Lutte contre le stress hydrique «La réduction du déficit est une vraie bataille»
Les défis qui attendent le royaume en matière d’amélioration et de préservation des ressources hydriques sont majeurs. Charafate Afilal nous livre dans cet entretien son diagnostic de la situation hydrique du royaume, ainsi que les actions à déployer pour éviter la pénurie.
Charafate Afilal, ministre chargé de l’Eau
Les ÉCO : Selon les statistiques officielles, la demande en eau au Maroc atteindra près de 17 milliards de m³ en 2030 contre 13,7 milliards de m³ actuellement. Comment le Maroc se prépare-t-il pour relever ce défi ?
Charafate Afilal : Pour pallier le déficit de ce scénario tendanciel évalué à 5 milliards de m³, en prenant en compte les effets des changements climatiques, la Stratégie nationale de l’eau propose d’agir sur deux leviers. Il s’agit en premier lieu de renforcer la maîtrise de la demande en eau à travers la reconversion à l’irrigation localisée de près de 50.000 ha par an jusqu’à 2030 et l’amélioration des rendements des réseaux de transport et de distribution d’eau permettant de réduire la demande en eau de près de 2,5 milliards de m³ par an en 2030. Le second levier est celui du développement de l’offre à travers la mobilisation additionnelle de 2,5 milliards de m³ d’eau de surface par les barrages et la ressource en eau non conventionnelle, notamment le dessalement d’eau de mer. Ces mesures permettront, à terme, de réduire les déficits en eau, de faire face à l’accroissement de la demande et d’assurer une disponibilité suffisante en ressources.
Le Maroc s’est engagé depuis des décennies dans une politique de construction de barrages. Quel est le bilan de cette politique ?
Grâce à la politique dynamique adoptée par le Maroc, nous disposons actuellement d’un patrimoine de 135 grands barrages -totalisant une capacité de plus de 17,5 milliards de m³- et d’une centaine de petits barrages d’une capacité totale de près de 10 milliards de m³. Ces infrastructures ont permis d’assurer le développement de l’irrigation à grande échelle. La superficie actuellement irriguée avoisine le million et demi d’hectares dont les deux tiers sont équipés par les pouvoirs publics. Ces ouvrages permettent également l’approvisionnement en eau potable des populations et la satisfaction des besoins industriels et touristiques en eau. Sans oublier leur contribution à la protection des biens et des personnes contre les inondations, notamment dans plusieurs villes et plaines agricoles comme le Gharb, le Loukkos, Nekkor et la Vallée de Tafilalet. Ces infrastructures permettent par ailleurs la production hydro-électrique: les usines hydro-électriques réalisées totalisent une puissance installée de 1.730 MW contribuant à la production électrique nationale en année hydrologique normale à hauteur de 10%.
Ne doit-on pas revoir cette politique, notamment en mettant davantage l’accent sur les petits barrages ?
Effectivement, un programme de petits et moyens barrages est envisagé, mais avec une approche différente et rénovée qui s’appuie sur la contractualisation dans les processus de gestion et d’exploitation de ces aménagements. Il est à mon avis temps de rompre avec la politique de «construction pour la construction» et de s’orienter davantage vers la réalisation d’aménagements ayant une réelle utilité. Pour cela, il faudrait développer une vision plus claire qui définisse les dispositions de chacun des intervenants.
Le développement économique que connaît le pays engendre une forte demande en eau. Le dispositif juridique et réglementaire en place est-il efficace dans la lutte contre les abus ?
La législation marocaine de l’eau remonte au début du 20e siècle. Les dispositions de cette législation, qui étaient lacunaires, éparses et inadaptées, ont poussé le législateur à réformer le cadre réglementaire et institutionnel des ressources en eau à travers la publication de la nouvelle loi n° 10-95 le 20 septembre 1995. Cette loi, qui constitue la base légale de la politique de l'eau, repose sur un certain nombre de principes de base dont la gestion intégrée, planifiée, décentralisée, concertée et participative des ressources en eau, la domanialité publique des eaux, le «préleveur-payeur» et le «pollueur-payeur» et la valorisation des ressources en eau et leur protection contre la pollution et la surexploitation. Cet arsenal juridique a précisé les conditions et modalités relatives à la délimitation des cours d’eau, lacs et dayas, à la reconnaissance des droits acquis sur l’eau, à la planification, l’utilisation et l’exploitation des ressources en eau et à leur protection contre la pollution et le gaspillage, à la gestion de la pénurie d’eau et des inondations et à l’exercice de la police de l’eau.
Mais, dans la pratique, le dispositif n’arrive pas à s’imposer…
Depuis son adoption, cette loi a en effet montré quelques dysfonctionnements ainsi que certaines insuffisances dans sa mise en œuvre. Le contrôle reste ainsi peu efficace, sans parler de la police de l’eau dont l’impact est très limité. Le principe du «pollueur-payeur» n’est pas appliqué non plus et le dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées épurées ne sont toujours pas pris en compte. Autant de dysfonctionnements qui nous ont incités à ouvrir un nouveau chantier de révision de cette loi.
Sur un autre registre, les ressources hydriques sont inégalement réparties entre les régions. Où en sont la réflexion et les actions à ce sujet ?
Les bilans hydrauliques établis dans le cadre des études réalisées par le département de l’Eau montrent que certains bassins, notamment le Tensift et l’Oum Er-Rbia, sont déficitaires, alors que des déversés en mer sont enregistrés dans les bassins du Nord. Un transfert depuis les bassins du Nord, bien mieux dotés en ressources hydrauliques, permettrait donc de soulager ces déficits, consolidant ainsi la solidarité nationale dans la gestion de l’eau. Ce grand projet est de nature à permettre une meilleure allocation de l’eau brute et une meilleure protection face aux phénomènes extrêmes, un soutien au développement socioéconomique des régions du Bouregreg, Oum Er-Rbia et Tensift, une gestion interconnectée et flexible des allocations en eau face aux variations brusques des apports d’eau ainsi qu’une valorisation d’une ressource précieuse aujourd’hui perdue en mer.
La méthode de Charafate Afilal
Stress hydrique, augmentation de la population, changements climatiques, sécheresse, disparité territoriale, pollution… les menaces qui guettent les ressources hydriques du royaume sont nombreuses. Invitée par Les ÉCO, Charafate Afilal, ministre chargée de l’Eau, revient sur les grands axes de sa stratégie.
«La demande globale en eau pour les différents secteurs usagers évoluera à l’horizon 2030, dans le scénario tendanciel de «non action», pour atteindre près de 17 milliards de m3». Invitée par les ÉCO, Charafate Afilal tire la sonnette d’alarme d’entrée de jeu. C’est que l’heure est grave : le déficit en ressources hydriques qui se profile à l’horizon donne en effet des sueurs froides aux pouvoirs publics. Un vrai défi pour la ministre déléguée auprès du département de l’Énergie, des mines, de l’eau et de l’environnement, chargé de l’Eau, qui a du pain sur la planche On le sait, le potentiel hydrique du Maroc est limité. Selon les données du ministère délégué chargé de l’Eau, sur l'ensemble des ressources en eau disponibles, évaluées actuellement à 22.2 milliards de m3, dont 13,1 milliards sont des eaux mobilisables dans des conditions techniques et économiques acceptables. Cela équivaudrait à près de 700 m3 par habitant/an en moyenne nationale. Nous ne sommes pas loin du ratio critique de 500 m3/habitant/an! Pis encore, ce ratio va en diminuant. Il faut donc agir, et vite!
Plan d’actions
Charafate Afilal a déjà préparé son plan d’attaque. Son département est en train de finaliser le Plan national de l’eau (PNE). Un plan d’actions réalisé sur la base des résultats et conclusions des plans directeurs d’aménagement intégré des ressources en eau (PDAIRE) actualisés par les agences de bassins hydrauliques (ABH) et de la «La concertation pour l’élaboration du PNE s’est faite dans le cadre du comité permanent du Conseil supérieur de l’eau et du climat qui a tenu jusqu’à aujourd’hui cinq réunions», tient à préciser la ministre. Ce document a pour objectif de définir les priorités des actions à engager pour les 20 prochaines années par ces acteurs en vue de satisfaire la demande en eau des populations, accompagner le développement socio-économique exprimé par les stratégies et les plans de développement sectoriels et protéger les populations des aléas des inondations et des sécheresses. Parmi les grands axes du Plan national de l’eau, on note entre autres la maîtrise de la demande en eau, la réduction des pertes et l’amélioration des interventions. Le plan prévoit également la gestion et le développement de l’offre à travers la mobilisation des eaux de surface par les grands barrages, le transfert d’eau des bassins du Nord-Ouest vers les bassins déficitaires, la mise en valeur locale des eaux de surface par le biais des petits barrages et le recours aux eaux non conventionnelles (dessalement de l’eau de mer et réutilisation des eaux usées épurées). Le PNE insiste par ailleurs sur la protection des ressources en eau et du milieu naturel et l’adaptation aux changements climatiques, sans oublier la poursuite des réformes règlementaires et institutionnelles ainsi que la modernisation de l’administration et le renforcement des moyens et des compétences.
Plusieurs fers au feu !Plus concrètement, la bataille pour la préservation de l’eau sera très rude, et les dossiers chauds ne manquent pas. À titre d’exemple, la dégradation de la qualité des ressources en eau constitue aujourd’hui un des problèmes majeurs du secteur de l’eau au Maroc. «En effet, la préservation de la qualité des ressources en eau et la lutte contre la pollution hydrique constituent un objectif stratégique de la politique nationale de l’eau. Cette action repose sur une connaissance profonde de la qualité des ressources en eau et des sources de pollution, et la proposition d’un programme de prévention et de lutte contre la pollution», reconnaît Charafate Afilal. Selon la ministre, sur le plan de l’épuration des eaux usées domestiques, le Maroc compte à fin 2012 quelque 75 stations d’épuration des eaux usées (STEP) fonctionnelles permettant d’atteindre un taux d’épuration de 34%. Ce taux n’excédait pas les 8% en 2005, à la veille du démarrage du Programme national d’assainissement et d’épuration des eaux usées (PNA), lancé pour résorber le retard en matière d’assainissement et d’épuration des eaux usées. Pour réussir ce plan, une attention particulière a été accordée par les pouvoirs publics à la lutte contre la pollution industrielle à travers l’adoption d’un instrument incitatif: le Fonds de dépollution industrielle (FODEP), qui encourage la mise à niveau environnementale à travers un appui technique et financier aux entreprises industrielles et artisanales. Cet instrument a été récemment renforcé par un nouveau mécanisme volontaire réservé à la dépollution industrielle hydrique (MVDIH). Le volet juridique et réglementaire constitue une autre paire de manche. Depuis son adoption en 1995, la loi en vigueur a montré quelques dysfonctionnements ainsi que certaines insuffisances dans sa mise en œuvre. De l’aveu même de la ministre de tutelle, «le contrôle reste ainsi peu efficace, sans parler de la police de l’eau dont l’impact est très limité. Le principe du «pollueur-payeur» n’est pas appliqué non plus, et le dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées épurées ne sont toujours pas pris en compte». Autant de dysfonctionnements qui ont incité le ministère de tutelle à ouvrir un nouveau chantier de révision de cette loi.
Publié le 13-04-2014 à 15:00 _SOURCE WEB Par Tarik Hari Les ecos
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