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Les grandes surfaces peuvent-elles rivaliser avec les hanouts ?

Les grandes surfaces peuvent-elles rivaliser avec les hanouts ?

Le 21 mars 2013, Lors de la conférence organisée par l’université Al Akhawayn au Technopark de Casablanca, jeudi 7 mars, c’est devant une salle comble que les intervenants se sont succédés pour apporter leurs visions de la logistique au Maroc. Le thème de cette conférence était « Fournir les consommateurs marocains – défis, apprentissage et opportunités ». Après une présentation du docteur Youssef Boulaksil, ce fut au tour de Jan Fransoo, professeur à l’université d’Eindhoven de prendre la parole. Lorsque les grandes surfaces ont commencé à émerger au Maroc, certains analystes ont sonné le glas pour les hanouts, ces petites épiceries chères aux consommateurs marocains et présentes dans tous le pays. Toujours selon ces mêmes analystes, les petits commerces étaient condamnés à disparaitre face à la grande distribution et ses puissantes centrales d’achats. Pourtant, quelques années et quelques dizaines de grandes surfaces plus tard, force est de constater que les commerces de proximité tiennent toujours debout et pire, continuent à pousser comme des champignons. C’était bien évidemment sans compter sur les liens particuliers qui unissent le « moul hanout » à son client, chose que les prévisionnistes n’ont pas pris en compte dans leurs stratégies d’implantation et d’expansion. Pour comprendre les raisons d’un tel intérêt pour ce canal de distribution, il suffit de se rendre sur le terrain et de se faire une idée du fonctionnement de ces commerces. Lors de la conférence de l’université Al Akhawayn, Jan fransoo, professeur de logistique et management opérationnel à l’université de Technologie d’Eindhoven, a livré son analyse qu’il a mené à travers de nombreux pays émergents. D’abord pour ouvrir un petit commerce au Maroc, le délai est très réduit, car la plupart des commerçants sont propriétaires de leurs locaux, dans la majorité des cas un garage aménagé. Le fond nécessaire pour se lancer provient soit d’économies personnelles, soit d’emprunts bancaires, soit de devises venant de l’étranger pour ceux qui ont dans leurs familles des MRE. Une fois le local et l’argent à disposition, il n’y a plus qu’à aménager le commerce et contacter les fournisseurs pour se faire livrer en marchandises, ou se déplacer dans un cash and carry pour remplir les chariots. Le délai d’ouverture d’un point de vente est de quelques jours, aucune étude de marché, ni business plan, juste quelques planches de bois et des frigos à boissons. Face à eux, de grands groupes qui, pour s’implanter, doivent étudier la demande, trouver le foncier et construire, avec toutes les autorisations et délais que cela nécessite, avant de pouvoir célébrer l’ouverture de leurs points de vente. Contrairement aux petits commerçants qui travaillent seuls ou en famille, les grandes surfaces, elles, doivent recruter des salariés, leurs verser un salaire et payer les charges s’y afférant. Elles sont également soumises à une règlementation drastique en matière de sécurité, de traçabilité et de service après-vente. Les petits commerçants, quant à eux, démarrent leurs activités avec le minimum de connaissances requises, parfois même en deçà pour ceux qui souffrent d’illettrisme et peuvent tenir aisément leurs boutiques pendant plus de douze heures en continu. Alors pourquoi les marocains affichent-ils toujours un intérêt particulier à ces hanouts ? Les nanostores, tels que le professeur Jan Fransoo les défini, se différencient des Marjane, Acima, Label’Vie et autres, sur un point essentiel : le paiement décalé. En effet, les petits commerçants offrent des facilités de paiement à leurs clients, en tenant à jour leurs fameux carnets dans lesquels ils inscrivent les ardoises de ces derniers et, en cas de retard de paiement, peuvent arranger leurs clients par le biais d’un délai supplémentaire pour honorer leurs dettes. Il est à noter qu’environ 55% des paiements se fait à crédit et les dettes peuvent s’étaler jusqu’à un mois, ce qui nécessite bien entendu un fond de roulement conséquent pour ne pas se retrouver avec des étagères vides. Selon le professeur Boulaksil Youssef de l’université d’Al Akhawayn, ces petits commerçants jouent un véritable rôle de banquier dans la mesure où, d’un côté, ils font crédit à leurs clients, et d’un autre côté, ils paient cash les marchandises auprès de leurs fournisseurs. Le développement des hypermarchés au Maroc ne les effraye guère, pire encore, ils se permettent même de se fournir chez eux et de revendre leurs marchandises plus chères. La différence de prix est d’environ 2,5% entre les petits commerçants et les supermarchés, mais les clients marocains sont prêts à payer ce prix pour bénéficier de délai de paiement car ne pouvant se permettre de faire leurs achats en grande surface. Toujours selon Jan Fransoo qui s’est intéressé à ce phénomène qui n’est pas limité au Maroc puisqu’il existe plus de cinquante millions de petites épiceries à travers le monde, les clients préfèrent payer un peu plus cher un produit s’ils bénéficient de facilités de paiement. Il a également constaté, en rencontrant des professionnels de la grande distribution, notamment la chaine de magasins turques BIM, que les petits hanouts avaient tendance à s’implanter autour des hypers, car selon la logique des petits commerçants qui osent défier les magasins modernes, si les hypermarchés s’installent dans ces secteurs, c’est que ce sont des zones à très forts potentiels et donc espèrent rafler une partie du gâteau. De plus, et comme il a été dit plus haut, les petits commerçants entretiennent une relation particulière avec les clients qui sont pour la très grande majorité originaires du quartier dans lequel se situe l’épicerie. En effet, ce qui régit la relation de confiance entre le commerçant et le client n’est autre que l’accord de faire crédit. Le commerçant apprend à qui faire confiance et donc à qui autoriser une ardoise, et qui est blacklister pour cause de non-respect des accords de confiance. Les petits hanouts profitent aussi du fait qu’une large part de la population n’a pas accès, ou alors de manière très limitée, aux transports. Le plus gros du marché de la distribution est dominé par les très petits magasins qui référencient une centaine de produit contre plusieurs milliers voir plusieurs dizaines de milliers pour les supermarchés modernes. D’un point de vue purement supply chain, travailler avec ce canal de distribution est la meilleure manière de se former du fait de la complexité du système. D’un extrême à un autre au sein de la chaine d’approvisionnement, on peut passer d’un entrepôt entièrement automatisé, équipé des dernières technologies en terme de système d’information, de mécanisation, d’engin de manutention et de livraison, à des petites boutiques dont la seule technologie existante se limite à la calculatrice, au téléphone portable et au petit transistor. Les petits commerçants, qui n’ont pour la très grande majorité aucune formation et une capacité d’investissement limité, ont fait le choix de s’abstenir de toutes technologies dépassant celles du téléphone portable classique. Ils n’acceptent pas la carte bancaire, ni paiement électronique, tout échange est exclusivement basé sur le cash. Il en va de même pour les distributeurs qui n’ont d’autres choix que de s’adapter à ce système. Si le petit commerçant se doit de faire confiance à ses clients pour faire prospérer son activité, il se doit de régler la note au chauffeur-livreur lorsque celui-ci lui livre les marchandises demandées. Il est bien dit marchandises demandées, car la commande se fait souvent au cul du camion lors de son passage. Toujours pour s’adapter à la demande, les distributeurs acceptent de vendre au détail leurs produits aux petits commerçants, bien souvent, nous pouvons assister à des séances de « Repacking » en pleine rue, le chauffeur-livreur mixant les yaourts, bouteilles d’eaux et autres marchandises à la demande du commerçant. Les distributeurs ne livrent pas si le commerçant n’a pas de cash, mais comme celui-ci a un fond de roulement limité, ils doivent se battre pour livrer les premiers pour profiter du cash existant. Pour remédier à cela, les distributeurs ont mis en place une stratégie afin de prévoir au maximum la demande grâce au « pre-sales ». Un vendeur, qui visite entre 70 et 90 points de vente par jour, regarde dans les frigos et les étagères et propose aux commerçants des choix de produits pour remplir ses étalages. Cette technique de prise de commande permet en même temps de contrôler si les congélateurs et frigos, mis à disposition par les distributeurs, contiennent bien que des produits de la marque et ne servent pas à stocker des produits concurrents. D’un point de vue développement durable, il y a de quoi grincer des dents, il n’existe aucune mutualisation pour les livraisons, chaque fournisseur ayant son propre système de livraison. De plus, les packagings sont prévus pour de très petites quantités, on peut citer par exemple les biscuits, ce qui est loin d’être « green ». Ce problème est plutôt de l’ordre économique dans la mesure où même la grande distribution s’est adapté au petit format pour toucher les petites bourses. Malgré toutes ces contraintes, il y a un réel intérêt pour les producteurs à les maintenir en vie, en effet, en allant livré directement ces petits hanouts, les producteurs gardent une vision sur les tendances du marché et les besoins des commerçants... et bien entendu les marges sont plus importantes du fait de l’inexistence d’intermédiaires, ce qui offre des perspectives en terme de croissance plus intéressantes. Les petits commerces sont partis pour exister dans les prochaines décennies, la preuve en est : ces petits commerces sont les deuxièmes clients de Procter & Gamble après Walmart…le combat qui s’apparentait à David contre Goliath n’aura finalement pas lieu. SOURCE WEB Par Magazine Statégies logistique Tags : université Al Akhawayn- Youssef Boulaksil-Jan Fransoo-grandes surfaces-hanouts- consommateurs marocains-distributeurs- petits commerces-