De l’Antiquité à la chute d’Al-Andalus, l’histoire de la présence amazighe en Espagne

Durant plusieurs longues années, les livres d’histoire retraçant la conquête musulmane de l’Espagne ne s’intéressaient que peu aux origines des conquérants. Pourtant, les sept siècles de présence des musulmans en péninsule ibérique ont été précédés par des incursions des Amazighs de l’Afrique du Nord en provenance notamment du Maroc. De l’Antiquité jusqu’à la chute de la dernière dynastie musulmane, histoire d’une présence renforcée aux fils des siècles.
Al-Andalus, appellation de la péninsule ibérique sous domination musulmane de 711 jusqu’à 1492, l’année de la chute de Grenade, est souvent assimilée à la conquête arabo-musulmane et l’extension des terres de l’Islam. L’histoire d’Al-Andalus est alors associée aux années de gloire de l’Espagne musulmane. Après sept siècles, la présente musulmane se terminera par l'expulsion d'Espagne en 1614 des derniers civils musulmans.
Durant plusieurs longues années, l’histoire de la conquête musulmane ainsi que le rayonnement d’Al-Andalus participeront à la marginalisation d’un autre fait historique plus qu’avéré. Au cœur de cette domination musulmane qu’on attribue à tort aux seuls arabes venus de l’Orient, l’apport des Amazighs et de leurs troupes dans cette conquête n’est que peu mis en exergue, rendant le récit de ces années de gloire, tant vantées dans les manuels scolaires et les livres d’histoire, incomplet.
C’est dans ce contexte que l’historien espagnol Jacinto Bosch Vilá s’est penché, en 1988, dans le cadre d’un article intitulé «Les Berbères en Andalus» et publié dans le numéro 5 de l’«Encyclopédie berbère, Anacutas–Anti-Atlas». Un papier qui retrace l’histoire des Berbères, de l’Hispanie préislamique jusqu’à leur implantation en Al-Andalus, en passant par la conquête de la péninsule ibérique.
Illustration de l’arrivée du premier contingent de musulmans en Espagne en 711. / Ph. DR
Une présence qui date de l’Antiquité
Jacinto Bosch Vilá raconte d’abord comment les groupes berbères ont été présents sur le territoire hispanique dès l’Antiquité. «Durant l’Antiquité, toute tentative d’établissement de Berbères en Espagne fut repoussée parce qu’elle se heurtait à un pouvoir fort sur la rive européenne du Détroit, pouvoir qui, sur la rive opposée, entretenait une force militaire non moins solide qui contrôlait des tribus plus ou moins soumises», débute-t-il son article. Pour l’historien, les Berbères en péninsule ibérique exerçaient plusieurs fonctions, comme «mercenaires» ou encore «auxiliaires des armées romaines» durant l’Antiquité classique.
«La présence de Berbères comme auxiliaires des armées romaines n’a guère d’impact culturel en raison de la profonde romanisation de l’Espagne et même du Nord de la Maurétanie. Cette romanisation gêna l’éclosion d’une identité berbère jusqu’à l’apparition de l’Islam qui incorpora à son tour les deux pays, mais il existait des groupes berbères insoumis qui ne reconnaissaient pas l’autorité de Rome et il existe des preuves concrètes de leur pénétration en Bétique.»
Citant des «sources textuelles et épigraphiques», Jacinto Bosch Vilá situe alors la «première incursion» des Amazighs au IIe siècle, soit peu de temps après la mort de l’empereur romain Lucius Aurelius Verus, en 169. Il situe une autre incursion peu de temps après cette première, soit vers l’an 175. «L’une et l’autre étaient le fait de Maures de Tingitane qui disposaient donc d’embarcations pour franchir le Détroit», affirme-t-il.
An-Andalus de 711 Ã 1031. / Ph.
Mais jusqu’en juillet 710 (ramadan 91), date de l’arrivée du premier contingent de musulmans à l’autre rive de la Méditerranée, l’histoire reste «muette» sur de possibles incursions d’Amazighs en Espagne préislamique. Quelques années avant cette date et à quelques milliers de kilomètres, Moussa Ibn Nosaïr est nommé en Egypte émir du Maghreb en 698. Beaucoup connaissent presque par cœur l’histoire de celui qu’on qualifie de «génie de la conquête musulmane de la péninsule Ibérique», tout comme celle de son général, Tariq Ibn Ziyad, qui, à la fin d’avril 711 (Rajab 92), mènera cette fois une «véritable expédition comptant 7 000 hommes auxquels s’ajoutent, peu après, 5 000 autres» pour conquérir l’Espagne.
Des conquérants musulmans aux origines amazighes
On connait tous l’histoire, à quelques détails près. Dans leur ouvrage «Histoire de la domination des arabes et des maures en Espagne et en Portugal : «Depuis l'invasion de ces peuples jusqu'à leur expulsion définitive» (Volume 3, Editions Alexis Eymery, 1825), Jules Lacroix Marlès et José Antonio de Conde soulignent eux-aussi la contribution des Amazighs dans la conquête d’Al-Andalus.
«Les Berbères, devenus musulmans, ne tardèrent pas à mêler leurs escadrons aux escadrons des Arabes, demandant la guerre comme eux, afin de s’enrichir comme eux par la victoire. Muza (Moussa Ibn Nosaïr, ndlr), comprit néanmoins que, pour éloigner toute occasion de révolte, il devait occuper ces peuples naturellement belliqueux, mais inquiets et remuant, et il songea à les conduire à quelque guerre étrangère.»
Jacinto Bosch Vilá, lui, ne manque pas de mettre en avant les origines zénètes de Tariq Ibn Ziyad et de ses hommes. «Les tribus berbères qui traversèrent à plusieurs reprises le Détroit appartenaient aussi bien au Botr qu’aux Branès, mais ce sont surtout les Berbères du groupe Zénète qui participèrent à la conquête», affirme l’historien espagnol.
Illustration de Tariq Ibn Ziyad sur un billet de banque édité à Gibraltar par le gouvernement britannique en 1995. / Ph.
Selon lui, «plusieurs fractions de Matgara, de la confédération des Ban? Fatin (…) s’associèrent à de nombreux Medyuna? et Mikn?sa ainsi qu’à des groupes Haww?ra, Nefzawa, Gom?ra et Ma?mouda dans l’armée de ??riq (Ibn Ziyad)». Et l’émigration se poursuivra.
«Le recrutement de mercenaires dans les armées de Cordoue entraîna, surtout dans la seconde moitié du Xe siècle, l’immigration de nouveaux berbères accompagnés de leurs familles ; ce sont encore des Zénètes et des Ma?mouda mais s’y ajoutent des ?anh??a d’Ifr?qiya tels que les Malz?za, Azda?a, Sad?na et Ulh?sa. Awr?ba et Zuw?wa, de la confédération Ket?ma, se trouvaient établis dans la Péninsule dans les dernières années du Califat. Ainsi, les trois grands rameaux ethniques berbères étaient représentés en Al-Andalus au milieu du XIe siècle.»
Des dynasties «berbères» à Al-Andalus
Bruce Maddy-Weitzman, dans son ouvrage «The Berber Identity Movement and the Challenge to North African States», affirme de son côté que «la grande majorité des conquérants musulmans étaient des membres des tribus berbères». «Un fait qui se perd d'habitude en mentionnant la haute culture islamique qui a émergé par la suite», enchaîne-t-il. Citant d’autres ouvrages, il met toutefois en avant «la forte tension ethnique» au cours des VIIIe et IXe siècles.
D’abord sous le Califat de Cordoue (de 756 jusqu’en 1031) puis sous les Reyes de taifas ou Moulouk At-Tawaïf, les Amazighs continueront de vivre en Espagne islamique. Jacinto Bosch Vilá, pour qui «la permanence berbère dans la Péninsule (ibérique) ne s’est jamais démentie au cours des siècles», affirme ensuite que «les Berbères sahariens avec les Almoravides, les Berbères du Haut Atlas avec les Almohades refirent l’unité d’Al-Andalus pour un siècle et demi». «Bien mieux, Al-Andalus devient alors une province de ces deux empires berbères», écrit-il avant d’évoquer l’éventualité de l’existence d’un «sang berbère dans les veines de certaines familles espagnoles, surtout dans les régions méridionales qui ont toujours eu le plus de relation avec les terres de l’autre côté du Détroit».
Des troupes «marocaines» défilent à Madrid devant Franco, vainqueur de la guerre civile espagnole en mai 1939. / Ph. Berliner Verlag - Dpa-Zentralbild
«L’élément berbère est souvent présent d’une manière évidente ou insidieuse tout le long de l’histoire de l’Espagne», avance-t-il, tout en rappelant «la composition, essentiellement berbère rifaine, des troupes venues du Maroc» pour prendre «un part importante» à la Guerre civile espagnole de 1936 à 1939.
Ce sont des Amazighs qui défendront par la suite le royaume nasride de Grenade et résisteront à la Reconquista par les royaumes chrétiens, des territoires de la péninsule Ibérique et des îles Baléares occupés par les musulmans, conclut-il. Une période qui ne s’achèvera qu’en 1492 et qui aura pour conséquence les départs clandestins puis l’expulsion finale de la plupart des musulmans, notamment les Morisques, de la nouvelle Espagne catholique. Une expulsion vers l’Afrique du Nord et donc le Maroc.
Le 16 Décembre 2018
Source web Par Yabiladi
Les tags en relation
Les articles en relation

L'exécutif approuve le projet de décret relatif à la Commission de suivi de la mise en œuvre du
Le Conseil de gouvernement, réuni jeudi à Rabat sous la présidence du Chef du gouvernement, Saad Dine El Otmani, a adopté le projet de décret n° 2.60.600 ...

Rayonnement culturel L’Académie du Royaume tiendra sa 44e session autour de la thématique de la
L’Académie du Royaume tient du 24 au 26 janvier sa 44e session autour du thème «De la modernité aux modernités». Cette manifestation, qui réunira plus ...

La Vallée de l'Ourika : Trésor Naturel et Culturel du Haut Atlas
Après avoir exploré les trésors de Marrakech, l'architecte Amine Kabbaj nous emmène au-delà des murs de la ville ocre, vers la vallée de l'Ourika,...

M’hand Laenser critique le gouvernement sortant sur la question amazigh
C’est peut être une coïncidence, mais la conférence de presse organisée par le Mouvement populaire le jour même de la commémoration du nouvel an amazigh...

?Nouveau logo de la ville d’Agadir: une œuvre signée Mohamed Melehi et une vaine polémique
Le célèbre artiste peintre Mohamed Melehi a signé la nouvelle charte graphique de la ville d'Agadir. Le logo dessiné par ses soins et dévoilé vendredi...

Islam en France. Macron en lutte contre les "influences étrangères": quid des imams marocains?
Emmanuel Macron a annoncé mardi une série de mesures contre les "influences étrangères" sur l'islam en France, allant des imams étrangers, aux premiers...

Religion et politique: le rapport allemand qui fâche les Marocains
Le rapport sur la vision de l’islam chez les Maghrébins, publié par l’institution allemande Konrad Adenauer Stiftung, suscite une très vive polémique. ...

Le Maroc a toujours été une terre de promotion du dialogue entre différentes religions (Rabbin ar
Le Maroc a toujours été une terre de promotion du dialogue entre différentes religions, a affirmé le Rabbin de Buenos Aires, Daniel Goldman. "J'ai vi...

L’Andalousie, le faux paradis perdu des salafistes
Les salafistes invoquent donc souvent l’âge d’or de l’Andalousie pour dire l’apogée qu’a pu atteindre la civilisation «arabo musulmane», mais ils ...

Voici la date du l’Aid Al Mawlid 2017 !
L’aid Mawlid Annabawi est prévu pour le vendredi 1er Décembre 2017, puisque le 1er du mois Rabi’ Al awwal coïncidera avec le 20 novembre prochain. Bon...

Rencontre: L’Ircam célèbre la constitutionnalisation de l’amazigh
Evaluer le bilan de la législature écoulée afin de mesurer le chemin parcouru dans le processus de mise en œuvre de l’officialisation de l’amazigh, tel ...

Ramadan à Paris
Fatiha est caissière dans le petit supermarché de ma rue. L’autre jour je lui demande comment se passe son jeûne loin du pays. Sa réponse fuse: «je préf...