Fatim-Zahra Ammor : « A fin Mars, nous aurons atteint la capacité aérienne de 2019 »
Plan d’urgence, mécanismes d’aide, moratoire au titre des crédits bancaires, fonds d’aide à l’hôtellerie, transport aérien, assouplissement des conditions d’entrée des touristes, promotion, transformation de l’ONMT en agence, charte de l’investissement, … Fatim-Zahra Ammor fait le bilan des actions devant permettre au secteur du tourisme de retrouver son niveau d’avant crise. La Ministre du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Economie Sociale et Solidaire promet, face à la rude concurrence mondiale destinations, de mettre en place les moyens nécessaires pour préserver les parts du Maroc dans les marchés émetteurs et développer de nouveaux marchés. Interview exclusive.
Challenge : Face à la crise sanitaire et économique, et à la lumière de ses répercussions sur le secteur touristique, le gouvernement a mis en place un plan d’urgence qui vise à sauvegarder les emplois du secteur, à appuyer les entreprises face aux contraintes financières. Votre département a, depuis quelques jours, mis en place ces mécanismes d’aide. Qu’en est-il de leur application sur le terrain ?
Fatim-Zahra Ammor: Le Gouvernement a approuvé un important plan d’urgence d’un montant de 2 Milliards de Dirhams pour le soutien de la relance du secteur du tourisme, qui vient se rajouter à 1.6 Mrd DH déjà accordé au secteur depuis le début de la pandémie. Aujourd’hui et suite à la concertation avec le ministère de l’Économie et des Finances, les professionnels et les autres parties concernées, toutes les mesures d’appui ont été activées.
Pour l’appui de l’Etat d’un montant global de 1 milliard Dh réservé à la mise à niveau des établissements d’hébergement touristique (EHT), un appel à manifestation d’intérêt (AMI) a été lancé le 21 février 2022. Pour la prise en charge par l’Etat de la taxe professionnelle des EHT, les établissements doivent formuler la demande avant le 31 Mars 2022 auprès des Associations Régionales de l’Industrie Hôtelière.
Concernant la mise en place du moratoire au titre des crédits bancaires accordés aux EHT, aux agences de voyages et restaurants classés, ainsi que les Entreprises de Transport Touristique, les intéressés doivent présenter une demande écrite auprès de leurs banques respectives pour bénéficier du présent protocole avant le 31 Mars 2022.
Enfin, concernant le prolongement du versement de l’indemnité forfaitaire de 2000 dirhams durant le premier trimestre 2022 et le report des charges sociales pour l’ensemble des employés des EHT, agences de voyage, transporteurs touristiques, restaurants classés et guides touristiques, les acteurs souhaitant faire bénéficier leurs travailleurs de cette indemnité forfaitaire, ainsi que les guides touristiques doivent procéder à leur déclaration via le portail covid19.cnss.ma.
Challenge : Concrètement, qu’est-ce que ce plan d’urgence va apporter au secteur marocain du tourisme ?
Ce plan vise à soutenir financièrement les entreprises du secteur pour un redémarrage rapide de leur activité suite au retour aux conditions normales d’exploitation, en assumant certaines de leurs charges afin de soulager leur trésorerie. Le but ultime est de soutenir l’effort des professionnels pour maintenir les emplois, préserver l’outil de production et favoriser une reprise d’activité sans que ces derniers ne soient handicapés par les difficultés du passif cumulées pendant les périodes de non-activité dues à la pandémie.
Challenge : Le bon nouveau est que toutes les filières, notamment les hôteliers, les transporteurs, les voyagistes et les restaurateurs classés, sont désormais concernées par les aides. Pourquoi cela n’a pas été le cas initialement ?
Effectivement, à l’heure actuelle, toutes les filières du secteur réglementées, à savoir les EHT, les agences de voyage, les guides, les transporteurs touristiques, mais aussi les restaurants classés, bénéficient des aides de l’Etat. Pour répondre à votre question, rappelons que la crise du Covid-19 est une crise sans précédent, et les pronostics initiaux annonçaient une reprise rapide de l’activité touristique. Nous ne pensions pas que la situation allait durer et que la reprise allait tarder autant.
Ainsi, les mesures actuelles sont le fruit d’un long processus de réflexion, de perpétuelle coordination avec le secteur privé et d’un engagement continu de l’Etat face à un contexte national et international incertain. Le but du plan d’urgence approuvé par le Gouvernement, est de préparer tous les acteurs touristiques au redémarrage de l’activité dans de meilleures conditions.
Challenge : L’une des mesures très attendues par les établissements d’hébergement, est celle qui concerne le fonds d’aide à l’hôtellerie. Où en est ce chantier ?
L’Appui de l’Etat pour la mise à niveau cible l’ensemble des établissements hôteliers touristiques, nécessitant un appui afin d’améliorer I) la qualité de leurs offres (la rénovation totale ou partielle, l’entretien des équipements et espaces) et, II) la qualité des services offerts (la transformation digitale, la mise aux normes, les charges de structure et la formation). La subvention est octroyée à hauteur maximale de 10% du Chiffre d’Affaires (CA) réalisé par l’établissement concerné au titre de l’année 2019, plafonnée à 10 Millions de Dirhams. La méthodologie et l’approche de mise en œuvre de cette mesure d’appui financier de l’Etat aux Etablissements d’Hébergement Touristique ont été convenues en étroite concertation avec les parties concernées, à savoir le Ministère de l’Economie et des Finances et les professionnels.
Le 21 février 2022, un appel à manifestation d’intérêt a été lancé pour recenser les Etablissements d’Hébergement Touristique souhaitant bénéficier de l’appui financier de l’Etat, afin de les soutenir financièrement pour un redémarrage rapide de leur activité. La gestion de cet appui de l’Etat, est confiée à la Société Marocaine d’Ingénierie Touristique «SMIT ». Les EHT peuvent obtenir le dossier d’AMI en le téléchargeant depuis le site de la SMIT. Les établissements intéressés, ont jusqu’au 31 mars pour présenter leurs dossiers. A l’issue des résultats de l’AMI, obtenus à partir de la combinaison de plusieurs critères, le classement des demandes d’appui se fera par Région et pour chaque catégorie.
Challenge : Pour les professionnels, le plan d’urgence est un effort louable, mais il y a une bataille, celle de l’assouplissement des conditions d’entrée des touristes. Selon eux, les destinations concurrentes du Maroc, font mieux sur ce plan. Qu’en pensez-vous ?
L’heure est à l’assouplissement des mesures dans plusieurs pays, y compris certaines destinations concurrentes mais une chose est sûre, ces mesures ne sont pas figées et le Maroc s’y adapte. La preuve, nous venons d’annoncer la levée du test antigénique systématique à l’arrivée dans les aéroports marocains.
Challenge : Depuis l’ouverture des frontières le 7 février dernier, Marrakech, accueille en moyenne 176 vols/semaine. Comment faire pour que la capitale touristique du Royaume, atteigne à nouveaux ses 635 vols/semaine d’avant pandémie ?
Nous sommes confiants que la reprise va se faire rapidement, que ce soit à Marrakech ou dans les autres villes du Royaume. En effet, dès la réouverture des frontières le 7 février dernier, une bonne partie des compagnies étrangères a repris sa programmation sur le Maroc, en dévoilant des programmes intéressants avec des reprises progressives de leur programmation sur le Royaume. A fin Mars nous aurons atteint la capacité de 2019, ce qui est une très bonne performance.
En parallèle, les équipes de l’ONMT ont entamé une tournée dans les marchés stratégiques, pour rencontrer les principaux prescripteurs de voyage, notamment les partenaires aériens du Maroc. Un travail concluant, couronné par l’annonce de compagnies leaders sur la destination d’augmentations records dès l’été 2022. A titre d’exemple, Ryanair dépassera de 50% la capacité de la même période en 2019 (année référence pré-pandémie) et Transavia et Easyjet annoncent des augmentations significatives, respectivement de l’ordre de 40% et 11%.
Challenge : Actuellement, la destination Maroc est en pleine campagne à la fois sur l’international et le marché domestique. Quel bilan faites-vous de cette grosse opération de séduction ?
En parallèle des volets commerciaux et partenariats, l’ONMT s’est mobilisé sur un autre axe stratégique de la reprise qui est la promotion de l’image de la destination Maroc, en déployant deux campagnes de communication simultanées pour le tourisme national et international. Une prise de parole étudiée et bien ciblée pour, d’une part, reconquérir les touristes internationaux et d’autre part continuer à donner envie aux Marocains d’ici et d’ailleurs, de découvrir ou redécouvrir les richesses de leur pays.
A ce stade, il est difficile pour nous de dresser un bilan car les deux campagnes sont toujours en cours, mais les premiers insights sont positifs et font ressortir des niveaux d’interactions intéressants auprès de la cible nationale et internationale.
Challenge : A l’heure de la reprise du tourisme dans le monde, ne pensez-vous pas que le moment est venu de revoir à la hausse le budget de l’ONMT, pour permettre au Maroc de mieux faire face à la rude bataille de promotion des destinations que se livrent les pays touristiques ?
Nous pensons que plusieurs enjeux sont majeurs à ce stade pour reprendre rapidement nos parts de marchés et il est évident que l’enjeu financier est primordial pour permettre aux différents départements touristiques dont l’ONMT, de mener sa bataille sur plusieurs fronts (commercial, communication, partenariats, …). Nous sommes conscients que la concurrence sera à l’échelle mondiale et nous mettrons en place les moyens nécessaires pour préserver nos parts dans les marchés émetteurs et développer de nouveaux marchés.
Challenge : Il est question depuis plusieurs années de transformer l’ONMT en agence à l’instar de la SMIT, ce qui permettra à l’Office d’être plus autonome, comme le souhaitent les professionnels du tourisme. Plusieurs ministres sont passés sans parvenir à boucler le chantier. C’est quoi le problème ?
Il est vrai que cette question revient souvent et notamment dans les conseils d’administration de l’établissement, surtout que l’ONMT est régi par une loi datant de 1976. Ce que je peux vous dire, c’est que nous y travaillons sérieusement, car nous ne pourrons pas être compétitifs et trouver notre place dans le nouvel échiquier mondial, sans une modernisation et une révision des textes de l’ONMT, notre bras armé dans la promotion de la destination Maroc.
Challenge : Les professionnels attendent avec impatience la nouvelle Charte de l’Investissement qui leur permettra de bénéficier de la détaxation s’ils investissent 50 millions de DH dans des projets touristiques, au lieu de 100 millions de DH actuellement. Quel regard portez-vous sur cette disposition?
La réforme de la charte d’investissement a, pour objectif, de promouvoir l’investissement privé de façon plus inclusive et a pour rôle d’assurer un levier pour renforcer la part de l’investissement privé par rapport à l’investissement de l’Etat. Ce projet bénéficie de la Haute Sollicitude de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu Le Glorifie qui a présidé, le 16 février 2022, une importante séance de travail consacrée à ce sujet.
Cette charte, qui concerne l’ensemble des départements ministériels, arrive actuellement à son étape finale. Elle comporte une batterie de mesures incitatives en faveur de l’investissement touristique et permettra la création d’emplois et la promotion d’un développement équitable des territoires, ce qui arrive vraiment à point nommé dans cette phase de relance où nous avons besoin d’attirer plus d’investisseurs, notamment dans l’animation touristique.
Challenge : Quand pensez-vous que tout le secteur marocain du tourisme pourrait atteindre son niveau d’avant pandémie ?
Après deux ans de crise sanitaire qui a laminé le secteur, il est difficile de se projeter à ce stade sur une date de retour aux performances d’avant pandémie, mais l’essentiel est d’assurer une reprise progressive et de préparer correctement la prochaine échéance importante, qui est la saison estivale. J’encourage donc vivement les professionnels à mettre rapidement à niveau leur offre, que ce soit en termes d’hébergement ou de services, afin que nous puissions accueillir les touristes le plus rapidement possibles dans les meilleures conditions.
Le 12 mars 2022
Source web par : challenge
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