Seuls face au Covid-19 : de la survie à la relance économiques
Nabil Adel analyse, avec deux autres membres du Mouvement Maan (Zakaria Garti et Salaheddine Nabirha) l’action e?conomique du gouvernement et les perspectives ouvertes par cette e?preuve pour notre e?conomie.
En ces moments difficiles par lesquels passe le Maroc, l’union nationale est de mise pour venir à bout de la pandémie dévastatrice du Covid-19. Toutefois, dans un pays démocratique, l’union n’empêche pas la mise en garde. Et en ces temps particulièrement durs pour nous, le danger est le consensus qui voile l’alternative.
C’est la raison pour laquelle nous souhaiterions analyser sans concession l’origine de cette crise, les actions du gouvernement pour y faire face et les perspectives qu’elle ouvre pour notre pays.
Une crise singulière, mais des mesures conventionnelles
La crise du Covid-19 à laquelle nous faisons face est d’une nature foncièrement différente de celles qui l’ont précédée.
Auparavant, les crises étaient souvent financières (1929, 1973, 1987, 2000 et 2008). Autrement dit, les marchés des capitaux étaient déstabilisés, mais les appareils de production restaient intacts. La sortie de ces crises dépendait dès lors de la qualité des politiques économiques mises en place.
Or, ce qui se produit actuellement est inédit, tant par son ampleur que par la rapidité de sa propagation. Nous assistons à une situation d’arrêt brutal et concomitant de l’appareil productif dans plusieurs secteurs à l’échelle globale. Aujourd’hui, plus de 4 milliards d’habitants sont confinés chez eux, à cause d’un virus apparu il y a à peine quatre mois.
A l’instar de plusieurs pays, le Maroc a fermé son espace aérien et mis en place un confinement de la population, et ce, dès les premiers jours de la crise. Face à l’arrêt brutal de l’appareil productif, des mesures de soutien aux plus démunis, à ceux qui ont perdu leur emploi et aux entreprises en difficulté, ont été adoptées et mises rapidement en œuvre pour sauver l’économie de l’effondrement.
Certes, le gouvernement marocain ne pouvait pas faire autrement à court terme, mais à moyen terme ces actions se révéleront de portée limitée, car elles ne font que reporter dans le temps un problème plus sérieux. Recourir à la dépense publique et à une politique monétaire accommodante pour maintenir l’outil de production national et stimuler la demande finale est inopérant, car l’activité est à l’arrêt et les ménages sont confinés.
Et un ménage qui ne peut pas circuler, ne pourra ni produire, ni travailler et encore moins dépenser. Très rapidement, les finances publiques vont s’effondrer et avec elles, des pans entiers de notre économie.
Aucun pays n’est suffisamment fort pour qu’un seul agent économique (l’État) porte sur ses épaules tous les autres. Plus la durée du confinement se prolonge, plus la production ralentira, jusqu’à l’arrêt dans certains cas (ce qui rendra la reprise plus problématique) et plus les efforts demandés au gouvernement seront importants et, à terme, insoutenables.
Dans cette crise, nous touchons l’essence même des facteurs de production et non leur degré d’utilisation (comme ce fut le cas des autres crises). Notre seul salut est que le retour à la normale se produise dans quelques semaines, sinon le pire est à craindre.
Des décisions économiques questionnables
Dix jours avant le confinement et alors que le monde est en effervescence en raison de la pandémie du Covid-19, fut le moment choisi par les autorités pour élargir la bande de fluctuation du dirham.
Résultat, la monnaie nationale s’est dépréciée en moins d’un mois de 3,5 % face au panier de cotation (60 % euro-40% dollar) et il y a de grandes chances qu’elle atteigne rapidement la limité inférieure de cette bande, à savoir -5 %.
Cette dépréciation rapide a gonflé les factures des importateurs et toute la dette extérieure du Maroc, sans profiter aux exportateurs. Aucun responsable sensé ne prend une telle décision à un tel moment.
Pour sauver les comptes extérieurs d’une forte détérioration, l'on a dû recourir dans l’urgence au déblocage de la ligne de précaution et de liquité auprès du FMI (qui reste une dette malgré l’habillage que l'on tente de lui donner). Si cette décision est compréhensible dans le cadre du système de changes fixes que l’on a abandonné, elle devient totalement inexplicable dans le système de changes flexibles que le Maroc vient d’adopter.
En effet dans ce dernier, l’ajustement du déficit de la balance des paiements est censé être fait par la valeur du dirham elle-même et non pas par les réserves de change et le recours à l’endettement, tel que la réforme a été justifiée à l’opinion publique. Aujourd’hui Bank-Al-Maghrib se dit prête à soutenir la valeur du dirham, alors pourquoi dans ce cas continuer à vouloir adopter un régime de changes flexibles ?
Par ailleurs, la décision de réduire le taux directeur à 2 % est peu utile dans ces circonstances, car en période d’incertitude, les agents économiques reportent sine die leurs projets d’investissement et donc l’endettement pour les financer et donnent la priorité à la détention de cash.
En cette période de crise inédite, l’injection de liquidités ne soutiendra pas le pouvoir d’achat et donc la demande, comme on semble le penser. Elle sera d’abord utilisée par les agents économiques pour se constituer une réserve en argent liquide, ce qui ralentira considérablement la circulation monétaire et enfoncera le pays davantage dans la déflation et la crise.
De même, les transferts monétaires effectués par le gouvernement ne préserveront pas les emplois. Au mieux, ils permettront de gagner quelques semaines. Aucune injection de liquidités, aussi massive soit-elle, ne maintiendra les emplois dans ces circonstances. Seule la production le permettra. Or, avec un appareil de production à l’arrêt depuis plusieurs semaines et donc incapable de transformer cette création monétaire en création de richesses, quels que soient les transferts effectués, le chômage finira par exploser.
L’injection par le gouvernement de liquidités dans l’économie permet à celle-ci de se maintenir a minima et la sauve d’un effondrement immédiat. Dont acte.
Mais à quel prix et pendant combien de temps ?
§ Le prix à payer est un recours excessif à l’endettement qui atteindra de nouveaux sommets à mesure que la pandémie perdure. Il ne faudrait donc pas s’étonner, si une fois la crise passée, les bailleurs de fonds exigent de nous de réduire les budgets de l’éducation et de la santé pour assurer le remboursement. Un autre programme d’ajustement structurel se pointe déjà à l’horizon.
§ Quant à la durée pendant laquelle le gouvernement pourrait maintenir ce train de sauvetage, elle est assurément très courte compte tenu de la taille de notre économie. Car face à la chute brutale des recettes fiscales et à la hausse des dépenses publiques liées aux mesures de sauvetage, aucune politique économique de soutien ne pourra tenir au-delà de quelques semaines, voire quelques mois. À partir de deux trimestres d’arrêt de la production, la courbe économique des principaux indicateurs empruntera, à l’instar de celle du Covid-19, une allure exponentielle défavorable dont personne ne pourrait prévoir la limite.
Le gouvernement a-t-il un plan B, si la crise perdure ?
Le ralentissement de la circulation monétaire consécutif au confinement plongera le Maroc davantage dans la déflation dont il n’est pas arrivé à se dégager bien avant cette crise. Mais en deçà d’un certain seuil de dégradation de la production nationale, toutes les composantes de la demande (consommation, investissement, dépenses publiques et exportations) s’effondreront concomitamment et surtout brutalement.
Pour maintenir la paix sociale dans le pays, seul le recours à la planche à billets permettra de sauver la situation, pour un temps. Ensuite, nous assisterons rapidement à une hausse vertigineuse du chômage et à une forte inflation (cas du Venezuela), dont on ne viendrait à bout qu’après plusieurs années et au prix de grands sacrifices économiques et sociaux.
En un mot, le confinement est un remède qui peut s’avérer pire que le mal. Après cette pandémie, il risque de ne plus y avoir d’économie à sauver et il faudra sans doute attendre plusieurs années avant de retrouver les niveaux de production actuels. Ce que nous vivons n’est ni une crise de l’offre ni une crise de la demande. C’est un arrêt total de la circulation des facteurs de production et seule la levée de cette quarantaine sur la production donnera du sens à la politique économique menée par le gouvernement.
Quelles leçons tirer de cette épreuve ?
Au-delà de ces mesures palliatives rendues nécessaires par la gravité de la situation, le gouvernement doit tirer les vraies leçons de cette crise et surtout à les transformer en opportunités.
S'agissant des leçons, il y a lieu de retenir particulièrement que :
1. La souveraineté de l'Etat doit être, désormais, pensée dans une dimension plus large incluant les dimensions technologiques industrielles et sanitaires.
2. Les problèmes de gouvernance de notre pays ne sont pas une fatalité. Les marocains ont constaté avec un grand étonnement comment des dossiers qui traînaient depuis plusieurs années ont été résolus en quelques semaines quand la volonté politique y était (aide directe aux démunis, digitalisation de l’administration, éducation à distance, etc.)
3. La recherche scientifique, ou plutôt les chercheurs existent au Maroc et qu’ils sont capables de trouver rapidement des applications industrielles à cette recherche (respirateurs artificiels, masques intelligents, applications numériques, etc.), si on leur fait confiance.
4. Dans des domaines sensibles (souvent décriés par les citoyens) tels que de l'école, la santé, la justice et l’administration, un rebond est toujours possible.
Pour les opportunités, citons à titre d’illustration :
1. La révélation des trésors de créativité et d’inventivité dont peuvent faire preuve les marocains. Elle a permis de voir émerger une nouvelle génération d'entrepreneurs, agiles, habitués à la compétition et qui se sont vite adaptés à une situation d’une extrême complexité. Le Maroc post-covid19 doit donner toute sa chance à ces entrepreneurs et accompagner notre capital national vers la création de richesses et le progrès.
2. La digitalisation de l'administration, de l'école, du travail, et de moult interactions sociales montre le grand gisement de développement que représente pour notre pays l’économie numérique, en ce sens qu'elle rationalise les investissements, réduit la pression sur l'environnement et surtout fluidifie la décision et la circulation de l'information.
Cette crise est porteuse d'espoir, en humanisant les rapports entre les hommes et en mettant au goût du jour les valeurs de solidarité et d’entraide. Elle nous donne l'espoir de voir émerger de nouvelles formes de régulation de l'économie marocaine et que la coopération et le partage sont une réalité porteuse de valeurs.
Les Marocains ont montré une fois de plus qu’ils sont un grand peuple toujours au rendez-vous avec l’histoire. Maintenant la balle est dans le camp de l’Etat.
Par Nabil Adel (avec Zakaria Garti et Salahedine Nabirha)
Le 14/04/2020
Source Web Par Médias 24
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