés à ce secteur économique majeur pour une région pourtant dotée d’atouts exceptionnels en matière d’offres touristiques. La partie est donc loin d’être perdue et le volontarisme de certains professionnels dessine d’ores et déjà un chemin d’avenir encourageant, où la crise justement servirait de tremplin pour un renouveau en profondeur du tourisme ici dans la région Drâa Tafilalet. Mohamed Takhchi fait partie de ces professionnels porteur dynamique de ce positivisme. Originaire d’Ouarzazate, il est agent de voyage diplômé de l’Université de Colorado (USA) et gère l’agence Ksour Voyages et sa maison d’hôte Kasbah Tamsna (première catégorie). En tant que Président du Conseil Régional du Tourisme de Drâa Tafilalet, il a accepté de répondre aux questions de sudestmaroc.com.
Sudestmaroc.com – Les activités touristiques sont à l’arrêt total depuis le début du confinement au Maroc. Pourriez-vous nous décrire l’état d’esprit dans lequel se trouvent les professionnels du tourisme de la région ?
Mohamed Takhchi – Autant ne pas se voiler la face, les professionnels du tourisme de la région Drâa Tafilalet sont déprimés. D’une manière générale, ils ont peur pour leur avenir. Cette crise est venue frapper un secteur économique majeur pour notre région et qui dynamisait l’ensemble des cinq provinces qui la constituent, à savoir les provinces d’Ouarzazate, d’Errachidia, de Tinghir, de Zagora et de Midelt. En effet, chacune de ces provinces est dotée d’attraits touristiques particuliers et beaucoup d’emplois étaient ainsi assurés par le tourisme.
Le plus grave est que cet arrêt des activités est intervenu au moment de la haute saison pour une région comme la nôtre car c’est en effet au printemps que nous recevons le plus de visiteurs, et malheureusement, pendant l’été où il fait chaud, peu de monde a l’habitude de rejoindre nos territoires. C’est ainsi que nous pouvons considérer que les entreprises du tourisme auront ici perdu plus de 80 % de leurs chiffres d’affaire habituels. C’est énorme comme proportion.
Alors oui les professionnels du tourisme n’ont pas le moral, et tous ceux qui vivent du tourisme non plus. Nous attendons, sans trop savoir quand et comment les activités pourront reprendre.
Sudestmaroc.com – Avez-vous des chiffres sur le nombre d’entreprises et de personnes concernées par ce secteur économique au niveau régional ?
Mohamed Takhchi – L’économie du tourisme dans notre région Drâa Tafilalet apporte du revenu directement à 12.000 salariés qui eux-mêmes font vivre leur famille, chiffre auquel il faut rajouter une estimation de 8.500 personnes sous statut informel dont beaucoup de travailleurs saisonniers. A cela, il faut encore rajouter tous les emplois indirects qui sont alimentés par le tourisme comme par exemple les artisans d’art et les bazaristes. Ces personnes n’avaient pas de statut déclaré et certaines n’ont pas pu recevoir l’aide de solidarité fournie par l’Etat.
La priorité est d’éviter les risques de faillites
Sudestmaroc.com – Quelles sont aujourd’hui les attentes des professionnels du tourisme vis à vis du gouvernement ?
Mohamed Takhchi – Les Conseils Régionaux du Tourisme (CRT), concernant les 12 régions du Maroc, se sont récemment réunis pour échanger leurs vues respectives sur la situation et s’accorder sur les demandes prioritaires à transmettre à notre ministère de tutelle. Nous avons ensuite pu dialoguer directement avec Mme Nadia Fettah, Ministre du Tourisme, de l’Artisanat, du Transport Aérien et de l’Economie Sociale lors d’une visioconférence pour lui communiquer nos analyses et nos conclusions.
La première de nos demandes concerne la prolongation jusqu’à la fin de cette année 2020 du paiement de la masse salariale de nos entreprises tel qu’il l’est actuellement par le Fonds de solidarité mis en place sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Cette initiative a pour l’instant sauvé les entreprises du tourisme, comme tant d’autres au Maroc, et elle a surtout permis à des millions de familles de survivre pendant cette crise.
Mais pour nos entreprises, l’arrêt de cette aide exceptionnelle programmée pour la fin du mois de juin pose un vrai problème car nos trésoreries sont vides et n’ont aucune chance de se remplir dans les mois à venir, et encore moins pour notre région où comme je l’ai déjà dit, la haute saison est ratée. Donc nous demandons qu’une aide urgente de l’Etat vienne maintenir ce soutien aux salaires et donc aux entreprises ; sans cela, nous allons vers de très nombreuses faillites.
Ensuite nous demandons le report des échéances de crédit auprès des banques, tout comme le report de paiement de certaines taxes publiques. Nous considérons aussi que l’exonération de taxes pour certaines activités très durement touchées serait un élément encourageant comme aussi la réduction de la masse globale des taxes qui pèsent depuis longtemps déjà sur les entreprises du secteur.
Notre Ministre a fait preuve d’une écoute bienveillante et positive et nous a assuré de son soutien vis-à-vis des autres ministères, notamment ceux qui sont concernés par les questions financières.
Sudestmaroc.com – Comment voyez-vous l’avenir du secteur au niveau de la région ?
Mohamed Takhchi – C’est difficile de savoir ce qui va se passer car la visibilité est encore absente sur trop de points importants pour l’activité touristique comme bien sûr la question des transports. Ceci dit nous nous préparons à la reprise. Les CRTs se concertent entre eux, échangent avec le Ministère et avec l’Office National Marocain du Tourisme (ONMT) qui prépare d’importants plans de communication pour assurer la promotion de nos territoires.
Nous voulons rester dans une dynamique positive et considérer qu’une année suffira pour retrouver notre niveau d’activité habituel, même si d’autres, plus pessimistes, envisagent un délai bien plus long, sur plusieurs années, avant d’un retour à une situation normale.
La priorité est de relancer le tourisme au niveau national afin de tenter d’aider les entreprises à passer ce mauvais cap.
L’élément encourageant est que notre Conseil Régional du Tourisme est le premier créé dans cette région à avoir signé avec l’ONMT un plan d’action régionale. Nous allons ainsi pouvoir prochainement nous mettre à travailler.
Le tourisme interne peut être une partie de la solution
Sudestmaroc.com – Comment les professionnels du tourisme se préparent-ils à la reprise des activités, même si aucune agenda n’est encore connu ?
Mohamed Takhchi – Nous nous préparons à cette reprise avec deux dossiers importants sur lesquels nous sommes déjà bien avancés. Le premier concerne la sécurité sanitaire et le second la promotion de nos offres touristiques depuis tous les territoires de notre région. Nous sommes soutenus dans ces démarches par le Wali de la région et par les gouverneurs des cinq provinces.
Nous pensons que le tourisme interne peut être une partie de la solution même si bien sûr nous ne savons pas si les marocains de l’étranger vont pouvoir venir ou pas. Il est vrai encore une fois que l’été avec la chaleur n’est pas propice pour faire venir ici les touristes qui préfèrent a priori se rendre sur les bords de mer où il fait plus frais.
Mais cela change d’année en année. Nous avons ainsi dans notre région des offres qui deviennent de plus en plus à la mode comme les bains de sable aux abords du désert du Sahara. Pour celles et ceux qui pratiquent cette activité, c’est avant tout une démarche de santé et pour d’autres c’est une expérience à vivre. Nous avons aussi tous les ingrédients pour un tourisme de randonnée avec toutes les montagnes du Haut Atlas qui jalonnent nos paysages, les vallées de Todghra ou du Mgoun. Le lac d’Imilchil était aussi beaucoup fréquenté par des marocains de Casablanca ou de Fes. Tout cela constitue un ensemble de destinations qu’il nous faut faire connaître au plus vite et au mieux.
Sans les professionnels du tourisme, aucune relance n’est possible
Sudestmaroc.com – En tant que Conseil Régional du Tourisme, avez-vous une concertation avec les autorités du Conseil régional Drâa Tafilalet?
Mohamed Takhchi – Non nous n’avons à ce stade aucun échange avec l’équipe du Conseil régional car celui-ci est à l’arrêt depuis plusieurs mois déjà pour des problèmes internes. Cet état de fait a malheureusement bloqué le versement de la part de contribution financière qui revenait à la région pour couvrir le budget de fonctionnement de notre CRT. Et tous les CRTs du Maroc sont subventionnés par leurs Conseils régionaux mais ici nous restons dans l’attente.
Sudestmaroc.com – Avant la crise, quel regard portiez-vous sur le tourisme dans la région ? Quels étaient les points forts et les points faibles de cette économie majeure pour les territoires et les communautés de la région Drâa Tafilalet ?
Mohamed Takhchi – Les points faibles de notre région sont connus depuis longtemps. Le premier d’entre eux concerne l’enclavement géographique mais des efforts importants ont été faits pour améliorer l’accès routier avec l’aménagement de la route entre Marrakech et Ouarzazate. L’accès aérien joue bien évidemment un grand rôle et ces derniers mois des liaisons low-cost sont venus alimenter nos territoires d’un nombre important de visiteurs. Mais il est certain que nous devons faire mieux encore et parvenir à mobiliser les acteurs du transport aérien afin qu’ils mettent en place des lignes à bas coûts dans les trois aéroports de la région (Ouarzazate, Errachidia et Zagora). Sans doute faudrait-il assurer aux compagnies aériennes des exonérations de taxes pour les inciter à s’impliquer dans ce nécessaire désenclavement.
L’autre point faible est sûrement le manque de promotion de notre magnifique région qui pour le coup possède de nombreux atouts, des points forts incontestables qu’il va falloir maximiser. Mais n’oublions pas que ce retard s’explique en partie parce que nous sommes la dernière région au Maroc à s’être dotée d’un Conseil Régional du Tourisme.
Notre région est riche de sa diversité dans ses offres au niveau d’un tourisme de la nature, de la culture et aussi un tourisme de la santé. C’est unique au Maroc et c’est en regard de tous ces atouts que nous allons devoir communiquer pour mieux faire connaitre notre région, pour donner envie de la visiter et d’y séjourner.
Enfin nous avons ici des professionnels du tourisme de grande expérience qui pratiquent un tourisme respectueux de la nature et qui sont au cœur de la relance du secteur. C’est pourquoi je le redis, la première de mes priorités est d’obtenir le soutien du gouvernement pour assurer la survie de toutes ces entreprises et de tous ces emplois.
Sans ces professionnels, sans ces connaisseurs de leurs territoires aucune relance n’est possible. Une fois ce risque mis de côté, nous allons prendre en main le destin de notre région et la hisser à la hauteur qu’elle mérite. Restons positifs oui, et en action.
Le 11/06/2020
Source Web Par Sudestmaroc
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