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Interview de Myriam Lahlou-Filali, DG du Groupe pharmaceutique "Pharma 5"

Interview de Myriam Lahlou-Filali, DG du Groupe pharmaceutique

Acteur majeur de l’industrie pharmaceutique marocaine, Pharma 5 a démontré par le passé sa capacité à produire des génériques efficaces contre les hépatites B et C. Concernant le médicament américain remdésivir, interdit de fabrication au Maroc, Myriam Lahlou-Filali pointe du doigt nos accords de libre-échange, qui nous empêchent de passer outre les brevets.

Le laboratoire américain Gilead, qui fabrique le médicament antiviral remdésivir ayant donné des résultats positif sur des personnes atteints du Covid-19, a interdit à l’industrie pharmaceutique dans 120 autres pays, dont le Maroc, de le fabriquer. Comment avez-vous réagi à cette annonce?

À Pharma 5, comme nous l’avons prouvé pour l’hépatite B et l’hépatite C, nous sommes prêts à développer et à produire les traitements contre le Covid-19 ou toute autre maladie. Le seul préalable nécessaire, c’est qu’on ait le droit de le faire. Cela veut dire que le produit ne doit pas être protégé par un brevet au Maroc. Dans ce cas de figure, remdésivir est breveté au Maroc. Donc, on n’est pas autorisés à le fabriquer. Depuis qu’on a démontré notre capacité à produire les génériques de qualité de traitement de l’hépatite B, les Européens et les Américains notamment ont commencé à breveter les produits dans leur pays et au Maroc car, tout bonnement, ils savent que dans le Royaume il y a des laboratoires pharmaceutiques capables de faire des génériques.

L’autre volet non moins important à soulever, c’est celui des accords de libre-échange. Avec ces accords, non seulement les brevets nous interdisent de développer des génériques au Maroc, mais aussi les autorités ne peuvent plus ne pas reconnaître les brevets. Dans certains pays comme l’Egypte, l’Inde et la Chine, quand il y a un besoin national, ils ne reconnaissent pas le brevet en arguant qu’il s’agit d’un besoin sanitaire prioritaire. Il y a deux manières de le faire. Soit, on arrive à trouver des failles dans le brevet pour dire que ce produit ne méritait pas d’être breveté compte tenu de notre législation, ou bien on demande l’octroi de “licences d’office” au cas où il existe un besoin national suprême, un cas de force majeure, et que les détenteurs du brevet ne veulent pas nous le fournir à des prix raisonnables. Dans ce cas, on va le produire nous-mêmes.

Quels autres obstacles se dressent devant la fabrication locale du remdésivir?

Le remdésivir soulève un problème majeur. Le Maroc a signé plusieurs accords de libreéchange, y compris avec les Etats-Unis et l’Union européenne. Quand un produit est breveté en Europe, il l’est aussi, automatiquement, au Maroc, ce qui engendre une perte de souveraineté, c’est-à dire que le Maroc n’a plus le droit de ne pas reconnaître ce brevet. Et puis, quand le brevet arrive à échéance en Europe après 15 ou 20 ans, le Maroc subit une protection supplémentaire de 5 ans à cause de son accord de libre-échange. Nous sommes capables de faire des merveilles au Maroc, même au-delà de l’industrie pharmaceutique. Malgré la fermeture des frontières et la difficulté d’accès aux matières premières, notre industrie pharmaceutique s’est mobilisée pour qu’il n’y ait pas de rupture de médicaments sur le marché local, alors qu’en Europe ils ont enregistré des ruptures d’antibiotiques, entre autres.

L’on sait que derrière l’interdiction de fabrication de remdésivir au Maroc, plusieurs milliards de dollars sont en jeu. Que comptez- vous faire?

Nous allons agir en coordination avec les autorités marocaines, qui savent déjà qu’on est aptes et capables, au Maroc, de mettre au point des produits aussi efficaces, sûrs et de grande qualité. Concernant ce produit, c’est la première piste de traitement du Covid-19. On attend d’abord qu’elle se confirme. Nous envisageons d’entrer en contact avec les autorités dès qu’on aura une solution à apporter. En tout état de cause, on est à leur disposition si elles ont besoin de nous.

Est-ce que c’est une bataille d’ordre juridique?

Cela va dépendre du traitement. Car, à ce jour, le remdésivir n’est pas encore le traitement optimal qui va servir à 95% de la population. C’est un antiviral qui est donné en injection intraveineuse à des patients hospitalisés. Nous sommes en veille constante pour l’ensemble des traitements qui sont à l’essai.

Retour à la chloroquine, qui a nourri beaucoup d’espoir comme médicament contre le Covid-19. Comment avez-vous reçu l’information de son importation de l’Inde alors que des laboratoires locaux le produisent déjà?

Je suis estomaqué. C’est une information qui nous a étonnés comme elle a étonné beaucoup de gens. Il est incompréhensible de recourir à des produits finis importés alors qu’on a un industriel local et plusieurs industriels pharmaceutiques qui sont capables de le fabriquer localement. Nos laboratoires sont tout à fait capables de le produire. Il nous faut juste l’autorisation de mise sur le marché. C’est un produit simple et ancien. Ce n’est pas une technologie complexe. Mais obtenir une AMM à la fabrication locale prend des années quand une AMM à l’importation peut prendre 24 heures. Alors je me demande pourquoi on va l’importer.

Nous faisons partie des ardents défenseurs de la fabrication locale. Malheureusement, au Maroc, on a tendance à privilégier le produit importé par rapport à la fabrication nationale. Et donc, on donne des autorisations à la fabrication locale en 5 ou 10 fois plus de temps qu’à l’importation. Il est plus facile d’importer que de produire localement. Mais on continuera à se battre car la crise nous prouve que l’industrie nationale est garante de la sécurité sanitaire de notre pays.

Le 18/05/2020                                                   

Source Web Par Maroc-Hebdo

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