Energie du futur qu'en est-il des schistes bitumineux, Omar Bakri
La stratégie énergétique nationale a pour objectif de sécuriser l'approvisionnement du pays en énergie. Parmi les ressources nationales, il y a les schistes bitumineux abondamment évoqués au Maroc dans les années 80 mais, qui contrairement au Brésil, en Chine, en Allemagne, en Russie ou en Jordanie, n'ont pas fait l'objet d'une stratégie d'exploitation… sans doute pour des questions financière et environnementale. Entretien avec le spécialiste Omar Bakri. LE MATIN : On se souvient du plan de l'ex-ministre de l'Energie, Moussa Saadi, qui voulait lancer l'exploitation des schistes de Timahdit. Les schistes étaient alors présentés comme l'énergie du futur, lequel futur n'est pas encore là, 30 ans plus tard malgré la hausse du baril du pétrole ? OMAR BAKRI : Le problème de l'énergie au Maroc est crucial et la facture pétrolière est là pour le rappeler. L'orientation vers les énergies renouvelables est certainement une bonne résolution, mais est-ce une raison pour renvoyer les schistes bitumineux aux calendes grecques ? C'est bien ce qui ressort à la lecture du site web de l'Onhym où les schistes bitumineux sont définis en tant qu'«énergie du futur». Le futur c'est bien, c'est commode, c'est loin et c'est vague…Effectivement, plus de trente-cinq ans se sont écoulés depuis le lancement du projet de schistes bitumineux. Pas moins de six ministres et quatre Directeurs généraux se sont succédé respectivement à la tête du ministère de l'Energie et des Mines et de l'Onhym (BRPM et ONAREP anciennement). L'investissement total dans les différents projets de schistes est estimé à cinquante millions de dollars, dont la moitié a été supportée par les partenaires de l'Onhym, notamment Shell qui a financé et réalisé l'étude de faisabilité pour la production d'huile à partir des schistes de Tarfaya. Les schistes bitumineux sont une ressource nationale comme vous le soulignez. Quelle gestion en a été faite et pouvez-vous en évaluer les aspects technologiques, environnementaux et économiques liés à leur développement ? Au niveau législatif, il faut relever un déficit : ce sont bien les hydrocarbures contenus dans les schistes bitumineux qui sont visés par l'utilisation énergétique de cette ressource. Pourtant, le code des hydrocarbures qui intègre les dispositions d'ordre administratif, juridique et fiscal les exclut spécifiquement. Le manque de législation propre à cette activité fait défaut à la promotion des schistes bitumineux. L'Onhym en a compris la portée, l'a inscrite dans son programme, il y a quelques années déjà, mais les prémices d'un premier draft ne sont pas encore perceptibles. Avant ces procédures juridiques, il y a eu l'octroi d'un certain nombre de permis de recherche à Timahdit par exemple. Quels en sont les résultats ? L'octroi de permis de recherche à des sociétés pétrolières qu'on appelle prématurément partenaires n'est pas un succès en soi, cela se traduit parfois par l'immobilisation des ressources pendant plusieurs années, suivie du départ pur et simple du partenaire. Récemment, les cas de Petrobras et de Total qui occupaient les permis de Timahdit et une partie de ceux de Tarfaya sont édifiants. Les gisements de Timahdit et de Tarfaya sont amplement reconnus, suite à plusieurs campagnes d'exploration et d'études minières dont ils ont fait l'objet, notamment l'étude minière du gisement de Timahdit effectuée par Morrison Knüdson Inc. et l'étude minière du gisement de Tarfaya effectuée par Bechtel dans le cadre de l'étude de Shell. Ces études montrent que les ressources de ces deux gisements exploitables en surface sont relativement restreintes par rapport à la totalité des ressources (moins de 8% pour Timahdit et moins de 4% pour Tarfaya). Ces zones peuvent donc être couvertes par quelques permis seulement. Ces études montrent également que l'exploitation minière de ces ressources ne peut pas être morcelée et ne peut donc faire l'objet que d'une seule mine par gisement. Mis à part cette option de permis de recherche, y a-t-il d'autres approches pour la gestion des ressources bitumineuses ? On peut retenir l'approche selon laquelle pour les gisements de Timahdit et de Tarfaya, il n'y a qu'un seul opérateur minier, agréé par le ministère de l'Energie et des Mines qui soit en charge d'exploiter toute la partie exploitable en surface d'un gisement donné et livrerait les schistes aux différents projets. L'attribution de permis miniers serait ainsi remplacée par un engagement de livraison des schistes durant toute la vie du projet. La procédure par appel à manifestation d'intérêt est également une option qu'il faut considérer. La procédure d'octroi de permis de recherche peut continuer à être appliquée pour les schistes exploitables in situ et pour les gisements non encore reconnus. Ce sont là des mesures qui, si elles sont adoptées, pourront être intégrées dans le code des schistes bitumineux. Nous avons eu droit, durant ces dernières décennies, à de nombreuses études qui ont permis de créer une véritable base de données et des connaissances. Un mot sur ce chapitre des études ? Effectivement, de nombreux études et travaux ont été réalisés par l'Onhym (BRPM et ONAREP) anciennement sur les gisements de Timahdit et de Tarfaya incluant les aspects géologiques, miniers, caractérisation et propriétés, économiques et environnementaux et comprenant souvent des essais de pyrolyse, selon différents procédés pour l'étude de la production d'huile. Citons parmi celles-ci, l'étude de faisabilité effectuée par Shell pour la production de 53 800 bbl/j à partir des schistes bitumineux de Tarfaya et l'étude minière du gisement de Timahdit effectuée par Morrison Knüdson Inc. dans le cadre du premier volet du prêt accordé à la banque mondiale. Elles peuvent être considérées comme des études référence pour ces deux gisements. Le deuxième volet du prêt de la Banque mondiale a consisté à financer l'étude d'ingénierie et la construction d'une unité pilote du procédé dit T3. Ce projet n'a été bénéfique que pour la société américaine Sciences Application Inc. Laquelle a proposé ce procédé qui est devenu Marocain et qui porte le nom des trois principaux gisements (Tarfaya, Timahdit et Tanger). Le procédé qui n'a pas suivi, dans son développement, les étapes d'industrialisation nécessaires, s'est avéré inopérable. Qu'en est-il de l'ONE qui est présenté comme un acteur important et des universités qui ont produit nombre de mémoires et de thèses sur le sujet ? 'ONE a, pour sa part, réalisé également de nombreux tests de combustion et d'étude de faisabilité. Cet organisme a lancé un appel à manifestation d'intérêt au mois de juillet 2009. Un consortium a bien été désigné pour l'étude et la construction d'une centrale électrique de 125 MW alimentée par les schistes bitumineux de Tarfaya, mais ce projet pêne à démarrer. Il y a lieu de noter que les organismes universitaires ont contribué grandement depuis le début des années quatre-vingt à l'étude des schistes bitumineux au Maroc bien trop souvent sans aucune subvention des organismes chargés de leur développement : Facultés des sciences des universités Cadi Ayyad, Hassan II, Mohammed V, Ibn Tofaïl, et des écoles d'ingénieurs EMI et ENIM. On le voit, un ensemble de connaissances très conséquent a été acquis, mais qu'il y a lieu de capitaliser. Il serait judicieux d'élaborer par exemple, à partir des données existantes, deux documents qui couvriraient les aspects géologiques, miniers et caractérisation des gisements de Timahdit et de Tarfaya. Ces documents serviraient grandement à la promotion des schistes bitumineux d'une part et montreraient clairement d'autre part l'apport de l'Onhym en termes d'études et de travaux accomplis et de connaissances acquises et à faire valoir dans les négociations et les accords à conclure avec les partenaires. L'exploitation des schistes bitumineux reste limitée en fonction du coût financier, environnemental et technologique ? Concernant l'aspect technologique qui impacte les autres aspects, plusieurs procédés permettant d'exploiter les schistes in situ sont toujours en phase de développement aux Etats-Unis. Différentes techniques sont utilisées pour faire parvenir aux schistes l'énergie nécessaire afin d'en extraire l'huile : gaz chauds, gaz de pyrolyse, énergie électrique, pile à combustible, générateurs RF de micro-ondes. Au Maroc, la société San Leon, qui utilise le procédé IVE ˝In Situ Vapor Extraction˝ de la société Mountain West Energy avance très bien dans son projet de schistes bitumineux de Tarfaya. Elle y a installé une unité pilote pour tester ce procédé qui consiste à injecter des gaz chauds dans les couches bitumineuses préalablement fracturées et pomper à la surface les vapeurs d'huile et les gaz produits au cours de la décomposition de la matière organique. Les procédés de surface comme les procédés brésiliens Petrosix, Estonien Galoter et Chinois Fushun sont toujours en fonctionnement, mais le procédé canadien ATP, testé à une capacité de 4 000 bbl dans le projet Stuart en Australie, a le vent en poupe. Fushun Mining Group qui produit annuellement 330 000 t d'huile de schistes a acheté et a fait fonctionner une unité ATP de 250 t/h pour traiter les particules fines rejetées par le procédé Fushun. Plus près de nous, la société jordanienne Karak International Oil, une filiale de la société Jeml ˝Jordan Energy and Mining Limited˝, va passer une commande de 3 unités de 500 t/h pour son projet de 15 000 bbl/j à Lajjun en Jordanie devant enter en production en 2016. En Estonie aussi qui produit 90% de ses besoins en énergie électrique à partir des schistes bitumineux, beaucoup de projets sont en train de se réaliser. Vous avez beaucoup travaillé sur ce que l'on pourrait faire au Maroc. Quelles propositions pourriez-vous faire au prochain ministre de l'Energie ? Face à un contexte énergétique global incertain, le Maroc s'est engagé dans un programme ambitieux d'énergie renouvelable où la part du solaire atteindrait 2000 MW à l'horizon 2020. Dans le même contexte de diversification des sources d'énergie, nous recommandons de relancer le développement des schistes bitumineux qui restent la seule source d'énergie fossile disponible au Maroc et qui peut être utilisée aussi bien pour la production d'huile que pour la production d'énergie électrique. Le développement des schistes bitumineux a été programmé au-delà de 2020 dans le plan énergétique marocain sur la base de l'étude Mc Kinsey effectuée en 2008, mais pour être prêt en 2020, c'est tout de suite qu'il faut commencer. Le projet que nous proposons comporte une centrale électrique de 125 MW et d'unités de production de 12 000 bbl par jour et serait exécuté selon des étapes précises. Création d'une JV réunissant des opérateurs nationaux publics et privés des secteurs mines, énergie et pétrole, réalisation de l'étude de faisabilité détaillée du projet, levée des fonds nécessaires et conclure les accords de partenariat et enfin construction de centrales et production qui assureraient un taux de rentabilité intéressant. Il reste qu'au point de vue planning, l'étude de faisabilité prendrait deux années et si le projet est lancé dans l'immédiat, la première phase entrerait en production en 2017 et la seconde en 2020. Ce projet aura le mérite de mobiliser les opérateurs marocains autour d'un projet commun qui renseignerait aussi sur la position des schistes bitumineux par rapport aux autres sources d'énergie et permettrait surtout aux décideurs de prendre les bonnes décisions. SOURCE WEB Par Farida Moha Le matin : 14 - 12 - 2011