Evoquant le thème central du colloque, M. Roatta a d’emblée souligné la portée et la consistance de l’initiative royale de régionalisation dont la mise en oeuvre permettra à la fois de faire des régions «un moteur de développement économique et social du pays» et de régler définitivement le conflit du Sahara.
«Il est évident que les institutions nouvelles devront permettre aux provinces du Sud de gérer leurs affaires dans l’intérêt des populations, attachés aux Souverains chérifiens par des liens traditionnels d’allégeance et par des liens modernes de la citoyenneté dans un cadre constitutionnel et administratif», a-t-il relevé.
Les intervenants, qui se sont succédés à la prise de parole, ont tous affirmé que le Maroc, une nation pluriséculaire riche d’une vieille tradition de décentralisation, peut relever le défi de la régionalisation.
Ce chantier «n’est pas une idée nouvelle imposée par la conjoncture ou l’opportunisme», estime le Pr. Charles Saint-Prot, Directeur de l’Observatoire d’Etudes géopolitiques (OEG-France), pour qui «le Maroc a su décréter au cours de son histoire un système administratif assez souple garantissant à la fois une formule d’unité nationale et une sorte de décentralisation avant la lettre».
Le Maroc, une tradition ancestrale de décentralisation Cette unité nationale, soutient-il, est le fruit de la conjugaison de trois facteurs, à savoir «l’Islam», qui a favorisé la fusion entre amazighs et arabes, un rôle amplifié par celui de la «Monarchie», garante de la stabilité du pays, et enfin, «une volonté de vivre ensemble» dans un Maroc où le peuple a conscience de former une nation historique.
Donc, en relançant la régionalisation, le Maroc renoue avec son passé, puisque c’est le protectorat qui a renforcé la centralisation, relève Michel Degoffe, professeur de droit public à l’université Paris Descartes, qui fait état, lui aussi, d’une «nation plurielle soudée autour d’une culture, une foi et un destin communs».
Même constat pour le Pr. Mohamed Cherkaoui, Directeur de recherche au Centre national de la Recherche scientifique (CNRS-France), qui montre que «le pouvoir local a historiquement toujours été encastré dans les structures sociopolitiques du Maroc» et que «le transfert progressif de certaines compétences de l’Etat aux communes et aux régions est voulu et programmé par le centre au moment où, paradoxalement, son pouvoir atteint son apogée».
La régionalisation, levier de démocratie et de développement
Passant en revue l’évolution de la notion de régionalisation depuis l’indépendance jusqu’au discours prononcé le 3 janvier 2010 par SM le Roi Mohammed VI, à l’occasion de la mise en place de la Commission consultative de la régionalisation (CCR), les intervenants ont été unanimes à constater une maturation du concept et sa pertinence.
La régionalisation est envisagée, dans le discours royal, en tant que «levier de la démocratie locale participative et de proximité et comme un mode de gouvernance territoriale (...) en plaçant le citoyen au coeur du processus de développement», notent MM. Ahmed Bouachik et Mohamed Benyahya, professeurs à l’Université Mohammed V-Souissi et directeurs de la Revue marocaine d’Administration locale et de Développement (Remald).
Pour le Pr. Cherkaoui, il existe une «corrélation entre régionalisation et démocratisation», à la faveur de l’existence d’un nouveau contrat social entre l’Etat et la région qui favoriserait l’émergence de nouvelles élites locales et le transfert substantiel de compétences et de ressources aux régions. Même constat pour le Pr. Degoffe, qui fait état d’un lien entre l’accroissement des libertés fondamentales et le développement de la décentralisation.
«Un régime politique, qui promeut la décentralisation, tend nécessairement à développer les libertés fondamentales», constate-il. Ainsi, la relance du processus de décentralisation n’est pas une «question de mode, mais répond à des besoins précis», affirme, de son côté, le Pr. Saint-Prot.
L’objectif n’est pas seulement un réaménagement administratif, mais de «donner une nouvelle impulsion au développement économique et social», dit-il.
Résumant les axes de la nouvelle gouvernance impulsée par la démarche royale, l’ambassadeur du Maroc en France, M. El Mostafa Sahel, retient notamment, dans une allocution lue en son nom, «la priorité de l’action sur le terrain», «l’élévation du niveau des ressources humaines et institutionnelles des territoires» et «la recherche d’équilibre dans leur développement».
Vers un modèle marocain de régionalisation
Compte tenu de l’ancienneté de la pratique de décentralisation au Maroc, tous les intervenants ont souligné l’originalité de l’initiative royale exigeant de la CCR un modèle maroco-marocain de régionalisation, en évitant de «sombrer dans le mimétisme ou la reproduction à la lettre des expériences étrangères». Pour Frédéric Rouvillois, professeur agrégé de droit à l’Université Paris-Descartes, cette prudence à l’égard du mimétisme répond au besoin de «mettre au point un système issu des spécificités marocaines qui constituent les fondements de l’identité marocaine qui ne saurait être mise en cause par la soumission à un modèle normatif étranger, aussi séduisant soit-il».
Mais cette prudence, observent MM. Rouvillois et Roatta, ne vaut pas dire «récuser les leçons que l’on peut tirer des expériences étrangères de régionalisation», ou éviter d’«emprunter des éléments pertinents qui ont prouvé leur efficacité dans des modèles étrangers.
«Trouver un modèle signifie en construire un» à travers un travail de benchmarking basé sur une comparaison des mérites et des limites des expériences étrangères, explique le Pr. Rouvillois.
Livrant son témoignage sur la dynamique de développement au Maroc, M. Henri-Louis Védie, professeur d’économie à l’école HEC à Paris et auteur de l’ouvrage «Maroc -L’épreuve des faits et des réalisations», avance, lui, que «le Maroc est un modèle de régionalisation avant même que le projet ne soit mis en marche».
Le débat, qui s’en est suivi, a donné lieu à un échange constructif entre les intervenants et l’assistance nombreuse, formée très particulièrement de jeunes étudiants et cadres marocains installés en France, associés à l’organisation de cet événement à travers l’Association des Etudiants marocains en France (AEMF).
Placé sous l’égide du Groupe d’Amitié parlementaire France-Maroc, ce colloque, a été initié par l’OEG, en partenariat également avec le Centre Maurice Hauriou de la faculté de droit de l’Université Paris-Descartes, la Remald et l’AEMF.