Reportage. La dure réalité des femmes rurales
Au Maroc, sept femmes rurales sur dix travaillent sans rémunération. Nombreuses sont celles du Gharb qui migrent pour gagner leur vie.
Bahhara Oulad Ayad, une localité située sur la route reliant Moulay Bouselham à Kénitra. Nous sommes dans le Gharb, une des régions agricoles les plus riches du pays. Et pourtant, la situation des femmes vivant dans les douars, dans et autour de Bahhara Oulad Ayad, est peu reluisante. «Nous sommes situés pas loin d’une grande ville comme Kénitra, mais la population en général et les femmes en particulier souffrent de l’exclusion. Les routes et les infrastructures de base sont en mauvais état», lance d’emblée Majida, une militante pour les droits des femmes rurales et soulaliyates dans la région. Majida a lutté pendant des années pour l’égalité entre les hommes et femmes membres des communautés des soulaliyates, et pour que les femmes puissent se prévaloir des biens de la communauté à laquelle ils appartiennent. «Au début il était très difficile de sensibiliser les femmes sur leurs droits concernant les terres communes. Chez nous, une femme doit avoir l’accord du mari, du père, du frère ou de son propre fils pour la gestion de ses biens», se souvient-elle encore.
Migration interne et externe
Dans ces régions, les femmes fournissent un travail conséquent dans leurs domiciles, mais également à l’extérieur de leurs foyers. Un travail qui n’est pas rétribué à sa juste valeur. «Les femmes rurales subissent une violence économique. Elles s’occupent de leurs enfants, font le ménage et travaillent dans les champs sans aucune rétribution pour ce labeur. Ce sont les hommes qui contrôlent le côté financier», ajoute la militante. De fait, le travail dans les champs n’est pas bien rémunéré dans la région du Gharb. La preuve : des milliers de femmes se déplacent chaque année de cette région vers l’Oriental, pour travailler dans les champs de clémentine ou dans les stations d’emballage à Berkane. Elles s’y installent pendant toute la saison agricole. «Dans cette région de Berkane, le travail est disponible. On est payé entre 30 et 40 DH de plus que dans la région de Sidi Kacem d’où je suis originaire. C’est ce qui nous pousse à nous déplacer chaque année dans la région», nous explique cette employée dans une des fermes de la région de Berkane et mère de quatre enfants.
D’autres, “plus chanceuses”, font chaque année la traversée de Tanger à Tarifa, pour travailler dans les champs de fraise à Huelva, en Andalousie. «La main-d’œuvre féminine de la région du Gharb est très demandée, puisqu’elle est habituée à manipuler ce fruit dans les serres de fraise de la région. Des milliers de femmes laissent enfants en bas âge et maris, à la recherche d’une rémunération meilleure», conclut Majida.
La dernière note du Haut commissariat au plan (HCP), parue en février dernier, sur les caractéristiques de la population active occupée en 2018, apporte un autre éclairage, plus sombre, sur la situation de la femme rurale active. Selon ce document, «près de 39,3% des femmes actives occupées travaillent sans rémunération contre seulement 9,5% des hommes. Cette part atteint 70,5% pour les femmes rurales». Le HCP dévoile également la nature de ces emplois. Il s’agit du travail domestique et du travail dans les champs. Des tâches sans rémunération pour les femmes des campagnes. Ce sont les hommes (mari, frère ou père) qui bénéficient du fruit de ce labeur de ces femmes vivant dans le milieu rural.
Ce n’est pas la première fois que le HCP pointe du doigt les dures réalités des femmes rurales. Dans son rapport «Femmes marocaines et marché du travail : caractéristiques et évolution», paru en décembre 2013, le HCP explique que plus de sept femmes en emploi sur dix n’ont aucun diplôme. Une situation qui empire dans les campagnes. «En zones rurales, cette proportion atteint 92,7%. Les femmes rurales connaissent un déficit remarquable en termes de scolarité et de qualification. Ainsi, plus des trois quarts de ces dernières n’ont aucun niveau scolaire, contre 22,8% parmi les femmes citadines. Ces résultats sont la conséquence de la spécificité du monde rural qui favorise l’intégration des femmes et des jeunes filles aux activités agricoles du ménage», peut-on lire dans ce rapport.
Travail domestique et dans les champs
Les femmes vivant dans le milieu rural subissent, en plus de l’injustice économique (un dur travail non rémunéré), celle de l’accès à ce même travail à un âge où elles devraient être encore à l’école. «En 2012, 73,5% des femmes ont déclaré avoir accédé au marché du travail à un âge inferieur à 15 ans (contre seulement 11,8% parmi les femmes citadines), une réalité qui a, sans nul doute, un impact négatif sur la scolarisation des enfants en milieu rural, notamment celle des petites filles», nous apprend le même rapport.
Le problème de la scolarisation de la fille rurale reste encore d’actualité. L’association Insaf, entre autres, est active dans les régions rurales de Chichaoua, d’Imintanout et dans le Haouz, à travers une opération de parrainage des petites filles. «A ce jour, nous avons réussi à parrainer pas moins de 220 filles dans ces trois régions. Il s’agit pour nous de lutter contre l’abandon scolaire des petites filles et d’aider les familles à faire garder leurs filles dans les écoles», souligne Omar Saâdoune, responsable à Insaf du programme de lutte contre l’exploitation des filles mineures dans le travail domestique. Et de conclure amer : «La femme rurale est une femme courageuse, aux compétences multiples, qui fait un travail extraordinaire, mais souffre d’un manque de reconnaissance».
Le 08/03/2019
Source web : la vie eco
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mercredi 13 mars 2019
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