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Exclusif. Le patron des stups se met à table (1/3)

Exclusif. Le patron des stups se met à table (1/3)

Quelques jours après deux importantes saisies de cocaïne et de haschich, le chef du département de la lutte anti-drogue Abderrahim Habib revient pour Médias24 sur les méthodes de travail de ses équipes et leur combat quotidien contre tous les types de stupéfiants présents au Maroc. Une analyse transversale qui nous apprend que l’explosion actuelle des saisies s’inscrit dans une grande stratégie proactive, orchestrée par le tandem DGSN-DGST, en partenariat avec les plus grands services concernés de la planète. Voici la première partie de cet entretien exclusif.

Au premier abord, le patron des services marocains chargés de combattre le trafic national et international des stupéfiants pourrait aisément passer pour un cadre supérieur d’une grande banque.

Elégant dans son costume de belle coupe, Abderrahim Habib n’en est pas moins très redouté par les trafiquants marocains et étrangers contre qui il mène une lutte sans répit ni merci.

Dans ce long entretien accordé à Médias24, l’homme de confiance d’Abdellatif Hammouchi, qui dirige la DGSN et la DGST, n’a éludé aucune question sur toutes les drogues présentes au Maroc dont certaines commencent même à poser un risque sanitaire chez une partie de la jeunesse marocaine.

Afin de ne pas lasser le lecteur, Médias24 a choisi de publier cette interview qui a duré plus d’une heure en trois parties dont la première sera consacrée au trafic national et international de haschich.

- Médias24 : Durant les 2 derniers mois, vos services n’ont pas chômé avec des grandes saisies médiatisées de drogues. A ce jour, quel est le bilan de la DGSN en matière de saisies de haschich ?

- Abderrahim Habib : Depuis le début de l’année, ce sont plus de 150 tonnes de résine de cannabis qui ont été saisies.

- Contre combien en 2018 ?

- Un peu plus de 60 tonnes, soit dans la moyenne des saisies des dernières années qui oscillent entre 60 et 70 tonnes.

Les 150 tonnes sont le fruit d’une accumulation d’affaires (13 t à Fès, 3,5 à Nador …).

- Quel est le record historique en une seule prise ?

- Si je me souviens bien, il a été de 32 tonnes en 2015.

- Destinées au marché intérieur ?               

- Non, cette cargaison a été interceptée à un poste-frontière dans le cadre d’une opération conjointe avec un pays étranger.

- Et pour les 150 tonnes saisies en 2019 ?

- Une grande partie était destinée à l’étranger et l’autre au marché intérieur illicite. Je tiens à préciser, illicite, car parler de simple marché n’est pas approprié pour une substance illégale.

Nous nous attaquons désormais en amont aux réseaux de trafiquants et n’attendons plus que la marchandise arrive à la frontière pour intervenir

Quand on fait une grosse saisie pour le marché illicite local, elle est le plus souvent destinée à plusieurs villes du Maroc, comme ça a été le cas d'une cargaison de 2 tonnes qui devait être partagée en 4 pour Tan Tan (500 kg), Taghazout (500), Meknès (500) et enfin Casablanca (500).

Il y a également plusieurs tentatives d’exportation avortées vers l’Europe, mais qui ne se situent pas uniquement aux postes-frontières.

- C’est-à-dire ?

- Je vais vous donner un exemple concret qui s’est passé dernièrement à Tanger où nous avons saisi 9,12 tonnes de résine de cannabis.

Cette quantité importante n’a pas été interceptée au niveau du poste-frontière maritime de la ville mais dans une ferme de la région.

Elle était stockée et dissimulée dans cette ferme dans la perspective de l’expédier à l’étranger.

Tout cela pour dire que, dans le cadre de l’action proactive de nos services, nous nous attaquons désormais en amont aux réseaux de trafiquants et n’attendons plus que la marchandise arrive à la frontière pour intervenir.

- Comment devait-elle être exportée ?

- Dans des cachettes aménagées dans des véhicules ou par voie maritime dans des petites embarcations.

-Des go-fast ?

-Oui car à l’instar de tous les pays ayant des côtes maritimes, le Maroc est confronté à un défi majeur qui est le trafic illégal par voie maritime.

- Vous n’arrivez donc pas à tout contrôler ?

- Il n’est pas possible de tout juguler.

Les réseaux auxquels nous sommes confrontés sont à la fois sophistiqués, opaques, polymorphes et très cloisonnés

- Même avec ce que l’on appelle un mur électronique (radars, sonars …) ?

- Personne sur la planète n’est en mesure de verrouiller chaque centimètre de son territoire maritime.

Ceci est d’autant plus vrai que les réseaux auxquels nous sommes confrontés sont à la fois sophistiqués, opaques, polymorphes et très cloisonnés.

Ainsi, un réseau peut décider de sortir une cargaison d’un endroit avant de changer d’itinéraire au dernier moment à cause des contrôles renforcés.

La rapidité est un élément clé de leurs tentatives car quand un fourgon chargé de colis de résine arrive au point de départ de l’expédition, il suffit de 15 minutes au maximum aux trafiquants pour finir l’opération car les tâches de chacun sont bien définies à l’avance.

Ils sont très bien organisés. Ainsi, un véhicule ramène sur la côte une embarcation pneumatique dégonflée qui est gonflée en moins de 5 minutes, avant d’être chargée en colis puis de démarrer vers l’Espagne.

- Quelle est la puissance des embarcations ?

- En général, d’au moins 250 chevaux mais certains en ont beaucoup plus.

- En combien de temps se fait le trajet Maroc-Espagne ?

- Cela dépend du point de départ mais vu la proximité des 2 pays (13 Km), c’est très rapide.

- L’Espagne est toujours la destination finale ?

- Non, ce pays n’est le plus souvent qu’une porte d’entrée et in fine un point de passage.

- Le trafic par voie maritime a donc encore de beaux jours devant lui ?

- Nous lui portons des coups très durs mais ne pouvons pas tout contrôler.

- Quel est le problème, la longueur des côtes ?

- Plutôt la densité de l’espace maritime qui rend difficile le contrôle.

Afin de mieux comprendre, je vais vous donner un exemple d’un pays producteur de cocaïne que je ne nommerai pas.

Ce pays a comme partenaire stratégique les Etats-Unis mais malgré les énormes moyens de contrôle qui sont mis en œuvre, ils ne parviennent toujours pas à mettre un terme au trafic par voie maritime.

La raison est que les trafiquants exploitent toutes les occasions pour réussir leurs coups mais cela ne nous empêche pas de démanteler une bonne partie de ces réseaux criminels internationaux.

La preuve en est que nos partenaires espagnols ont ainsi constaté en 2018 et 2019 une nette régression des saisies de cannabis en provenance du Maroc.

Leurs services saisissent toujours des cargaisons mais beaucoup moins que les années précédentes où certaines saisies étaient énormes.

- Dans ce cas, comment expliquer que vous soyez passés de 60 tonnes de saisies à 150 en un an ?

- Tout simplement parce que nous avons une stratégie anticipative axée sur plusieurs volets et qui contient plusieurs mesures d’ordre opérationnel portant ses fruits.

Elle repose sur le renforcement de nos capacités humaines, à savoir l’organisation de séminaires de formation pendant toute l’année. Ils sont dispensés par des experts nationaux et étrangers dans la lutte contre toutes les formes de criminalité et pas seulement contre le trafic de stupéfiants.

Des chefs de département anti-criminalité de tous les horizons viennent ainsi exposer des cas d’école et partager leur expérience avec nos agents.

Ce renforcement des capacités ne se limite pas à de la formation théorique mais également à des cas concrets permettant d’améliorer nos résultats sur le terrain.

Ces séminaires de formation dispensent en effet des enseignements très utiles pour renforcer le contrôle et la détection au niveau des postes-frontières maritimes, aériens ou même terrestres.

Les saisies ne sont pas le fruit du hasard

Ainsi, les saisies à l’aéroport Mohammed V de Casablanca ne sont pas le fruit du hasard ou de la chance mais d’un travail important en amont.

Certains signes ne trompent pas. Ils sont repérables grâce à l’expérience et à la formation de nos agents, qui, en fonction du profil, concluent à un risque de trafic ou pas de certains voyageurs.

Les critères permettant de cibler une personne (absence de bagages, nervosité …) font partie de nos techniques de profilage qui sont très utiles.

De plus, une personne qui cache de la cocaïne dans ses intestins pourra peut-être échapper à une fouille physique mais pas à une radio médicale.

Idem au port de Tanger où nous avons des scanners capables de déshabiller le contenu des camions ou des véhicules de particuliers sans parler des brigades cinéphiles qui sont très efficaces.

- Les moyens techniques ont donc été renforcés ?

- Exact et ceci pour toutes les formes de criminalité, que ce soit pour l’émigration irrégulière, les faux documents, le trafic de stups …

Hormis le renforcement des capacités humaines et technologiques, l’autre point important est la collecte, l’analyse puis l’exploitation des informations. Un processus essentiel car le renseignement criminel permet souvent de résoudre une affaire.

Pour cela, la DGSN a créé, ces dernières années, des brigades spécialisées au niveau national qui analysent ces informations.

Il y a également le pôle DGSN-DGST qui mène une collaboration parfaite.

- Il n’y a pas de guerre des polices comme cela a pu être le cas ailleurs ?

- Absolument pas.

Ce qui fait notre force au Maroc, c’est la complémentarité d’action entre tous les départements sécuritaires.

- Le fait que Monsieur Hammouchi chapeaute la DGSN et la DGST est un avantage ?

- Bien évidemment mais la coopération ne s’arrête pas à ces deux départements.

Dans les affaires de criminalité, nous collaborons aussi bien avec la gendarmerie royale qu’avec la marine royale …

- Ce qui n’est, encore une fois, pas toujours le cas en Europe ou même aux USA (guerre FBI-CIA)…

- Nous ne sommes pas dans cette dynamique car notre priorité commune est de sauvegarder l’ordre public.

- Entre vos chefs, il n’y a pas de problèmes d’ego et de rétention d’informations ?

- Pas du tout, car le partage d’informations et la complémentarité sont primordiaux pour faire face aux réseaux criminels qui sont très difficiles à infiltrer.

- Justement, comment les infiltrer : avec vos propres agents ou avec des informateurs extérieurs ?

- Une combinaison des deux.

- Vos informateurs sont-ils rémunérés comme les aviseurs en Europe ou aux USA ?

- Pour l’instant, il y a un vide juridique et une absence de texte législatif qui régit cette question.

- Alors, comment arrivez-vous à motiver les aviseurs marocains ?

- Sur le plan pratique, ils ont quelques compensations ou récompenses mais pas de rémunération au sens propre du terme.

- Comment devient-on informateur pour la DGSN ou la DGST ?

- C’est un sujet sur lequel je ne veux pas m’étendre mais ce que je peux dire, c’est qu’ils jouent un rôle essentiel pour nous faciliter le travail.

- Quel résultat donne le renseignement humain ?- En règle générale, des affaires plutôt ordinaires, quelques kilogrammes tout au plus.

Pour les gros poissons aux ramifications internationales, ce sont toujours des informations fournies par la DGST.

- Elle tire ses infos de son travail ou de sa collaboration avec les services étrangers (DEA, OCTRIS…) ?

- Les renseignements qu’elle nous communique proviennent toujours du travail de ses agents sur le terrain marocain.

- Quid de la coopération avec les grands services étrangers de lutte contre le trafic de stups ?

- Hormis ce que nous communique la DGST, l’autre volet est celui de la coopération internationale avec des pays qui nous envoient des renseignements via des canaux dédiés (DEA, Interpol …).

- Un exemple concret ?

- Récemment, nos amis portugais nous ont communiqué une information sur un de leurs ressortissants susceptible de se livrer au trafic de cocaïne à partir du Maroc.

Après enquête, le tuyau s’est avéré fiable et nous l’avons interpellé à Fès avec 2 kilogrammes de cocaïne.

L’échange d’informations avec les pays occidentaux et arabes se passe dons très bien et, sans prétention aucune, nous avons acquis une renommée internationale qui nous distingue en Afrique.

Hormis le partage d’informations, nous menons également avec nos partenaires étrangers des enquêtes conjointes.

Plusieurs pays nous approchent pour partager leurs données sur des réseaux identifiés et qu’ils soupçonnent d’utiliser notre territoire pour trafiquer.

- Vous voulez parler de livraisons surveillées de grandes quantités de cannabis ?

- Non, l’enquête conjointe consiste à partager et à débattre de nos informations respectives pour voir ce que nous pouvons en faire.

L’objectif est de trouver les modalités adéquates pour faire aboutir une investigation : devons-nous nous limiter à des filatures ?

Ou s’il y a des éléments plus solides, organiser une opération de livraison surveillée de stupéfiants, avant de démanteler le réseau dans tous les pays concernés ?…

- Ces opérations concernent le plus souvent le trafic international de résine de cannabis ?

- Exactement, nous sommes d’ailleurs le 1er pays d’Afrique à organiser des opérations de livraison surveillée qui réussissent complètement, avec de nombreuses arrestations à la clé.

Nous n’avons jamais connu le moindre échec dans ces opérations très sensibles au niveau opérationnel.

Les trafiquants ne sont pas stupides au point de bourrer un véhicule de drogue sans soigner les apparences.

- Peut-on avoir un chiffre ?

- Uniquement pour 2019, nous avons déjà participé à une dizaine d’opérations de livraison surveillée.

- Concrètement, ça se passe comment ? Vous suivez un véhicule bourré de haschich jusqu’à Tanger, puis le laissez passer avant que vos homologues étrangers ne prennent le relais ?

- C’est plus compliqué que ça, car le plus souvent, ce sont des opérations de fret légal avec du haschich savamment dissimulé dans une cargaison de marchandises licites.

Les trafiquants ne sont pas stupides au point de bourrer un véhicule de drogue sans soigner les apparences.

Dans la réalité, nous sommes informés que l’opération de fret soi-disant légale contient du haschich et nous coordonnons donc nos informations avec les pays requérants.

- Lesquels ?

- Le plus souvent, c’est la France mais les autorités espagnoles sont également dans la confidence.

Si c’est un camion, il est donc suivi sur tout le trajet par les services marocains, espagnols et français pour arriver à identifier tous les acteurs du trafic et en particulier la tête du réseau.

Notre contribution est essentielle car en général, nos partenaires ne connaissent pas, hormis celle du chauffeur, l’identité des membres du réseau qu’ils soient organisateurs ou commanditaires.

Cela leur permet donc d’identifier toute la logistique mise en œuvre à partir du Maroc par les trafiquants qui ont pris soin de monter une société commerciale en bonne et due forme et le plus souvent inconnue de leurs services.

Grâce à notre collaboration, ils parviennent à identifier puis à démanteler l’ensemble du réseau.

- Quel type de fret est le plus souvent utilisé ?

- Des cargaisons de fruits, de légumes, de marbre ou même de carrelage.

- Pour conclure avec le volet haschich, quelle est la production nationale annuelle ?

- Depuis 5 ans, elle a régressé de 65% et aujourd’hui elle est d’environ 800 tonnes par an.

- 150 tonnes sur 800, c’est donc près de 20% démantelés ?

- C’est un grand succès, d’autant plus que l’année 2019 n’est pas encore terminée.

Pour 2019, nous avons interpellé 750 trafiquants internationaux, 28 566 Marocains et 79 012 consommateurs.

*La suite de l’interview consacrée au trafic de cocaïne, d’ecstasy, de karkoubi et d’héroïne sera publiée dans les colonnes de Médias24, mercredi 27 et jeudi 28 novembre dans deux autres parties.

Le 27 novembre 2019

Source web Par medias24

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