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Nos ancêtres les berbères …

Nos ancêtres les berbères …

Si cette petite formule avait résonné dans la tête des écoliers marocains tout du long de leur scolarité, comme ce fut le cas jadis pour les petits français concernant leurs ancêtres les gaulois, alors la face du Maroc en aurait été changée. Et si de concert avec eux, les jeunes algériens, les jeunes tunisiens, ceux de Lybie encore, et tant d’autres éparpillés sur le nord du continent africain eurent entamés cette même rengaine – nos ancêtres les berbères …, il est fort probable que la face du monde, pour le coup, aurait bel et bien été différente.

Imaginons que cette petite musique ait ainsi traversé les pensées de ces enfants de génération en génération. Les peuples du Maghreb seraient peut-être aujourd’hui, et depuis longtemps, tout naturellement réunis dans une entité nationale unique et commune. Mieux encore, l’origine nord-africaine de quiconque vivant ou voyageant en Europe serait d’emblée comprise comme synonyme d’identité berbère et deviendrait du coup, mieux qu’un simple visa, un véritable passeport pour aller, libre, partout dans le monde.

Certes, ce tableau relève de la fiction et ne dessine aujourd’hui qu’une impossible utopie. Les populations du versant sud de la Méditerranée ont été très tôt dans leur parcours confrontées à d’inévitables brassages avec d’autres populations venues des quatre horizons. Et certains territoires en raison de leur emplacement, comme le Maroc à la jonction de deux continents, ont même été de véritables lieux carrefours, là où se gravent plus profondément qu’ailleurs les traces culturelles de tous les flux humains venus en vagues successives.

L’identité des peuples, entre alchimie et narration                          

En réalité, le processus qui permet d’élaborer l’identité des pays a peu de lien avec la généalogie des peuples et l’exercice est bien souvent plus une affaire de dialectique que d’histoire. L’intention est avant tout de construire le récit d’un peuple plus que d’en faire l’histoire. L’historicité même de ces narrations identitaires est une donnée clairement secondaire. Au bout du compte, il s’agit presque toujours d’une alchimie par laquelle des diversités humaines se trouveront fondues, fusionnées, recomposées pour alors émerger en une tierce unité, synthétique, porteuse de ce qui permet à une nation, à un moment donné de son histoire, de faire corps et être.

C’est bien ce processus-là qui a permis au Maroc en 2011 d’acter dans le préambule de sa Constitution que « son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen ».

Partout, dans un autrefois partagé, il y a le berbère

Mais quelle que soit la visée narrative recherchée, quels que soient les diversités humaines ainsi mises en alliage, les forgerons de l’identité d’une nation travaillent tous avec des matériaux élémentaires, des composants primitifs. Or, partout au nord du continent africain, dans un autrefois partagé par tous, il y a le Berbère. Partout, où qu’on se trouve entre l’Orient et l’Occident africain, il y a toujours eu ce même substrat humain issu d’un grand passé commun à tous les territoires concernés.

Cette réalité est factuelle, ineffaçable malgré les nombreuses tentatives qui parsèmeront le déroulement des siècles, indubitable en dépit du flou porté par cette appellation pleine d’énigmes : le berbère / l’amazighe.

L’humain berbère est ainsi aujourd’hui, et de manière incontestée, considéré comme le dénominateur commun le plus ancien entre tant de peuples et de nations. Mais un constat s’impose : tous ces peuples, et toutes ces nations, ont été dans l’impossibilité de s’approprier ce commun ancêtre, et donc de le partager.

Le paradoxe berbère à l’aune du temps qui passe

Le mystère porté par cette qualification de berbère explique en partie les difficultés qui ont dû émerger siècle après siècle pour édifier une identité berbère apte à s’imposer à tous.

Gabriel Camps, l’un des plus fervents spécialistes du sujet expose en ces termes ce qui pourrait être appelé le paradoxe berbère :

« En fait, il n’y a aujourd’hui ni une langue berbère, dans le sens où celle-ci serait le reflet d’une communauté ayant conscience de son unité, ni un peuple berbère et encore moins une race berbère. Sur ces aspects négatifs tous les scientifiques sont d’accord … et cependant les Berbères existent. »

Les berbères, mémoires et identité – Edition Errance – 1980

L’historien n’explique pas ce paradoxe. Fidèle à sa rigueur scientifique, il constate que les lointains Berbères n’ont certes pas eu l’usage d’une langue véritablement commune mais qu’ils ont a minima eu à leur disposition :

« … un système d’écriture original qui s’est jadis répandu, comme eux, de la Méditerranée au Niger. »

Les berbères, mémoires et identité – Edition Errance – 1980

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Cette écriture, le libyque, se retrouve aujourd’hui présent dans l’alphabet Tifinagh des Touaregs, cette communauté amazighe qui a le plus préservé les fondamentaux berbères d’origine. Mais très vite, l’écriture punique, et puis latine, et enfin arabe, ont pris la place au sein de tous ces peuples. Au final, l’arabisation linguistique s’est transformée en une arabisation socio-culturelle au point que dans certains pays …

« … la quasi-totalité du peuple se dit, se croit et par conséquent est arabe. Mais bien rares sont parmi eux ceux dont les veines charrient quelques gouttes de sang arabe, ce sang nouveau apporté par les conquérants du 7ème siècle ou par les envahisseurs bédouins du 11ème siècle : Beni Hilal, Beni Solaïm, et Mâquil, dont les effectifs n’atteignaient pas 200 000 personnes d’après les estimations les plus optimistes. »

Les berbères, mémoires et identité – Edition Errance – 1980

Le paradoxe est manifeste. Dans tous les territoires de cette Afrique du Nord, et sans discontinuer dans le temps, un vigoureux mélange s’est produit à partir des impulsions culturelles puniques, juives, romaines, vandales, byzantines, arabes, turcs et enfin européennes. Partout cependant une identité locale est restée vivante et valide malgré l’accumulation des apports extérieurs au point que très tôt on a cherché à comprendre de quoi il s’agissait, quelle était cette présence berbère qui à la fois assimilait l’entrant étranger mais en même temps gardait sa permanence.

Ce mystère a exarcerbé les esprits des nouveaux arrivants au point de les conduire sans cesse à rendre le Berbère étranger à ces terres qu’ils venaient de découvrir, à l’imaginer comme eux venu d’ailleurs, d’un lointain là-bas, à le vouloir être autre chose que tout simplement d’ici.

Le berbère, cet autre forcément venu d’ailleurs

L’historien et géographe grec Hérodote, au 5ème siècle avant notre ère, avait le premier décrit les peuples vivant sur toutes les terres successives à partir de l’Egypte. Il les dénommait sous le terme de Lybiens et faisait la distinction entre ceux qui vivaient, nomades, sur les bords de la mer et les autres, cultivateurs, résidant dans des maisons au milieu de paysages montagneux et boisés, manifestement les régions de l’Atlas, et alors dénommés par lui sous le terme de Maxyes.

Plusieurs siècles après, son homologue romain Salluste précisera le portrait de ces autochtones : le groupe des nomades est finalement rattaché à l’appellation de Gétules alors que le groupe des sédentaires garde celle de Lybien. Ensemble, ils composaient selon Salluste les humains présents sur ces territoires au temps de la Préhistoire, des chasseurs-cueilleurs primitifs perçus comme « grossier et barbares qui se nourrissaient de la chair des bêtes sauvages ou de l’herbe des prés ». Immanquablement, l’historien romain les imaginent avoir été civilisés par des populations venues d’Orient, plus précisément des Mèdes et des Perses, qui seraient alors restées sur place.

Salluste

Salluste

Herodote

Hérodote

Gabriel Camps explique que le terme de Maxyes est la traduction grecque du terme Imazighen (pluriel d’Amazigh) alors utilisé par les groupes autochtones pour s’identifier en tant que communauté. Ainsi, tous les étrangers venus sur ces territoires entre l’Egypte et l’océan Atlantique nommeront les groupes humains présents selon leur compréhension phonétique de ce nom primitif d’identité : Meshwesh pour les Egyptiens, Mazices ou Madices pour les Romains, Mazigh pour les Arabes.

L’historien français développe la thèse selon laquelle l’apparition dans les récits de l’Antiquité des peuplades Mèdes venues d’Orient ne proviendrait en fait que d’une déformation de l’appellation romaine Madices, ces Imazighen rencontrés sur place ; cette déformation linguistique étant motivée par une difficulté à concevoir que des populations autochtones non romanisées puissent avoir une quelconque qualité culturelle et civilisationnelle propre à elles.

A la recherche d’une origine impossible

Imazighen, Maxyes, Madices, Mèdes … Cette litanie de terme désignant le Berbère se synthétisera plus tard sous l’appellation générique de Maures alors utilisée pour désigner tous les nord-africains non latinisés. Mais toujours les observateurs au fil des époques chercheront à donner à ce Berbère une ascendance externe au territoire dans lequel il vit. Toujours subsistera cette propension à vouloir relier ce mystérieux Berbère, pourtant présent sur place, à une racine lointaine.

L’historien byzantin Procope de Césarée plaide lui pour une origine phénicienne. Saint Augustin depuis sa ville d’Hippone voisine de Carthage verra dans ses compatriotes des racines plus précisément cananéennes. Un autre historien grec, Strabon, voyait derrière les Maures rien de moins que des indiens. Hérodote expose quant à lui que les Imazighen descendent des Troyens et Plutarque décrit le grand héros grec Héraclès conduire jusque vers la Maurétanie Tingitane (Nord du Maroc) des communautés mycéniennes dans les environs de 1500 ans av. J.-C.

Mauretanie_Tingitane

Position de la Maurétanie tingitane dans l’Empire romain

Le célèbre géographe Ibn Khaldoun au 14ème siècle sera le plus catégorique :

« Les Berbères sont les enfants de Canaan, fils de Cham, fils de Noé. Leur aïeul se nommait Mazîgh. Les Philistins étaient leurs parents … »

Ibn KhaldouN

Les Philistins sont un peuple du Proche-Orient ancien établi au sud-ouest du Levant le long de la côte méditerranéenne, à la fin du IIe millénaire av. J.?C. et durant la première moitié du Ier millénaire av. J.?C.

Les historiens européens du 19ème siècle continuèrent cette recherche effrénée des origines berbères en donnant çà et là crédit aux thèses orientales ou indiennes, allant jusqu’à attribuer aux dolmens et autres monuments mégalithiques découverts en Algérie des origines celtes, gauloises, et donc françaises ou plus généralement nordiques.

Cet étranger, autochtone depuis 9000 ans

Les recherches anthropologiques proposent un tableau bien différent et détaché d’arrières pensées idéologiques. Bien évidemment la présence humaine dans le nord de l’Afrique et le Maghreb en particulier remonte à des temps très anciens. Mais il est aujourd’hui avéré que les différents représentants de la lignée Homo Sapiens qui ont été identifiés au Maghreb, depuis l’Homme de Néandertal (Hommes du Djebel Irhoud – Maroc) en passant par l’Homme atérien de Dar es-Soltane (Algérie) jusqu’à celui de type Cro-Magnon, l’Homme de Mechta El- Arbi d’Afalou bou Rhummel (Algérie), tous trois, chacun en leur époque, ont évolué localement, sans apport extérieur, et de manière synchrone avec les autres évolutions humaines ailleurs sur la planète.

Il faudra attendre les années -9000 ans avant notre ère, pour qu’un nouveau type d’humain, parti du Proche Orient, vienne en nombre s’installer jusque vers l’océan. Il sera appelé le Proto-méditerranéen et se fera connaître par l’essor d’une culture dite Capsienne. Ce nouvel arrivant se développera selon diverses ramifications chacune porteuse de spécificités morphologiques, avec cependant deux différenciations majeures, d’un côté ceux chez qui une robustesse s’affirmera et les autres chez qui, au contraire, une certaine gracilité deviendra la norme, le tout s’exprimant comme il se doit dans une infinité de nuances. Le Proto-méditerranéen se répartira au fil des millénaires sur une grande partie du pourtour de la Méditerranée, de la Lybie jusqu’à l’Italie.

Gabriel Camps peut ainsi affirmer :

« Nous tenons avec les Protoméditerranéens capsiens les premiers Maghrébins que l’on peut, sans imprudence, placer en tête de la lignée berbère. Cela se situe il y a quelque 9000 ans ! (…) Ces Capsiens ont une origine orientale. Mais cette arrivée est si ancienne qu’il n’est pas exagéré de qualifier leurs descendants de vrais autochtones. »

Les berbères, mémoires et identité – Edition Errance – 1980

Le déploiement de l’arborescence berbère

Ainsi donc, le Berbère a solidement ancré sa racine généalogique dans les terres mêmes de son développement, le Maghreb. Et c’est dans un même élan de synchronicité avec les autres groupes humains de notre planéte qu’il s’engagera dans les transformations radicales du Néolithique avec l’accession à la sédentarisation, à l’agriculture et à l’élevage.

Il accueillera et assimilera de manière ininterrompue les apports humains et culturels qui se sont poursuivis depuis l’Orient, depuis le Sahara et depuis le continent européen via l’Espagne. Certains de ses apports se révèleront certes plus influents que d’autres, notamment les migrations bédouines du 11ème siècle qui scelleront l’arabisation des populations. Mais à chaque époque, ces territoires du Maghreb et leurs communautés humaines fonctionneront comme d’excellents creusets civilisationnels d’où surgiront des peuples, des cultures, des royaumes et bien plus tard des nations.

Pasteur-bovidien

Pasteur-bovidien2

Tout au long des millénaires, ce Berbère originel sera ainsi acteur de l’évolution humaine généralisée. Il sera le pasteur bovidien que l’on retrouve sur les arts rupestres. Il sera le conducteur de char de la période équidienne qui parcourra, armé de son javelot, les vastes étendues du Sahara. Devenu cavalier, il sera le Gétule observé par les conquérants Romains, et puis le nomade Garamante, véritable ancêtre des Touaregs, fier guerrier muni de sa longue épée. Avant cela, il aura été le Lybien décrit par Hérodote, ou encore le Maxyes. Il deviendra le Numide des grands royaumes de Masaesyle et de Massyle avec le roi Massinissa. Le Berbère traversera enfin les siècles sous l’appellation de Maures, depuis les terres les plus à l’Ouest du continent jusqu’en Andalousie.

Sous le regard d’Ibn Khaldoun, le Berbère se déploiera non plus en peuples localisés mais en lignée tribale. Il sera le Sanhadja, le fils de Znag, le nomade chamelier, ou encore le Zénète, le premier à s’arabiser en profondeur. Tous deux fonderont d’importantes dynasties comme celle des Almoravides d’où émergera un vaste empire ou celle des Mérinides. Il sera le Berbère de la tribu des Masmoudas d’où s’épanouira la grande dynastie des Almohades dont la puissance réunira tous les territoires d’origine de son ancêtre Proto-méditerranéen.

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L’Empire almohade à son extension maximale, entre 1195 et 1212.

La mosaïque d’un roman sans frontières

Le Berbère, l’Amazighe des temps lointains, non seulement se déploiera en tribus, peuplades, cités ou royaumes, mais il sera source de nombreuses personnalités, fortes et rayonnantes, qui graveront leur nom sur les pages d’un roman sans frontières, véritablement commun à tous au Nord de l’Afrique.

Il sera Sheshonq 1er, pharaon d’Egypte en 950 avant J.C. et fondateur de la 22ème dynastie, le célèbre roi Massinissa qui contribua à la victoire de Rome sur Carthage en 202 av. J.-C. ou bien encore Jugurtha, roi de Numidie, Juba II, Ptolémée de Maurétanie et Masuna, roi du royaume des Maures et des Romains au début du 6ème siècle.

Le Berbère, au fil des siècles, portera d’innombrables destinées, celle de Dihya, reine berbère zénète, ou bien de Tin Hinan, originaire du Tafilalet et reine des Touaregs du Hoggar. Celle de Saint Augustin, évèque d’Hippone, d’Arius, prêtre d’Alexandrie, ou encore de Donatus Magnus, évêque d’Afrique, de Tertullien, père de l’Église de Rome, de Macrin, Diaduménien, Caracalla ou Émilien, tous empereurs romains.

Il devient Tariq ibn Ziyad, général omeyyade, qui partit à la conquête de la péninsule Ibérique en 711. Il parcourt les terres inconnues sous le nom d’Ibn Battûta, un des plus importants explorateurs du Moyen Âge.

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Tariq ibn Ziyad

Ibn-Battuta

Ibn Battûta

Saint-Augustin

Augustin d’Hippone

Dihya

La reine Dihya

Il exprime sa soif de liberté sous les noms de Lalla Fadhma N’Soumer, d’Abdelkrim el-Khattabi ou d’Assou Oubasslam, chef militaire de la résistance marocaine au colonialisme français.

Il développe tous ses talents sous les traits de Mohand Ou Lhocine, poète et mystique kabyle, de Si Mohand Ou Mhand, Muhammad Awzalou, de l’écrivain algérien Kateb Yacine, de Mohamed Choukri, Mouloud Mammeri ou Jean Amrouche, du chanteur Idir … et de tant d’autres, hommes et femmes de tous les temps, de tous les territoires, traversés et réunis par ce fil insondable, inaltérable, de l’origine amazighe.

Le constat est sans équivoque : sur ces terres du Nord de l’Afrique, de l’Egypte jusqu’à l’océan atlantique, le Berbère est au cœur de l’histoire qui s’y déroule. Il a été à la fois l’encre et le papier d’un récit sans auteur et sans titre. Et pourtant, son esprit demeure présent et vivant, fier et libre, là où il s’est posé pour y faire racine, et puis arbre d’existences, il y a 9 000 ans.

Le 30 avril 2021

Source web Par : sud est maroc

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