Ré-instauration du service militaire : Bruits de bottes dans les couloirs du Parlement ?
Le ministre délégué chargé de l'Administration de la défense nationale, Abdellatif Loudyi, a présenté le projet de loi 44.18 sur le service militaire à la Commission Justice à la Chambre des représentants, ce mardi 30 octobre. Ce dossier brûlant et ouvertement critiqué par la société civile, semble également provoquer des remous au Parlement.
Éminemment sensible, la question de la ré-instauration du service militaire – annoncée maladroitement cet été et sans concertation préalable avec l'opinion publique – revient sur le devant de la scène. Nous l'avions presque oubliée jusqu'à ce mardi 30 octobre 2018. Ce projet de loi 44.18 polémique, actée le 20 août en Conseil des ministres, a en effet été présenté par le ministre délégué chargé de l'Administration de la défense nationale, Abdellatif Loudyi, devant la Commission Justice à la Chambre des représentants. A cette occasion Abdellatif Loudyi, relayé par la MAP, précise que le service militaire « vise à consolider le sentiment d’appartenance à la patrie, dans le cadre d’une corrélation entre droits et devoirs de citoyenneté, et à promouvoir l’esprit de sacrifice et d’abnégation ».
Dans cette même veine, il ajoute que « ce texte va ouvrir la voie aux jeunes pour s’intégrer dans la vie professionnelle et sociale, en permettant aux appelés de bénéficier d’une formation militaire et leur inculquer la culture militaire fondée sur la discipline et le courage, l’engagement et la responsabilité. Le service militaire aura ainsi un apport indéniable en termes d’encadrement, de qualification et de renforcement des compétences des jeunes, clé de voûte pour préparer tout un chacun pour une insertion réussi dans la vie socio-professionnelle. »
Ce projet vise aussi à « faire connaître les rôles essentiels assumés par les Forces armées royales (FAR) dans la défense de la patrie, lors des opérations de maintien de la paix et de sécurité internationales et dans la lutte contre les défis et les dangers liés au terrorisme, à la migration clandestine et au crime organisé, outre les opérations de sauvetage et d’assistance humanitaire au profit des populations dans les régions éloignées et sinistrées », a-t-il ajouté.
Le ministre délégué poursuit son opération séduction en soulignant que le service militaire est « un devoir national et une étape fondamentale dans la vie de tout citoyen ainsi qu’une mesure adoptée par de nombreux pays afin d’ancrer chez les jeunes générations les valeurs de civisme, de patriotisme et d’attachement à leur identité nationale dans le cadre d’une corrélation étroites entre les droits et les devoirs ».
Divergences administratives ?
Au-delà de ces valeurs imputées au service militaire, il convient de rappeler les obligations qu'il impose et souligner les conditions de son application. Ainsi, ce service militaire, supprimé en 2006, sera à nouveau obligatoire pour les Marocains et Marocaines âgés de 19 à 25 ans pendant une période de 12 mois. Néanmoins, les personnes ayant plus de 25 ans, qui ont bénéficié de dispense ou d’exemption, peuvent être convoquées pour effectuer le service militaire jusqu’à l’âge de 40 ans, en cas de cessation du motif de dispense.
Les personnes qui, pour quelque motif que ce soit, n’ont pas accompli leur service militaire peuvent être mobilisées lorsque les circonstances l’exigent, a rappelé le ministre.
Au rang des exemptions provisoires ou définitives, figurent l’inaptitude physique ou de santé, la prise en charge familiale ou la poursuite d’études. « Ce projet de loi permet aussi aux appelés de bénéficier d’une solde et d’indemnités exonérées de tout prélèvement fiscal, » précise Abdellatif Loudyi.
Si la présentation du ministre délégué met en exergue les « avantages » de ce projet de loi décrié et en détaille les fondements essentiels, il semble d'ores et déjà « diviser les parlementaires », indiquent nos confrères de Al Ahdath Al Maghribia.
Dans son édition du 31 octobre, le quotidien arabophone précise que les élus de la Nation sont en désaccord quant à la nécessité de soumettre ce projet de loi aux instances constitutionnelles nationales et notamment le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) et le Conseil économique et social.
Alors que le député istiqlalien Omar Abassi, relayé par nos confrères du quotidien arabophone, milite pour enrichir le débat public autour de cette question sensible, en faisant participer toutes les institutions de gouvernance ou de défense des droits de l’homme, d'autres, telles que la députée PJDiste, Amina Maa El Ainine, rappelle que le mandat du CNDH a expiré et n'encourage pas au recours à cette instance, tant que sa situation n'est pas assainie. « Pour Abdellatif Wahbi, député PAM, l’arrêt d’activité d’une institution ne doit pas être un frein à l’examen de ce projet, ajoutant que c’est le roi qui est garant de la continuité des institutions nationales », précise en revanche, Le360.
Servitude inégalitaire
Si la question de la ré-instauration du service militaire est loin d'être réglée, elle s'apparente pour certains observateurs et analystes à une « réponse rapide » voire inadéquate à des problèmes économiques et sociaux profondément ancrés, touchant essentiellement la jeunesse. Le consultant indépendant Joseph Paoli, relayé par France Info, estime en effet qu'il est pour le moins surprenant qu'un projet de loi avec une « telle portée sociétale » ait été annoncé et adopté « par un gouvernement sans la moindre concertation avec la société civile, sans le moindre débat public préalable, sans la moindre discussion ? ». Annoncé dans « un contexte de focalisation des politiques publiques sur la jeunesse et son éducation qui ont, elles aussi, assez largement échoué », indique le spécialiste, ce projet de service militaire contribuerait à apporter « une formation et des valeurs à des jeunes qui n'en auraient pas ».
Selon Joseph Paoli, bien que ce projet de loi ait été ressorti des tiroirs suite aux recommandations royales formulées cet été et axées sur la jeunesse marocaine, son annonce et son application n'en restent pas moins teintées d'un « rare amateurisme du point de vue de la communication politique » voire pire, d'une forme de « dédain pour l'opinion publique » mise au ban de cette décision. Ce projet de loi devient alors pour certains symptomatique d'une déception démocratique consommée.
Par ailleurs, la faisabilité de ce projet de loi est elle-même sujette à de nombreuses interrogations, sur lesquelles trône la question de l'exemption. Pour Joseph Paoli, le gouvernement est indéniablement en mauvaise posture. « Soit il met en œuvre l'essentiel des exemptions évoquées et le service militaire apparaît bel et bien comme une servitude inégalitaire imposée aux catégories déscolarisées et sans emplois, considérées comme potentiellement dangereuses ; soit il adopte une conception égalitaire et celle-ci devra alors inclure les Marocains résidant à l'étranger, les étudiants, les titulaires d'un emploi, ce qui créera vraisemblablement un large mécontentement parmi les groupes sociaux qui estiment devoir en être exemptés. Dans les deux cas, il n'en sortira pas indemne et personne n'en tirera aucun gain ».
Du côté de la société civile, de nombreuses voix se sont élevées pour protester âprement contre ce projet de loi que nombre de citoyens estiment inique et réducteur en matière de libertés individuelles. Sur les réseaux sociaux, de multiples collectifs ont pris la parole pour dénoncer la ré-instauration du service militaire, ressenti comme « une condamnation sans procès pour tous les jeunes qui réclament liberté et dignité »...
Le 01/11/2018
Source web par: les infos
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