Entretien avec Joël Daligault Directeur de l’Agence française de développement
«Le rôle de l’AFD dans un pays comme le Maroc est d’accompagner les politiques publiques»
● Le Maroc est le premier bénéficiaire des financements de l’Agence française de développement. La forte demande marocaine ainsi que la volonté française d’accompagner le développement du Maroc sont à l’origine de cette particularité, d’après le directeur de l’AFD au Maroc, Joël Daligault.
● L’AFD accompagne l’État dans la réalisation de ses politiques publiques. «Dans l’immédiat, la priorité est accordée à l’emploi et la formation».
● La volonté de l’AFD d’accompagner le développement du Maroc se heurte à une contrainte juridique. L’Agence a atteint ses limites de risque avec le Royaume en tant qu’emprunteur et garant. Les prêts souverains sont désormais limités.
Joël Daligault, directeur de l’Agence française de développement
Le Matin : Plusieurs accords ont été signés lors de la visite d’État du Président français François Hollande au Maroc. Ces accords s’inscrivent-ils dans la continuité de votre action au Maroc ?
Joël Daligault : Les accords signés s’inscrivent dans la continuité, mais avec la mise en avant de thématiques nouvelles, comme l’éco-cité de Zenata, ou d’outils financiers pour l’accompagnement des entreprises en Afrique subsaharienne, qui constitue une première pour l’AFD au Maroc.
D’ailleurs, François Hollande a appelé les entreprises marocaines et françaises à aller ensemble explorer l’Afrique subsaharienne…
La première illustration est le protocole d’accord signé avec Attijariwafa bank. L’AFD vise à accompagner ce groupe dans son déploiement rapide en Afrique subsaharienne.
L’idée étant de soutenir des opérateurs implantés au Maroc, qu’ils soient marocains, français ou franco-marocains, dans leur volonté de s’implanter en Afrique subsaharienne.
Quelles sont les raisons qui poussent l’AFD à manifester un intérêt particulier pour la formation au Maroc ?
La formation est un élément clé pour la croissance et le développement comme, sur le plan social, pour favoriser l’emploi. L’AFD a financé une vingtaine de centres de formation professionnelle dans une douzaine de secteurs d’activité.
On va continuer dans cette voie. Aujourd’hui, nous finançons les études des futurs instituts de formation aux métiers des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. La mise en place de ces centres sera faite sur la base des grands principes du Maroc à l’égard de la formation, auxquels nous adhérons pleinement : l’approche par les compétences, la formation par alternance ou apprentissage et surtout la délégation de la gestion de ces centres aux fédérations professionnelles. En complément du financement au cas par cas de centres de formation, on va mettre en place un financement appuyant la stratégie de l’État en faveur de l’emploi. On note une grande synergie entre formation et emploi. La nouveauté pour l’AFD est de compléter les concours en matière de formation par le financement d’un programme dédié à l’emploi. La formation et l’emploi ne constituent pas un secteur d’activité pour l’AFD, mais plutôt un fil conducteur transversal.
Quand nous finançons des infrastructures ou des plans sectoriels de développement, nous analysons les retombées sur l’emploi et les besoins de formation.
D’autres programmes sont-ils prévus en 2013 ?
Dans l’immédiat, la
priorité avec l’État est l’emploi et la formation. Pour le Plan Maroc vert, une
ligne de crédit en faveur au Crédit Agricole du Maroc est en cours
d’instruction et complétera le financement qu’on a accordé l’année dernière à
l’État pour le programme d’appui au pilier II dans le nord du Royaume. Cette
ligne de crédit permettra à des petites exploitations agricoles, qui ne sont
pas pour l’instant éligibles à des crédits bancaires, d’accéder à des
financements pour leur fonctionnement comme pour leurs investissements.
L’idée est d’accompagner la mise en œuvre du Plan Maroc vert dans le Nord en
accordant un financement de nature bancaire sans passer par l’État. Par
ailleurs, en fonction de la demande de nos partenaires marocains, que ce soit
l’État ou les grands opérateurs publics, nous pourrons apporter des
financements plus ponctuels.
Le Maroc est le premier bénéficiaire des financements de l’AFD. Comment expliquez-vous cette particularité ?
Plusieurs facteurs
sont à l’origine de cette situation. On note en premier lieu une forte demande
des autorités marocaines et aussi une volonté française d’accompagner le
développement du Maroc. L’AFD répond à cette double demande marocaine et
française. À cela s’ajoute la constitution de partenariats réussis avec les opérateurs publics qui mettent en
œuvre les grandes stratégies du Maroc : ces stratégies permettent
d’encadrer les programmes et donc les financements d’aide au développement.
Nous sommes parvenus à un dialogue de grande qualité avec les administrations
et les opérateurs publics, ce qui facilite l’instruction des dossiers de
financement pour des projets innovants et des volumes élevés. Le rôle de l’AFD
dans un pays comme le Maroc est d’accompagner ces grandes politiques publiques,
en particulier les plans de développement sectoriels qui fournissent un cadre
stratégique.
On s’y inscrit complètement. Par rapport à d’autres agences de développement,
l’AFD utilise différents outils financiers et du coup diversifie ses
partenaires. À titre d’exemple, pour le tramway de Casablanca, le prêt a été
accordé à Casa Transports avec la garantie de la commune de Casablanca – et non
celle du Royaume.
Êtes-vous satisfait du rythme de réalisation des projets financés par l’AFD ?
L’AFD continue de
financer des projets ponctuels comme les tramways de Rabat et de Casablanca,
mais elle finance de plus en plus des programmes
d’investissement pluriannuels.
Elle ne finance pas une composante spécifique d’un projet d’investissement.
C’est une formule qui fonctionne bien au Maroc en raison de ce climat de
confiance et de partenariat.
Nos partenaires marocains apprécient d’avoir des financements souples, des
déboursements par tranches, plutôt que des financements complexes affectés à
certaines composantes. L’objectif est de faciliter la mise en œuvre de ces
programmes, qui s’étalent souvent sur cinq ou six ans. Le plus souvent, on
verse par tranches annuelles.
Quand il s’agit de projets classiques, notamment d’infrastructures, les résultats sont à la hauteur de nos attentes. Je pense particulièrement au tramway de Casablanca qui a été réalisé dans un délai record et dont la date programmée de mise en service (le 12/12/12 !) a été respectée. Bref, les conditions de réalisation sont suffisamment bonnes pour nous encourager à continuer dans cette voie avec cette originalité de financer de plus en plus des programmes d’investissements.
Vous êtes donc satisfaits du partenariat entre le Maroc et l’AFD. Jusque-là, vous n’avez pas relevé de problèmes majeurs ?
On n’a pas rencontré de grands problèmes. On peut constater des retards dans l’avancement de projets, des difficultés dans l’analyse financière ou une insuffisance d’information. Cela s’inscrit dans un cadre normal. On peut ne pas être d’accord sans se fâcher. La qualité du dialogue nous permet de surmonter les difficultés.
Malgré les effets de la crise sur le Maroc, l’AFD compte-t-elle poursuivre le même rythme d’accompagnement financier ?
Si le Maroc subit les aléas de la crise en raison de sa relation étroite avec l’Union européenne, il s’agit pour nous de rester présent et de ne pas nous retirer par excès de prudence. Pour employer un jargon bancaire, pour nous, le risque Maroc est un bon risque. Les efforts pour redresser les déficits du budget ou de la balance des paiements sont suffisamment importants pour que l’on puisse tabler sur des performances meilleures en 2013 et 2014.
Le Maroc a eu une
gestion prudente, une gestion très payante puisqu’il dispose d’une grande
capacité d’endettement, ce qui lui permet, si nécessaire, d’accroître son
endettement pour financer ses besoins d’investissements. Du côté de l’AFD, une
contrainte existe : nous avons atteint nos limites de risque avec le
Royaume en tant qu’emprunteur et garant – mais pas avec les opérateurs publics.
C’est un frein lié au montant de nos fonds propres ; en conséquence, nos
prêts souverains sont désormais limités. Le gouvernement marocain en est bien
conscient.
Nous recherchons activement avec nos ministères de tutelle en France des
solutions pour accorder au Maroc plus de prêts souverains. Heureusement, nous
avons développé depuis quelques années les prêts non souverains qui ne sont pas
affectés par ce ratio prudentiel.
Nous allons revisiter notre stratégie à la fin de l’année en fonction des évolutions de ces paramètres afin d’avoir une stratégie adaptée en 2014/2015.
Quelle comparaison faites-vous entre le Maroc et les pays de la région ?
Les situations sont très contrastées et très hétérogènes. En Tunisie, l’AFD a des difficultés liées à la stabilité politique et au changement des responsables. Nous essayons d’avoir une capacité de proposition et d’adaptation. En Algérie, notre activité est quasiment à l’arrêt.
Quels sont à votre avis les freins à l’investissement au Maroc ?
Les freins sont relatifs au climat des affaires, à la bureaucratie administrative ou à la lenteur dans la prise de décision. Ils sont parfois liés à la volonté – légitime – de l’État de mieux contrôler pour limiter les risques de corruption. On ne peut pas reprocher aux autorités la volonté de suivre de près cet aspect financier.
Les processus d’appel d’offres sont souvent lourds, mais les enjeux de certains investissements structurants sont tellement importants que l’on peut comprendre cette lourdeur.
Les activités du groupe AFD au Maroc
Le groupe AFD intervient au Maroc depuis 1992 à travers plusieurs composantes : l’AFD, Proparco (filiale de l’AFD dédiée au financement privée), le Centre d’études financières, économiques et bancaires et le Fonds français pour l’environnement mondial, dont l’AFD assure le secrétariat. L’accord triennal maroco-français 2010-2012 avait fixé pour l’AFD un objectif de 600 millions d’euros de prêts concessionnels.
L’Agence a accordé 720 millions d’euros de concours bonifiés sur la période. Et au total, les autorisations d’engagements ont atteint 1 milliard d’euros sur 2010-2012.
Publié le : 16 Avril 2013 SOURCE WEB Par Jihane Gattioui, LE MATIN
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