"Transformer l'Arabie saoudite en destination touristique de rêve prendra beaucoup de temps"
Le récent voyage en Arabie saoudite de Lionel Messi, lié par contrat avec ce pays pour en faire la promotion touristique, a provoqué une crise au PSG. Il a surtout remis un coup de projecteur sur l’ambitieux projet du prince héritier Mohammed ben Salmane de faire de son pays une destination touristique de rêve. Décryptage avec le politologue Karim Sader
La nouvelle polémique qui secoue le PSG a offert un coup de projecteur inespéré à l'Arabie saoudite. Le club de football parisien a suspendu sa superstar argentine Lionel Messi à cause d'un voyage non autorisé au royaume wahhabite, dans le cadre d'un juteux contrat avec l'office du tourisme du pays.
L'opération de communication s'est transformée en tempête médiatique internationale, qui est venue rappeler que le prince héritier Mohammed ben Salmane, surnommé MBS, veut faire de son pays un haut lieu du tourisme mondial.
Le tourisme est en effet l'un des piliers de "Vision 2030", le plan de MBS destiné à restructurer l'économie saoudienne, annoncé en 2016.
Et comme souvent, les ambitions du prince héritier sont démesurées : transformer une pétromonarchie wahhabite au bilan contestable en matière de droits humains, par ailleurs premier producteur de pétrole au monde, en une destination touristique de luxe. Le royaume rêve même d'accueillir quelque 30 millions de visiteurs étrangers à l'horizon 2030, et espère créer jusqu'à un million d'emplois liés à ce secteur.
Jusqu'ici, l'Arabie saoudite, qui compte six sites classés au patrimoine mondial de l'Unesco et abrite les deux lieux islamiques les plus saints, la Mecque et Médine, était réservée aux pèlerins musulmans.
Pour comprendre les enjeux et les limites de ces ambitions princières, France 24 a interrogé Karim Sader, politologue et consultant, spécialiste du Golfe.
France 24 : Au-delà de la polémique Messi - sur fond de rivalité historique avec le Qatar -, cette affaire a remis sur le devant de la scène les ambitions du royaume en matière de tourisme. Quelle est l'importance de ce secteur dans le programme Vision 2030, cher au prince héritier ?
Karim Sader : Force est de constater que l'Arabie saoudite ne lésine pas sur les moyens pour se doter d'un secteur touristique attractif. Cela rentre dans le cadre des nouvelles transformations de la société saoudienne et de la volonté de rayonnement à l'international de MBS à travers son projet Vision 2030. Un projet dans lequel il cherche à développer différents instruments du 'soft power', comme le tourisme. C'est aussi une manière pour Riyad de suivre les pas de ses voisins dans le Golfe, comme les Émirats arabes unis et le Qatar, qui ont compris que pour rayonner à l'international, il fallait aussi investir dans des secteurs qui ont un impact médiatique tels que le sport, les médias et le tourisme. Même si le royaume dispose d'un patrimoine historique très riche et longtemps occulté par l'emprise du wahhabisme, à l'instar du splendide site de Hegra, qui témoigne de la civilisation nabatéenne, il a fort à faire pour se bâtir l'image d'un pays touristique, logistiquement et socialement parlant.
C'est pour cette raison que MBS a sorti les grands moyens pour s'attacher les services de professionnels et de groupes internationaux spécialisés. Mais aussi en engageant au prix fort des stars mondiales comme Lionel Messi pour faire la promotion du pays et lui servir, en quelque sorte, de vitrine de luxe. Cette même stratégie a été adoptée dans le domaine du sport avec le transfert retentissant du célébrissime et très populaire Cristiano Ronaldo. Une initiative qui s'est révélée être un excellent coup de communication pour le football saoudien et son championnat local, que personne ne connaît réellement en Occident. Fin mars, les Saoudiens se sont ainsi offert une opération assez médiatique avec l'organisation d'un concert dans le désert saoudien regroupant plusieurs artistes de variété française, dont l'ancienne Première dame Carla Bruni ou encore Gilbert Montagné, venus faire la promotion des vestiges de la cité d'Al-Ula. Ce qui est assez révolutionnaire en soi puisqu'il s'agit d'un site pré-islamique, dont la promotion aurait été inconcevable au plus fort de l'influence de la mouvance wahhabite sur le pouvoir et la société du royaume. Or, en Arabie saoudite, paradoxalement, c'est le prince héritier qui fait la révolution.
L'Arabie saoudite s'est fixée l'objectif de créer 200 musées et d'organiser 400 évènements annuels pour attirer 30 millions de touristes à l'horizon 2030. Ce pari démesuré est-il tenable selon vous ?
Comme dans tout ce qu'il entreprend, le prince héritier veut aller vite et frapper fort. C'est à la fois sa qualité et son défaut. MBS est en train de révolutionner la société et de faire passer son pays d'un royaume sclérosé par le conservatisme à une dynamique qui ferait pâlir, sur le papier, les Émirats arabes unis, un pays dont le modèle de développement le fascine. Il ne s'agit pas seulement de dépenser sans compter, car aux yeux de MBS il faut aussi rentabiliser les investissements consentis en créant un tourisme basé sur la technologie, en misant sur la construction de villes intelligentes ou des villes du futur qui vont attirer des investisseurs.
Toutefois, son projet touristique apparaît beaucoup trop ambitieux et traduit avant tout une frénésie personnelle, sans compter qu'il faut que la société saoudienne puisse assimiler et digérer les changements radicaux imposés à un rythme assez brutal. Même s'il s'agit d'un défi, et même s'il va tout faire pour y parvenir, son pari ne me paraît pas réaliste. Transformer le pays en destination touristique de rêve prendra beaucoup de temps, cela ne se fera pas aussi facilement que l'espère le dirigeant saoudien. Il faut laisser du temps à la population pour se former et se préparer pour accueillir les flux de touristes espérés et gérer les sites. Il y a des projets de sites touristiques qui vont nécessiter de déplacer des populations présentes depuis plusieurs générations, au risque de créer des troubles sécuritaires et des mouvements sociaux. Je prends pour exemple Neom, la ville du futur voulue par MBS. Ce mégaprojet de construction en plein désert est à ce jour un échec et provoque des tensions localement alors qu'il a coûté beaucoup d'argent et fait la fortune d'un certain nombre de concepteurs, d'architectes et de consultants. Pour moi, Neom montre les limites des ambitions de MBS qui pourraient se retourner contre lui.
Pour attirer des touristes, il faut un climat régional pacifié. Est-ce cela aussi qui explique l'hyperactivité diplomatique saoudienne du moment?
La question du tourisme s'inscrit dans la nouvelle politique de MBS qui est “la stratégie du Saudi first” [l'Arabie saoudite d'abord, NDLR], dont la priorité vise à garantir la stabilité du royaume dans un contexte régional apaisé, d'un point de vue sécuritaire et économique. Et ce, quoi qu'il en coûte en termes d'alliances, puisque Riyad s'est libéré de ses alliances traditionnelles et mène une diplomatie extrêmement malléable qui lui permet, tout en maintenant son partenariat avec Washington, d'entamer son rapprochement avec Téhéran à Pékin. Diplomatiquement, comme économiquement, les Saoudiens investissent désormais de manière pragmatique. Le temps où ils dépensaient sans compter est révolu. Le cliché ne tient plus.
Le 03/05/2023
Source web par : france24
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