L’architecte Frank Lloyd Wright est mis à l’honneur au MoMA
L’Amérique et le MoMA de New York célèbrent le 150e anniversaire de la naissance de Frank Lloyd Wright, prodigieux artiste qui inventa une architecture pour le XXe siècle.
En Pennsylvanie, Edgar et Liliane Kaufmann aimaient pique-niquer sur un terrain rocheux en surplomb d’une rivière, au fond d’une forêt reculée. Pourquoi ne pas y élever une maison de week-end ? Leur fils, étudiant dans l’école fondée par un certain Frank Lloyd Wright (1867-1959), architecte réputé dans les années 1910 mais dont la notoriété connaissait une légère baisse, les incita à faire appel à son professeur. Et en 1935, celui-ci dessina les plans de Fallingwater, la « maison sur la cascade », époustouflante demeure en osmose complète avec le site et chef-d’œuvre absolu dont Alfred Hitchcock s’inspira pour sa maison de La Mort aux trousses. Les chênes, les rochers, le cours de la rivière en contrebas forment le cadre matériel dans lequel se coule la maison. Les volumes verticaux sont en pierre locale, les terrasses qui s’avancent en porte-à-faux au-dessus des eaux bondissantes, en béton coulé. À l’intérieur, les rochers ont été utilisés en tant que sols et murs ; les meubles sont taillés en noyer madré emprunté à l’environnement. Organique, la maison semble surgie de la forêt. Technique, elle proclame, par son audace, la victoire de l’intelligence humaine.
Un génie né dans le Wisconsin
Frank Lloyd Wright est-il le premier architecte véritablement américain ? Il est, en tous les cas, celui qui a offert aux États-Unis leur propre identité architecturale, intimement liée à leur paysage, leur culture, leur histoire. En soixante-dix années de carrière, il a couvert le territoire de plus de cinq cents réalisations, demeures individuelles, buildings, églises, hôtels, musées, du Midwest à la Californie, de New York à la Floride, avec quelques détours par le Canada et le Japon. Son enseignement a essaimé dans le monde entier et la postérité en est assurée jusqu’à nos jours par Taliesin, la « communauté d’apprentis » qu’il a fondée en 1932 à Spring Green (l’été) et en Arizona (l’hiver), où il a accueilli des talents comme Rudolf Schindler (1887-1953) ou Richard Neutra (1892-1970).
Où naissent les génies ? Une enfance à la campagne, dans un milieu de pasteurs unitaristes, nourrie des lectures de Thoreau, Walt Whitman, Shelley et de la musique de Bach et Beethoven, voilà pour la toile de fond… Chaque été, le garçon travaille à la ferme de son oncle et il soulignera souvent que c’est cet équilibre entre travail manuel et valeurs intellectuelles et morales qui forma sa personnalité. En 1887, il entre comme dessinateur au bureau de Adler et Sullivan, une agence prometteuse de Chicago. Pendant six ans, le jeune ingénieur observe attentivement les progrès révolutionnaires dans la fabrication de l’acier, du verre et du béton, dont il pressent le fabuleux potentiel. En 1889, il se marie, achète un terrain à Oak Park, banlieue sud de la ville sur lequel il construit le Frank Lloyd Wright Home and Studio, prélude à ses futures recherches. 1893 sera une année décisive. Frank Lloyd Wright découvre, subjugué, au milieu des pavillons académiques de l’Exposition universelle, les toits évasés et les lignes sobres d’un temple shinto japonais reconstitué. Une révélation. Il commence à collectionner les estampes de Hiroshige et Hokusai, dont le style va inspirer son propre langage décoratif. À leur exemple, il intègre des motifs naturels de plantes, de papillons, d’oiseaux dans le choix de figures géométriques. Son premier voyage au Japon, en 1905, sera suivi de beaucoup d’autres, en Chine et en Corée aussi. Et de 1915 à 1922, il construit à Tokyo le célèbre hôtel Imperial, totalement inédit dans sa conception : système de fondations capable de survivre aux séismes, utilisation privilégiée du béton armé, toit en plaques de cuivre… Le bâtiment résistera au colossal tremblement de terre de 1923, un exploit.
Changer l’espace domestique
La même année, il quitte Sullivan pour fonder son propre bureau. Débute la période où Frank Lloyd Wright réinvente le style des maisons individuelles américaines. Sa première commande est celle de William Winslow à Oak Park, une maison qui porte en elle les prémices du style des dix années suivantes : organisation horizontale de la façade, cheminée centrale, toit débordant à inclinaison douce, équilibre chromatique de matériaux tels que pierre calcaire, terre cuite, brique et, à l’intérieur, grande fluidité entre les espaces, abandon du système des « pièces boîtes », prolongation vers l’extérieur grâce à des fenêtres élargies. Ses contemporains l’interprètent comme un hommage à la « Prairie », ces grands espaces sauvages qu’ont découverts les pionniers. Frank Lloyd Wright clame qu’il faut ouvrir la maison « à l’air, la lumière et la vue », en réalité aux plaines linéaires du Midwest, quintessence du rêve américain. Les commandes s’enchaînent : l’église unitarienne Unity Temple en 1905, la Maison Robbie en 1908, pour laquelle il dessine tous les meubles, tissus et tapis, initiant là une vraie carrière de « designer », convaincu que l’œuvre d’art doit être totale, comme William Morris avant lui et le Bauhaus ensuite.
Mais certains hommes ne se contentent pas de mettre au monde une œuvre de créateur qui marquera les générations futures. Leur vie elle-même est un roman et celle de Frank Lloyd Wright défie la fiction. En 1911, il quitte sa famille pour vivre avec Mamah Cheney, épouse d’un de ses clients, et fonde dans le Wisconsin la communauté de Taliesin, sorte de prototype de cité radieuse. Un apaisement de courte durée, puisqu’en 1914, un fou furieux assassine sa compagne et met le feu aux bâtiments. Taliesin sera reconstruit et Frank Lloyd Wright connaîtra deux autres mariages, dont l’un bref, mais tumultueux, avec une cocaïnomane.
La grande Dépression de 1929 voit sa notoriété s’estomper. Mais à plus de 60 ans, tel un phénix, toujours persuadé qu’il faut élaborer « un cadre heureux pour des gens heureux », il invente la « maison usonienne », dont le nom dérive de United States of North America. Il s’agit d’un habitat à bas prix, monté en L sur une plate-forme en béton, très innovante dans son organisation spatiale : pièce à vivre multifonctionnelle, matériaux simples, luminaires sur rail et mobilier intégré. Le concept sera amélioré jusque dans les années 1950.
Et quelques mois avant sa mort, en 1959, l’architecte chéri de l’Amérique livre à New York et au monde le testament le plus prodigieux qui soit. Un musée en forme d’escargot, dans lequel les visiteurs sont invités à contempler les œuvres en descendant une large rampe en colimaçon. Le musée Guggenheim témoigne publiquement de l’adage favori de Frank Lloyd Wright, selon lequel « la forme suit la fonction », mais aussi de toute sa dimension morale, qui lui fait dire qu’« un travail réussi, c’est l’harmonie parfaite entre le beau, l’utile et le juste ».
Le 12 Juillet 2017
SOURCE WEB Par Quotidien Du Tourisme
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