L’Ailleurs des souffrances émerveillées de Abbas Saladi (Par Abdejlil Lahjomri)
C’est à reculons que Abdejlil Lahjomri est entré dans l’Ailleurs psychédélique de Abbas Saladi, un peintre comme nul autre ailleurs dans le monde des arts plastiques que le secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume a l’habitude de fréquenter. Ses réticences venaient de l’étrangeté anxiogène de l’univers dépeint par l’artiste qui transcrit dans ses créations - ses créatures, serait plus juste - son être intérieur tourmenté. Puis de lectures en tableaux, Abdejlil Lahjomri est rattrapé par sa nature. Sa curiosité intellectuelle et son besoin de comprendre tout et surtout les marges, ont fini par l’emporter. Commence une pérégrination qui, s’il sait comment elle a commencé, n’a en revanche aucune idée sur comment elle va se terminer. Comme dans ses fouilles dans Chella et la Mystérieuse Stèle Funéraire de Abou Yacoub Youssouf le Mérinide, il est happé par l’histoire de ce qui va devenir non pas la chronique, mais les chroniques de l’étrange Abbas Saladi. Dans cette première partie, il prend avec lui le lecteur dans le cheminement de sa pensée et de son évolution sur et autour de ce personnage aux contours ambigus et vacillants. Une mise en bouche qui attise l’envie d’en savoir plus sur un peintre qui occupe déjà une place à part dans l’histoire de la peinture marocaine.
J’ai failli renoncer à écrire sur l’ailleurs déconcertant du peintre Abbas Saladi pour deux raisons : la première est que, lisant tout ce qui avait été écrit et consultant tout ce qui a été dit sur cet artiste et son œuvre, m’attardant sur l’excellent catalogue de la rétrospective du Musée de Bank Al Maghrib qui propose à un public séduit un voyage captivant, je me suis rendu compte que la compréhension de son univers échappait à toute interprétation « raisonnée ». La deuxième est l’affirmation péremptoire de mon ami Fouad Bellamine, peintre dont la connaissance intime de nos artistes et de leurs itinéraires est incontestablement lucide, qui me disait avec conviction qu’il n’aimerait pas vivre avec une toile de Saladi dans sa demeure et qu’il avait constitué une collection en omettant sciemment d’y adjoindre un tableau de Saladi. A la question pourquoi, il me répondit « qu’il en était ainsi » et à la question si je pouvais faire part de ce jugement sévère dans mes écrits, il me répondit, « sans conteste ». Pourquoi donc n’ai-je pas renoncé ? Tout simplement parce que dans mes investigations pour tenter d’élucider « le mystère Saladi », j’ai découvert un article de Mohamed Leftah qui parle d’une « vidéo Art » inspirée de l’artiste Saladi, publié dans le journal Le Matin du 20 Mai 1995, intitulé « L’Alphabet Rouge », qu’illustrait une reproduction d’une écriture énigmatique qui aurait été inventée par ce peintre. Mohamed Leftah, un immense auteur, qui nous a très tôt quitté et laissé une œuvre fulgurante, écrivant sur Saladi, ne pouvait qu’exciter ma curiosité déjà en éveil concernant ses romans.
Les pistes qu’il signalerait pouvaient m’aider, sans aucun doute, dans ma quête de l’univers de Saladi, artiste inclassable, et faciliter une intrusion dans des univers étranges et déroutants. Ces pistes, toutefois, allaient plus m’intriguer que m’aider à déchiffrer les énigmes qui peuplent les toiles de Saladi. Elles me firent surtout redécouvrir l’œuvre poétique d’une absolue incandescence de Abdellah Zrika, que je regrette de n’avoir pas relue, connaitre un artiste marocain du nom de Mounir Fatmi dont j’ignorai tout, et dont « l’ailleurs » est instructif, et qui a produit la vidéo que commente Mohamed Leftah, deux artistes étrangers: Véronique Barre peintre, et surtout un poète Serge Pey qui a écrit un poème sur Saladi que je me suis promis de retrouver, pour comparer sa marginalité avec celle du peintre qui nous intéresse. Mais, une de ces pistes allait être plus féconde que les autres. Mohamed Leftah évoque ce que le titre de cette vidéo et la vidéo elle-même suggéraient : qu’il y a des liens intimes entre l’œuvre de Saladi et celles de Ibn Arabi, et de l’alchimiste Jabir Ibn Hayyan. On ne présente pas Ibn Arabi, « Ach-Cheikh al-Akbar », ni son œuvre monumentale et foisonnante, surtout les « Futuhat Mekkya », ni non plus Ibn Hayyan et son livre « Kitab al Bayane » (Le Livre de l’Explication). L’article de Mohamed Leftah m’a permis de découvrir celui de Jaafar Kansoussi dans la revue « Horizons Maghrébins » intitulé « Ibn Arabi ou la vision du Trône divin à Marrakech », qui m’apprit que « Ibn Arabi s’était rendu auprès du « Çahib As- Sadaqat » (le maitre des aumônes), le saint le plus connu des sept saints de Marrakech Sidi Bel Abbas Es-sebti, qu’il s’était concerté avec lui et qu’il avait trouvé que « La Balance de la générosité lui avait été octroyée ». Quand on sait que Saladi affirmait que s’il s’était appelé Abbas c’est parce que, le jour de sa naissance, alors que ses parents qui habitaient non loin du sanctuaire de ce saint, (dans le quartier dit Hay El Massakine), s’interrogeaient sur le nom à lui donner, un homme rentra chez eux inopinément, invoquant « Sidi Bel Abbas, Sidi Bel Abbas ». Quand on sait aussi qu’il expliquait que le Dôme qu’il représentait dans tous ces tableaux était le Dôme de la vénérable institution où ce saint est enterré, la boucle est bouclée. Si l’on voulait de plus, comprendre quelque chose à cette œuvre il fallait se hasarder à y déceler les dimensions théologiques, mystiques, soufies qui transparaissent. Devons-nous pour cerner l’ailleurs de ce peintre, pénétrer plus avant dans les ailleurs du mysticisme et du soufisme, de l’alchimie et de l’ésotérisme ? Quelque chose d’indéfinissable semblait m’empêcher de déchiffrer les liens que l’on affirmait rapprocher l’univers du grand mystique qu’était Ibn Arabi de celui de « Al Abd el Fakir» qu’était Saladi.
Le 24 mars 2021
Source web Par : quid
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