La communauté juive d’El Jadida sous le regard bienveillant des chercheurs
A une dizaine de reprises, j’ai rencontré Simon Lévy (1934-2011), chercheur et ancien directeur du Musée du judaïsme marocain à Casablanca. La première rencontre, furtive, eut lieu lors des assises du premier Colloque national sur l’information et la communication (Infocom) tenu à Rabat en 1993. Mais je n’ai pu discuter longuement avec lui qu’au début de l’année 2004. Avec mes amis de la section locale de l’Union des écrivains du Maroc avec à leur tête l’universitaire Abdelmjid Noussi, nous avions pensé ensemble qu’après les attentats terroristes de Casablanca en mai 2003, il fallait que nous, écrivains et chercheurs, montrions, à notre niveau, que l’histoire des musulmans et des juifs marocains était commune et que l’élément juif avait et continue à avoir toute sa place dans la société marocaine ouverte et riche par ses diversités. Nous avions donc invité Simon Lévy à animer une conférence sur le thème de «La composante culturelle juive aux Doukkala» qui eut lieu le 20 février 2004 dans la salle de l’Académie de l’enseignement à El Jadida qui a fait salle comble.
Cette année-là, toujours dans le cadre des activités de la section locale de l’UEM, nous l’avions invité une deuxième fois au Colloque national que nous avions organisé en fin mai 2004, sur le thème « El Jadida, mémoire plurielle ». Simon Lévy a montré, preuves à l’appui, l’apport des Marocains juifs au développement de la cité d’El Jadida et de la région des Doukkala. Le journaliste français, Michel Amengual, qui s’était établi à El Jadida après sa retraite et qui participait à cette rencontre, n’en revenait pas. Il nous avait dit alors : « Ailleurs, au Moyen-Orient, la confrontation est palpable entre juifs et Arabes, tandis que vous, Marocains, vous revendiquez, haut et fort, cette part juive de votre héritage humaniste et multiséculaire ».
Lors de cette grande rencontre, un ami, Mohammed Zine, lauréat de l’Ecole des sciences de l’information, présenta un court témoignage dans lequel il révéla que, dans sa jeunesse, en 1966, alors qu’il descendait de l’autocar venant de Had Ouled Frej (50 km d’El Jadida), il vit une dame juive âgée qui attendait un adolescent musulman. Dès qu’elle l’a vu, elle le prit dans ses bras avec beaucoup de tendresse et lui dit : « Mon fils, pourquoi n’es-tu plus venu me voir ? ». Le témoin m’a expliqué que l’adolescent musulman était le fils adoptif de la femme juive.
Ce témoignage m’a touché et avec l’apport d’autres éléments, j’ai alors décidé de consacrer une recherche à l’histoire de la communauté juive de cette cité et cela dans le cadre de la série que j’ai initiée sous ce titre générique :« Les cahiers d’El Jadida ». Le but était double : combler un vide éditorial certain mais aussi perpétuer le souvenir d’une communauté qui a totalement disparu de notre paysage local.
Ainsi, mon livre intitulé « La communauté juive de la ville d’El Jadida » est sorti en 2005 avec la préface de l’universitaire jdidie Nelcya Delanoë, ancienne professeur à l’Université de Paris X. La sortie de cette édition fut bien accueillie du fait que c’était la première étude de ce genre sur la communauté juive d’El Jadida. L’intérêt de cette recherche n’échappa pas à Simon Lévy, qui, dès qu’il en eut pris connaissance avec sa collaboratrice Mme Zhor Réhihil, m’invita pour présenter mon travail au siège du Musée du judaïsme marocain. La rencontre fut fructueuse par la qualité de l’assistance et des échanges qui eurent lieu. Y assistèrent des membres de la communauté juive, des responsables du Comité de la communauté, des professeurs des deux Facultés des lettres du Grand Casablanca et des représentants des médias.
En introduction, Simon Lévy, prenant la parole, souligna « le caractère rigoureux du travail et sa vision humaniste ». Il était heureux que des chercheurs marocains musulmans s’intéressent à l’histoire de leurs compatriotes juifs puisque la mémoire du judaïsme marocain appartient aux juifs et aux musulmans.
Le livre a fait également l’objet d’une version en espagnol réalisée par Tarik El Adraoui pour l’obtention d’un master à l’Ecole supérieure Roi Fahd de traduction à Tanger.
La première édition de mille exemplaires étant épuisée en fin 2007, j’ai pensé alors en faire une deuxième édition revue et augmentée. Ce qui avait alors justifié cette réédition c’étaient les nombreux témoignages de considération que j’ai reçus de la part des lecteurs surtout de l’étranger et qui en avaient pris connaissance, au début, par Internet. Le journaliste Mohammed Ramdani, au courant de ces messages de reconnaissance, écrira, le 29 novembre 2005, dans le quotidien casablancais L’Economiste, un article élogieux intitulé «L’écrivain Jmahri plébiscité dans le monde».
Pour la deuxième édition, j’ai alors commencé de nouvelles recherches et d’autres contacts. C’est ainsi qu’un jour je fus invité à consulter des documents familiaux chez M. Aaron Leb (natif d’El Jadida) dans sa villa au quartier Anfa à Casablanca. Et quelle ne fut ma surprise lorsque Simon Lévy nous a rejoints. Ce fut l’occasion d’une grande discussion qui a duré toute la matinée et qui a continué autour d’un café après le déjeuner offert par notre hôte.
Cette deuxième édition revue et augmentée de mon livre, préfacé par l’historien Boubker Bouhadi, a vu le jour en 2013, soit deux ans après le décès de Simon Lévy. Mais le souvenir de cet intellectuel engagé et infatigable restera toujours dans mes pensées.
Le 03 Janvier 2017
SOURCE WEB Par Libération
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