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Exclusif: Lamia Boutaleb, six mois en enfer

Exclusif: Lamia Boutaleb, six mois en enfer

Elle devait être l’une des révélations du gouvernement Othmani. Jeune, réputée compétente, banquière, ancienne conseillère de l’inamovible président de l’OCP, Mostafa Terrab, petite-fille du fondateur de Wafabank, Moulay Ali Kettani, membre de la jeune garde du RNI, Lamia Boutaleb avait tout pour réussir son entrée dans l’exécutif à la tête du secrétariat d’État au tourisme. Au lieu de cela, elle a réussi à faire presque l’unanimité contre elle en moins de six mois, alternant maladresses et erreurs tactiques. Le HuffPost Maroc vous narre en exclusivité les coulisses d’une mise sur orbite ratée.

Au sein de la garde rapprochée de Lamia Boutaleb, l’on ne veut plus croire au "hasard". A l’heure où la secrétaire d’État est mise en cause – une énième fois - pour le lancement d’un appel d’offres de renouvellement du mobilier de son département, d’un montant de 2,5 millions de DH, les collaborateurs et proches de la jeune ministre n’ont plus qu’un mot à la bouche: "cabale". Il faut dire que leur patronne, elle aussi, est de plus en plus partisane de la théorie du complot, et n’hésite plus à en faire état lors de réunions restreintes. Ainsi, selon une source fiable au sein du ministère consultée par le HuffPost Maroc, elle se serait ouvertement plainte de son traitement par la presse lors d’une entrevue avec un petit groupe de professionnels du tourisme, à laquelle assistait son ministre de tutelle, Mohammed Sajid. Lors de cette réunion informelle, Lamia Boutaleb s’est dite "traumatisée" par "ces médias qui déforment tout et ne cherchent qu’à nuire", et aurait demandé expressément à ses interlocuteurs que "rien ne filtre" de leurs discussions. La secrétaire d’État aurait par ailleurs été particulièrement insistante auprès de Sajid afin qu’il en dise "le minimum". Ambiance…

Pourtant, en ce début d’année 2017, tout avait commencé comme dans un rêve pour Lamia Boutaleb. Alors que le milliardaire Aziz Akhannouch, porté à la tête du Rassemblement national des indépendants (RNI), cherche à rajeunir les membres du leadership du parti de la Colombe, il jette son dévolu sur cette discrète financière, à la tête de Capital Trust, une petite banque d’affaires indépendante qu’elle a co-créée avec son oncle Saad Kettani et Anas Oucharif, deux anciens dirigeants de Wafabank. Boutaleb est alors cooptée en début d’année au sein des instances dirigeantes du RNI, aux côté d’une autre étoile montante du parti, un certain… Hassan Belkhayat, qui sera au cœur de la polémique autour d’un appel d’offres octroyé par son ministère.

À l’issue de ces mercatos interminables, Lamia Boutaleb se retrouve comme binôme d’un vieux routier de la politique.

Fin mars 2017, le nom de Lamia Boutaleb commence à circuler parmi les ministrables potentiels juste après la désignation de Saad Eddine Othmani comme chef du gouvernement. Au départ, Aziz Akhannouch envisage de la prendre à ses côtés, comme secrétaire d’Etat à la pêche, afin de relancer un secteur durement éprouvé. Son nom est également évoqué à la tête de secrétariats d’Etat "techniques". Finalement, à l’issue de ces mercatos interminables dont le Maroc a le secret, Lamia Boutaleb se retrouve comme binôme d’un vieux routier de la politique, Mohamed Sajid, ancien maire de Casablanca et patron de l’Union constitutionnelle (UC), qui vient de rejoindre la coalition gouvernementale. Leur mission: redynamiser le département du tourisme, traversé par une grave crise. Sur le papier, l’attelage fonctionne à merveille: la force de l’expérience avec la fougue et l’enthousiasme de la jeunesse. Sauf que rien ne va se passer comme prévu.

Dès le 9 mai, alors qu’elle s’apprête à faire son baptême du feu lors des questions orales au parlement, La vidéo d’une Lamia Boutaleb hésitante, cherchant ses mots en arabe, devient rapidement virale sur les réseaux sociaux et les terminaux mobiles des Marocains, avec plusieurs centaines de milliers de vues en quelques heures. La ministre est alors accusée d’être "hors sol", et le vieux débat entre francophones et arabophones trouve là un nouveau point de cristallisation emblématique, de ceux qu’affectionnent particulièrement les élites marocaines.

Interrogée par l’un de ses confrères, ministre expérimenté au sein du gouvernement, sur les raisons de cette impréparation aux questions orales du parlement, Lamia Boutaleb lui fait une réponse surprenante. Elle lui affirme en effet avoir souhaité s’exprimer "spontanément", sans lire le discours préparé par ses conseillers, "à l’instar des autres ministres qui parlent sans notes…" lui précise-t-elle. Or, le bad buzz est tellement installé que la secrétaire d’Etat prépare depuis avec beaucoup de sérieux et de concentration ses interventions. Elle tentera même de faire une opération de "back-spin" en s’exprimant en arabe devant une caméra "qui passait par là". En réalité, il s’agit là d’une opération préméditée et d’un discours appris par cœur, mais l’opinion n’y verra que du feu.

    Les communicants du ministère font tout pour éteindre le feu.

Durant l’été, alors que le gouvernement est tout entier invité à jouer au pompier à Al Hoceima, Lamia Boutaleb va à nouveau faire parler d’elle, causant la démission le 14 juillet de la secrétaire générale de la confédération générale du tourisme, Hayat Jabrane, qui dénonce une "altercation" avec la secrétaire d’Etat lors d’une réunion avec les professionnels. Pour Jabrane, la raison de sa démission est la volte-face de la secrétaire d’Etat au sujet de subventions promises aux professionnels depuis longtemps, et notamment le ton utilisé par la secrétaire d’Etat. Là encore, les communicants du ministère font tout pour éteindre le feu, mais déjà certains hauts responsables influents de l’administration commencent à prendre leurs distances. Pensent-ils déjà qu’elle risque de quitter prématurément son poste? C’est fort possible.

Boutaleb VS RAM?

Episode inconnu du grand public, révélé pour la première fois aujourd’hui par le HuffPost Maroc, Lamia Boutaleb va également braquer contre elle le management de la Royal Air Maroc, et notamment son PDG, Abdelhamid Addou, après que la secrétaire d’Etat a vertement critiqué la compagnie nationale lors d’une réunion à huis clos à Marrakech au milieu de l’été. Les propos négatifs de la ministre, qualifiant la compagnie d’"objet du passé" seront rapportés au patron de la RAM par les participants à la réunion. Addou s’en plaindra auprès de Mohamed Sajid, ministre de tutelle. A plusieurs reprises, adoptant un ton calme et presque "paternel" selon une source proche du ministre, Sajid tentera de mettre en garde Lamia Boutaleb, l’adjurant d’être plus prudente. Cette dernière, échaudée par la multiplication des "affaires", est au contraire en train de se replier sur un pré-carré de fidèles et semble céder à la "conspirationnite" ambiante. Et c’est probablement cette ambiance un peu délétère qui va pousser son chef de cabinet, Abdallah Benmansour, à commettre la "gaffe" ultime, celle de répondre à un email d’un journaliste étranger à propos d’un appel d’offres discrètement contracté avec l’entreprise Southbridge, ouvrant la voie à ce qui n’est pas encore le "Southbridgegate"….

Aux racines du "Southbridgegate", une architecture de "pieds nickelés"

Réputée extrêmement bien informée, la lettre hebdomadaire d’information "Maghreb Confidentiel", basée à Paris, a reçu un "faisceau d’indices concordants d’une source fiable" avant de s’intéresser au contrat Southbridge, d’une valeur de 13 millions de DH. C’est dans ce cadre que le journaliste de ce média s’est adressé au cabinet de la secrétaire d’Etat qui lui a confirmé que le "travail ne faisait que commencer avec Southbridge" à travers un email signé du chef de cabinet Benmansour.

Ce dernier, qui a effectué l’essentiel de sa carrière au sein de la holding d’investissement maroco-saoudienne Asma Invest, n’est pas très au fait des subtilités de l’administration marocaine, et notamment des mille et un aspects florentins du code des marchés publics. En effet, s’il avait consulté le portail des marchés publics ou le site internet du ministère, le chef de cabinet se serait rendu compte que ces deux plateformes ne font pas mention d’un quelconque appel d’offres octroyé à cette toute jeune entreprise de conseil créée par le collègue de Lamia Boutaleb au RNI, l’ancien consultant de McKinsey Hassan Belkhayat. Normal que le contrat ne figure nulle part, car officiellement, il n’existe pas… Selon un fin connaisseur de l’administration marocaine, c’est à ce moment-là qu’une "architecture de pieds nickelés" va se mettre en place.

"Trouvez-moi une solution"

Impressionnée par les qualités de son collègue au RNI Hassan Belkhayat – qui fait par ailleurs l’unanimité pour ses talents de consultant en stratégie - Lamia Boutaleb souhaite, peu avant l’été, que ce dernier l’aide à mettre en place une stratégie de dynamisation du secteur. Jusque-là, rien de bien méchant. Or, le ministère est en disette budgétaire, et le retard dans la composition du gouvernement a entravé la mise en place d’un prévisionnel financier qui permettrait de commander une nouvelle étude.

"Trouvez-moi une solution!" se serait exclamée Lamia Boutaleb aux hauts responsables administratifs du ministère. Ces derniers ont alors une idée: pourquoi ne pas procéder à une "extension" d’une mission en cours confiée au grand cabinet Boston Consulting Group (BCG), jamais réceptionnée officiellement par le ministère, et dont les résultats – peu flatteurs- avaient poussé le ministre précédent, Lahcen Haddad, à vouloir l’enfouir sans en dévoiler les contours? En termes administratifs, l’on serait alors simplement dans un "élargissement de périmètre" de la mission du BCG, et l’entreprise Southbridge de Belkhayat n’aurait qu’à se joindre à BCG comme membre d’un consortium.

Sauf que peu à peu, Southbridge commence à prendre la plus grande part du marché, celui-ci passant de 7 à 13 millions de DH. Dans l’intervalle, Belkhayat fait miroiter la possibilité que Amine Tazi-Rifi, ancien partner "star" de McKinsey & Company, pourtant sous le coup d’une clause de non-concurrence de la part de son ancien employeur, ne vienne "donner un coup de main". La ministre est séduite et à nouveau, elle demande qu’on lui "trouve des solutions". Sauf que BCG n’est plus du tout à l’aise avec cette configuration, où deux anciens cadres du rival honni, Mc Kinsey, se retrouvent au commandes d’une mission où il ne leur reste plus que la portion congrue. Le patron du BCG au Maroc monte au créneau et menace de claquer la porte. Plus difficile à faire qu’à dire. En s’aliénant un ministère aussi important, le BCG risque de voir la plupart de ses clients publics, dont il est très fortement dépendant, se dresser contre lui. BCG temporise, mais n’en pense pas moins. Après de multiples acrobaties administratives, le marché est attribué à Southbridge, une entreprise ayant moins de six mois, et ne disposant même pas du nécessaire certificat D13, normalement obligatoire pour les appels d’offres publics dépassant un certain montant. Comment cela a été possible? Nul ne le sait…

    Ses soutiens n’y voient que l’inexpérience d’une jeune ministre qui ne connait pas encore bien les codes de l’administration.

C’est à partir de là que l’histoire du "Southbridgegate" devient presque kafkaïenne. Côté ministère, l’on assure sous couvert d’anonymat que la "chefferie du gouvernement a donné son accord pour cette extension de marché négocié". Du côté de El Othmani, c’est la dénégation complète, le chef du gouvernement se fendant même d’un communiqué lors de l’explosion de l’affaire. La suite est connue: pour son premier numéro de la rentrée, le 31 août 2017, Maghreb Confidentiel dégoupille la grenade "Southbridge"… L’opinion publique et les médias s’emparent de ce qui devient le grand scandale de rentrée. La ministre est à nouveau sous le feu des projecteurs. Cette fois-ci, elle est accusée de "favoritisme" et de "conflits d’intérêts" en voulant attribuer un marché public aussi important à l’un de ses collègues au sein du RNI. Pour les détracteurs de Boutaleb, la ficelle est trop grosse. Ses soutiens n’y voient que l’inexpérience d’une jeune ministre qui ne connait pas encore bien les codes de l’administration.

Il faut sauver le soldat Boutaleb et "faits alternatifs"

S’en suivra une incroyable tentative de "spin" de l’histoire déjà racontée par de nombreux confrères, où interviennent notamment les communicants de Aziz Akhannouch, patron du RNI, qui s’est mis dans un mode de "sauvetage" du soldat Boutaleb. Pour le ministre de l’agriculture et n°2 du gouvernement, si la fragilisation de sa secrétaire d’Etat débouchait sur son départ forcé de l’exécutif, c’est toute la précaire architecture de ce dernier qu’il faudrait revoir, et donc une possible redistribution des cartes. Inenvisageable pour lui. Il n’hésite donc pas à dépêcher sa propre conseillère en communication pour tenter de disséminer des "faits alternatifs" qui mettent en cause BCG comme source du problème. Ces derniers seraient en réalité jaloux d’avoir vu le marché leur échapper.

Las, leurs tentatives d’éteindre le feu ne dureront pas plus qu’une semaine, le temps pour le nouveau numéro de Maghreb Confidentiel de sortir, dévoilant l’email du chef de cabinet de la secrétaire d’Etat confirmant l’existence du marché et le "début du travail". Dans l’intervalle, les services du ministère ont procédé à l’annulation pure et simple du contrat les liant à Southbridge. En parallèle, il est demandé à tous les protagonistes de détruire les documents ayant trait à cette commande publique.

    Si acharnement il y a à l’encontre de la secrétaire d’Etat, à qui profiterait-il?

Les bureaux de la discorde?

Dernier évènement en date, celui de l’appel d’offres – encore un! - relatif à l’achat de mobilier en faveur de la secrétaire d’Etat. Dévoilé par le quotidien arabophone Akhbar Al Yaoum, celui-ci porterait sur une somme de 2,5 millions de DH pour six bureaux haut de gamme et 75 bureaux de gamme intermédiaire. En soi, divisée par le nombre d’unités commandées, l’enveloppe budgétaire n’a rien de scandaleux. Sauf que le climat de suspicion semble s’être installé, ce qui oblige encore une fois l’entourage de la ministre à tenter de contenir la furie médiatique. Leur ligne de défense, dévoilée par nos confrères de H24, est encore une fois fébrile, en tentant de faire porter la responsabilité de l’appel d’offres sur le ministre précédent, et en rappelant que seul le ministre de tutelle, Mohamed Sajid, dispose du pouvoir de signature. Enfin, de manière récurrente, les soutiens de la ministre estiment qu’il y aurait un "acharnement" contre elle. Reste la question essentielle: si acharnement il y a à l’encontre de la secrétaire d’Etat, à qui profiterait-il?

Le 13 Octobre 2017

Source web par huffpostmaghreb

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