ARABIE SAOUDITE LE POUVOIR PROMEUT LA MODERNISATION DU PAYS
LE RÉCENT REMANIEMENT LIMITÉ AUX PRINCES DE LA BRANCHE SOUDEIRI
OFFICIELLEMENT, C’EST L’ARRIVÉE D’UNE GÉNÉRATION PLUS JEUNE ET MIEUX QUALIFIÉE
JON MARKS est président de la société Cross-border Information (London), éditeur du bulletin Gulf States Newsletter. Il est également conseiller auprès de la présidence du groupe Eco-Médias et chercheur à Chatham House, Londres
Le dernier remaniement en date du roi Salmane ben Adbelaziz Al Saoud a fait couler beaucoup d’encre et suscité de nombreuses rumeurs chez les diplomates, les analystes et les observateurs réguliers de l’Arabie saoudite, alors que le monde entier tentait d’en comprendre le sens. Ces changements, que le monarque de 79 ans espère être en mesure de régler les questions de successions pour les décennies à venir, en disent long sur l’état difficile des relations entretenues par le royaume avec ses partenaires régionaux (en particulier le Yémen) et internationaux (notamment les Etats-Unis). Mais ce remaniement est avant tout un moyen de perpétuer un mode de gouvernance qui était devenu de plus en plus apparent au plus haut sommet de l’Etat, même avant la mort du roi Abdallah ben Abdelaziz .
Les changements introduits par le nouveau monarque mettent en avant une génération plus jeune de dirigeants au sommet de l’Etat saoudien, ce qui laisse présager une gestion plus efficace de l’économie et des structures étatiques, notamment la poursuite des efforts de libéralisation du marché intérieur. Cette nouvelle donne politique est donc toute tournée vers la modernisation – mais elle n’annonce apparemment rien en matière de démocratisation. Les acteurs clés parmi ces hommes artisans du «changement » sont tous des princes de la branche Soudeiri de la famille royale. En Arabie saoudite, la modernisation est porteuse de progrès économiques mais elle reste encadrée par la dynastie.
La promotion du ministre de l’Intérieur, le prince Mohammed ben Nayef (‘MBN’), âgé de 55 ans, au statut de prince héritier était loin d’être une surprise. Depuis son arrivée au pouvoir en janvier dernier, le roi Salmane a eu comme priorité de remplacer certains hauts dirigeants (y compris des membres de la famille royale) nommés par son prédécesseur, le roi Abdallah. L’ancien prince héritier Moukrine Abdelaziz Al Saoud, âgé de 69 ans, aujourd’hui en marge de la vie politique, était un des plus jeunes fils du roi Abdelaziz ben Abderrahmane Al Saoud – Ibn Saoud, fondateur du royaume en 1932. Moukrine était certes, proche du roi Abdallah, mais ne bénéficiait pas des faveurs des hautes sphères saoudiennes. Une source proche de la famille Al Saoud a affirmé qu’il a été remercié avec une prime de départ de plusieurs milliards de dollars.
Le prince MBN, en revanche, s’est taillé une solide réputation en tant qu’héritier de son père, l’ancien ministre de l’Intérieur, le prince Nayef ben Abdelaziz Al Saoud, décédé en 2012, qui a fortement influencé la politique saoudienne de contre-terrorisme pendant plus d’une décennie. Il a d’ailleurs échappé à une tentative d’assassinat. Le prince MBN consigne dans son carnet d’adresses tous ses meilleurs contacts à Washington et dans les grandes capitales européennes et arabes. Parlant couramment l’anglais, le prince MBN est le membre de la famille Al Saoud qui jouit de la meilleure réputation auprès de ses alliés occidentaux.
Le nouveau vice-prince héritier, Mohammed ben Salmane (‘MBS’), ne fait pas autant l’unanimité. Peu connu en dehors de la Cour, le fils préféré du roi Salmane a été porté en janvier 2015 aux postes de ministre de la Défense et de chef de la Cour royale, lorsque son père a accédé au trône. (Un lève-tôt, certaines sources racontent qu’il dirigeait la Cour jusqu’à midi, puis qu’il se consacrait à son ministère jusque tard dans la nuit.)
La question yéménite
Bien que le prince MBN soit perçu comme un acteur influent de la politique saoudienne envers son voisin du Sud en guerre, le Yémen, c’est à l’ascension du jeune MBS – qui aurait l’entière confiance de son père – qu’est due l’organisation de l’offensive récente menée par le royaume contre la rébellion zaïdite des Houthis et de ses alliés, des forces loyales à l’ex-président yéménite Ali Abdallah Salah. Le prince MBS est resté à son poste de ministre de la Défense, mais a depuis abandonné son rôle à la Cour royale.
En effet, certains analystes considèrent que les compétences en matière de sécurité de la nouvelle équipe dirigeante expliquent la promotion des jeunes princes la semaine dernière. Dans le Financial Times, le commentateur pakistanais Hassan Askari Rizvi fait ainsi le lien entre l’annonce du roi Salmane et le lancement de la campagne au Yémen, et conclut que le changement « pourrait bien être dû à des désaccords internes en Arabie Saoudite sur la meilleure façon de s’attaquer au problème yéménite ».
Le Yémen est clairement une préoccupation importante, et le gouvernement saoudien est déterminé à inciter les Houthis à renoncer à leurs ambitions de domination nationale. Il veut aussi décourager ses ennemis iraniens de s’impliquer dans les affaires de la péninsule arabique.
Le remaniement pourrait aussi répondre aux inquiétudes de nombreux Saoudiens en leur donnant l’assurance que l’intérêt national est toujours défendu. Beaucoup anticipaient le retrait de la vie politique du prince Saoud Al Fayçal, qui a servi comme ministre des Affaires étrangères pendant quatre décennies malgré des problèmes de santé. Le fait que son successeur ne soit pas de sang royal est remarquable et ne trouve de précédent que pendant une courte période des années 1960, au cours de laquelle la diplomatie des Al Saoud n’était pas dirigée par un membre de la famille royale. Mais Adel Al Jubeir est un intime de Washington, où il a exercé diverses fonctions politiques bien avant de devenir ambassadeur de l’Arabie Saoudite aux Etats-Unis. Issu d’une puissante famille de la région de Nejd, le ministre Jubeir a été le collaborateur très proche de son ancien chef, le roi Abdallah, qui était alors prince héritier, pendant la crise du 11 Septembre. Plus récemment, il a joué le rôle de porte-parole international en faveur de l’intervention de la coalition arabe dans la guerre civile au Yémen.
Le ministre Jubeir est en mesure de renouer des liens forts avec Washington, qui avaient été quelque peu refroidis par le tropisme asiatique de Barack Obama, le rapprochement de ce dernier avec l’Iran et la promotion de l’huile de schiste aux Etats-Unis. Quant au prince Saoud Al Fayçal, qui n’a pas été autorisé à démissionner, il sera chargé de conseiller le ministre et de « superviser la politique étrangère », rôle qui reste encore à définir.
Les questions de succession et de hiérarchie royale restent cruciales en Arabie saoudite, avec ses quelque 7.000 princes. L’accumulation récente de décrets ne laisse pas présager un quelconque changement en la matière – malgré les demandes pressantes d’une partie de la société jeune et éduquée, qui réclame des emplois stables et de meilleures perspectives économiques.
Une affaire de dynastie
Al Saoud en sont conscients : les conflits comme celui au Yémen évoluent rapidement, tout comme la classe politique américaine, dont les têtes changent à intervalles beaucoup plus réguliers que dans le royaume. (Et la perspective de voir Hillary Clinton ou Jeb Bush accéder à la présidence des Etats-Unis permettrait d’installer des figures plus familières à la Maison Blanche.) Mais, vus de Riyad, les équilibres dynastiques, à long terme, sont autrement plus importants.
La nomination du roi Salmane a contribué au fait que jamais si peu de membres de la famille Al Saoud n’ont participé à un gouvernement. Mais ceux qui y participent occupent des fonctions clés et proviennent de la branche dominante de la famille : le clan Soudeiri centré autour des sept fils d’Ibn Saoud et de sa femme favorite Hassa Bent Ahmed Al Soudairi. Le roi Salmane est lui-même un des sept frères Soudeiri, parmi lesquels on compte l’ancien roi Fahad et ses deux frères puissants, l’éminemment riche et influent ministre de la Défense et de l’aviation, le prince Sultan ainsi que le prince Nayef. Parmi les princes qui ont conservé un portefeuille ministériel figure le fils du roi Abdallah, le prince Miteb, qui dirige la Garde nationale saoudienne (SANG), très influencée par la branche des Al Abdallah. La SANG a été récemment mobilisée à la frontière yéménite sur fond de rumeurs de mécontentement dans les rangs de l’armée. A part Miteb, les Al Abdallah, ainsi que d’autres branches de la famille Al Saoud, sont perçus comme ayant perdu une partie de leur pouvoir et de leur influence.
11 Mai 2015
SOURCE WEB PAR JON MARKS L’ECONOISTE
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