Mamoun Ghallab : La conscience environnementale est de toute évidence quasiment inexistante
La Journée mondiale du nettoyage représente une occasion en or pour braquer les Projecteurs sur l’alarmante situation dans laquelle se trouvent nos plages. Comme partout ailleurs, les côtes marocaines sont noyées dans les déchets. D’ailleurs, si l’on en croit une étude scientifique de référence publiée dans “Science Magazine”, le Maroc a été désigné parmi les 20 pays qui rejettent le plus de plastique dans les océans. Une réalité qui va dans le sens de l’analyse réalisée par “Zéro Zbel”.
Animée par la volonté de favoriser la collecte et la diffusion d’informations environnementales mais également de contribuer à faire évoluer le cadre réglementaire au Maroc en la matière, cette association environnementale basée à Casablanca, a déployé d’importants moyens, à la fois financiers et humains dans l’optique de recenser et d’analyser les déchets solides présents sur les plages marocaines.
Un remarquable travail, dont les tenants et les aboutissants nous ont été exposés par Mamoun Ghallab, président de l’Association “Zéro Zbel”.
Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser cette étude ?
Mamoun Ghallab: Comme quasiment tous les membres de notre association ont grandi à Casablanca et Agadir, nous sommes conscients de l’état très abîmé des plages, à cause de la pollution liée aux déchets. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de traiter le sujet de la pollution du littoral.
De plus, notre lien avec le mouvement international « Break Free From Plastic*», nous a permis de découvrir la méthodologie sur laquelle nous nous sommes appuyés pour réaliser l’étude. Elle a l’avantage d’aller au-delà d’un nettoyage de plage classique. Car non seulement on ramasse les déchets mais également on en identifie les sources et la matière dont ils sont faits.
Par où avez-vous commencé ?
D’abord on a réalisé un premier audit, une opération pilote sur la plage de Oued Merzegue en septembre 2017, en partenariat avec l’association Dar’B Na, afin de voir si on allait trouver beaucoup de déchets et si on pouvait les caractériser.
L’opération a été concluante. Elle nous a permis de récolter d’importantes données comme la durée éventuelle d’un audit (une demi-journée de travail), mais également de découvrir qu’il y avait énormément de déchets et donc beaucoup de matières à analyser. C’est d’ailleurs l’une des plages les plus polluées que nous avons étudiées. A partir de ce pilote, on a monté le projet, puis on a levé des fonds notamment de la part de la Fondation Heinrich Böll**.
Y a-t-il des critères particuliers à travers lesquels vous avez choisi les 26 plages analysées ?
D’abord, on a essayé d’avoir un équilibre entre des plages situées dans les zones urbaines et en dehors. Parce qu’elles sont fréquentées différemment, et qu’il y avait des déchets de nature différente.
Ensuite, dans le but de couvrir, avec les moyens dont on disposait, quasiment tout l’espace côtier marocain, notre choix s’est porté sur des plages qui vont de Boujdour à Saïdia, de la Méditerranée à l’Atlantique, puis du Nord au Sud du pays.
Enfin, nous avons tenu à réaliser des analyses lors de deux périodes différentes, car la fréquentation des plages n’est pas la même hors et pendant la saison estivale. Une première vague d’audits a été réalisée en mars-avril-mai, et une seconde, en juillet-août. Il est vrai que ce n’est pas une démarche scientifique à 100%. Mais c’est un diagnostic citoyen réalisé au mieux avec les moyens financiers et humains dont nous disposions. Sans oublier que ce n’est pas simple de mobiliser des volontaires pendant quatre ou cinq jours.
Comment se déroulaient les opérations ?
C’était en déplacement, donc je vous laisse imaginer l’importante logistique. Il y avait un chef de projet, Jamal Kamali, qui mobilisait avec lui quatre volontaires. Ils partaient en voiture pendant quatre ou cinq jours. Chaque jour, un audit était réalisé sur une plage, avec une à trois heures de route pour aller à la plage suivante.
Avez-vous rencontré des difficultés?
Pour n’être franc, pas vraiment, mis à part les conditions météo sur la plage, en l’occurrence le vent. Il fallait rattraper les déchets qui s’envolaient sous son effet. Donc c’est principalement des aléas liés au terrain d’étude. Sinon nous n’avons pas eu de difficultés particulières, ni avec les autorités ni au niveau de la disponibilité des volontaires.
Quelle est selon vous la solution la plus efficace pour lutter contre la prolifération des déchets plastiques ?
Je vais vous donner un exemple qui définit l’étendue des solutions nécessaires, car il en faut plusieurs. 10 % des déchets ramassés sont des bâtons de sucettes et des cotons tiges. Dans certains pays européens, on réfléchit à remplacer le plastique des bâtonnets et cotons tiges par du carton qui se dissout dans l’environnement.
Au Maroc, en partant du principe que les gens ne se nettoient pas les oreilles sur la plage, on se demande d’où viennent les cotons tiges. Malheureusement, une coton tige usée est souvent jeté dans les toilettes. Puis ça passe par les eaux usées pour finir dans l’océan sans être freiné par les systèmes de filtration.
Dans ce cas, il existe plusieurs problèmes liés à la matière avec laquelle ils sont faits, et comment ils sont jetés. Certaines villes n’ont pas de système de filtration adapté pour empêcher ce type de déchets de se retrouver dans l’océan.
Les solutions les plus efficaces consistent à interdire ces bâtonnets, améliorer la gestion des déchets et du traitement des eaux usées, la sensibilisation et l’éducation du consommateur. Après il y a certains déchets comme “lmika’’, qui continuent de proliférer malgré la loi*** censée les interdire. Là, clairement c’est un problème d’application de la loi.
Comment évaluez-vous la conscience environnementale des citoyens marocains ?
Sachant qu’il n’y a quasiment aucun contenu lié à l’éducation et à la sensibilisation environnementale, ni dans les écoles, ni à la télé, ni à la radio, excepté quelques rares occasions, ce qui est loin d’être suffisant, de toute évidence, la conscience environnementale est quasiment inexistante.
On a la chance d’avoir des gestes traditionnels positifs comme le fait de ne pas gaspiller d’eau et l’usage du panier traditionnel pour faire ses courses. Des habitudes qu’on apprend dans nos maisons quand on est enfant. Mais comme on ne capitalise pas là-dessus, on risque de les perdre.
Lors des ateliers de réflexion que vous envisagez d’organiser, pensez-vous qu’il sera facile de concilier les intérêts des différentes parties prenantes, notamment du côté des entreprises ?
On ne veut pas concilier les intérêts mais entendre l’avis de tout le monde. Le rapport que nous allons rédiger suite à ces ateliers comprendra nos propres recommandations qui seront nourries des différents avis exprimés. Mais clairement, c’est un sujet sur lequel on ne peut pas concilier les intérêts des différentes parties concernées. Il y a forcément un moment où il va falloir contraindre ou le consommateur à changer d’habitude, ou l’entreprise à changer de mode de production. Notre travail sera consultatif, et il y aura certainement des recommandations qui seront confrontées à des freins réglementaires ou des intérêts économiques.
Les ateliers constitueront une opportunité pour sensibiliser des acteurs qui ne se sentent pas concernés alors qu’ils devraient l’être ou bien ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de parler de ce sujet ou d’y réfléchir. C’est avant tout une opportunité de nouer le dialogue et d’avoir une démarche participative. Il vaut mieux être plusieurs à trouver une solution plutôt que de rester seul dans son coin à y réfléchir.
Pour conclure, est-ce que vous pouvez donner un conseil pour savoir ce que nous, citoyennes et citoyens, pouvons faire concrètement pour préserver d’abord nos plages et ensuite la planète ?
Consommer moins de produits emballés dans du plastique. Dans les plages, on a principalement récolté des bouchons, des bouteilles, des bâtons de sucettes, des cotons tiges et des emballages. Quand on parle de tout ça, on parle forcément de plastique. Donc notre conseil pour la santé des gens et le respect de l’environnement, est de consommer le moins de produits emballés dans du plastique.
*Un mouvement mondial comptant 1300 organisations membres et envisageant un avenir sans pollution plastique.
**Fondation à but non lucratif présente au Maroc depuis 2014 qui œuvre pour un développement démocratique et durable
*** la loi n°77-15, plus communément appelée loi “Zéro Mika”, qui interdit la production de sacs en plastique
L’étude en chiffres
- 36280 le nombre de déchets collectés
- 85 % de déchets plastiques, issus de sources très concentrées
- 35 déchets collectés par m2 de plage et 180 micro-déchets (de moins de 5mm) au m2. En moyenne
- 48% des déchets sur lesquels a été identifié un logo sont issus de marques commerciales appartenant à 3 entreprises.
- Entre 100 et 500 ans. Le temps mis par la plupart des déchets plastiques à se dégrader.
- 5 familles de produits représentent 56% des déchets collectés : les bouteilles de soda, eau, jus et leurs bouchons en plastique (18%); les cordes et filets de pêche (13%) ; les bâtonnets de sucette et de coton-tige (10%) ; les sacs plastiques «Mika» (9%) ; et les packagings plastiques (6%).
- 40 volontaires ont mené des audits de déchets sur 26 plages de la côte atlantique et méditerranéenne.
Méthodologie
Sur chaque plage une zone de 400 m2, représentative de l’état moyen de la plage, est délimitée. Sur cette zone, les déchets de plus de 5 mm sont collectés, triés en une vingtaine de catégories, puis comptabilisés minutieusement sous forme d’une base de données. Une estimation du nombre de micro-déchets (de taille inférieure à 5 mm) est également réalisée par comptage à l’œil nu, sur une série d’échantillons de 1 m2 de plage.
Le 18 Septembre 2018
Source web par: libe