L\'eau se raréfie au Maroc
Aujourd'hui classé en situation de raréfaction au regard des normes internationales, le Maroc s'est doté d'une nouvelle stratégie de gestion de la ressource. Mais les projets pharaoniques ne suffiront pas, il faudra certainement revoir les pratiques agricoles et touristiques pour éviter la pénurie.
®Novethic
Le royaume de Mohammed VI s’assèche. Son potentiel en eau douce n’excède pas les 730 m3/an/hab pour un seuil de rareté fixé par l’ONU à 1000 m3. Et les perspectives sont inquiétantes : les marocains pourraient bien voir les capacités nationales chuter à 530 m3/an/hab d’ici 2030. En cause, une agriculture toujours plus gourmande en eau, couplée à un accroissement exponentiel de la population urbaine et à un développement du tourisme dans des régions parfois très arides.
En avril 2009, le gouvernement présentait donc une nouvelle stratégie nationale, s’engageant à « faire des économies de 2,5 milliards de m3/an [à partir de 2030], à travers la gestion de la demande en eau et à dégager une ressource en eau additionnelle de 2,5 milliards de m3/an à travers l'action sur l'offre. » Un programme ambitieux, estimé à 83 milliards de dirhams (7,4 milliards d’euros).
Une ressource mal répartie et des projets controversés
Défi majeur à relever, l’inégale répartition des ressources en eau douce isole encore le sud du Maroc. Les deux bassins hydrauliques du nord du pays concentrent 90% des eaux disponibles sur 10% du territoire. Une disparité que le gouvernement entend pallier en acheminant 800 millions de m3 d’eau des bassins du nord vers ceux du sud d’ici 2030. D’après Majid Benbiba, directeur de la recherche et de la planification de l’eau au Secrétariat d’Etat à l’eau et à l’environnement, « même s’il reste des difficultés techniques non résolues, en particulier sur la définition du tracé, ce projet de transfert intéresse nombres d’investisseurs, notamment étrangers. » Des investisseurs qui auront à débourser plus de 24 milliards de dirhams pour qu’un tel édifice voie le jour. D’autres projets de grande envergure sont sur la table. Parmi eux, la construction d’une soixantaine de grands barrages, qui viendront s’ajouter aux 128 construits depuis 1960. Décriés par les écologistes, ces barrages devraient porter la capacité de stockage à près de 9 milliards de m3 d’eau d’ici 2030. Pour Majid Benbiba, la polémique relayée par les associations de protection de l’environnement au sujet du surdimensionnement de ces ouvrages et de leurs conséquences écologiques n’est pas fondée. « Nos barrages ne sont pas surdimensionnés, au contraire. En mars 2010, par exemple, le taux de remplissage a dépassé les 98% et il y a parfois eu des déversements, explique-t-il. 30 milliards de m3 d’eau douce ont d’ailleurs été perdus. Effectivement, le déboisement des alentours et l’érosion des sols génèrent de l’envasement au fond des barrages, et donc une perte de capacité, mais nous tenons compte de ces paramètres dans la conception des futurs édifices. »
Un fort potentiel d’économie dans le secteur agricole
Mais la seule construction de nouvelles infrastructures ne suffira pas à rééquilibrer la balance entre l’offre et la
demande. Un changement de pratiques s’impose, et notamment dans le secteur agricole, principal usager de l'eau (89%). Dans le cadre du Plan Maroc-Vert, le gouvernement s’est donc engagé à transformer les modes d’irrigation sur 50% de la surface cultivée d’ici à 2030, en généralisant par exemple les systèmes gouttes-à-gouttes. L’Etat subventionne l’installation de ces infrastructures à 100% pour les petites exploitations et les coopératives, et espère ainsi économiser près de 2,4 milliards de m3 d’eau par an dès 2030. Une ambition saluée par l’écologiste marocain Mohamed Benata, bien qu’il regrette les choix stratégiques du secteur agricole : « alors qu’il ne dispose pas de ressources en eau suffisantes, le Maroc a opté pour une agriculture d'exportation très consommatrice, en cultivant des tomates, des fraises, des agrumes, etc. C’est d’autant regrettable qu’il importe des céréales pour subvenir à ses besoins intérieurs ! Cette politique a poussé les riches exploitants à puiser de plus en plus profondément les eaux souterraines. L'exemple d'Agadir est très significatif, car le niveau de la nappe a baissé à tel point que les eaux saumâtre de la mer se sont infiltrées dans les nappes terrestres, provoquant la salinisation de ces aquifères. »
Le secteur touristique controversé Autre secteur pointé du doigt pour sa consommation excessive, le tourisme s’est massivement développé ces dernières années avec son lot d’hôtels et de golfs luxuriants. Sans renoncer à cette manne économique, le gouvernement est tout de même contraint d’imposer des mesures de restriction d’usage de l’eau au secteur. Quinze golfs ont ainsi intégré un programme d’utilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation. D’après Majid Benbiba, « les agences de gestion des bassins hydrauliques et le professionnels du secteur travaillent en étroite collaboration sur la question de l’usage de l’eau. De toute façon, le secteur touristique n’a plus le choix, les clients sont de plus en plus exigeants sur ses performances environnementales. »
Un engagement qui laisse pourtant Mohamed Benata sceptique : « ce discours tient plus de la publicité qu’autre chose. En Orientale par exemple, la forêt Tazegraret a été rasée pour construire trois terrains de golf 18 trous, dont l’un est pour l’instant alimenté par le réseau d'eau potable de l'ONEP [Office National de l’Eau Potable]. »
Source: web - Novethic.fr - Anne Farthouat, Novethic,
Mise à jour : lundi 23 août 2010 10:00