Qu\'est-ce qu\'un écolodge Entretien avec Hitesh Mehta, architecte paysagiste et spécialiste des écolodges
Hitesh Mehta est l’une des personnalités les plus influentes dans les domaines de l’architecture paysagère et des infrastructures de l’écotourisme, en partie grâce à son travail sur l’architecture des écolodges qu’il réalise pour le compte de l’EDSA, entreprise basée en Floride. Un des principaux rédacteurs du guide International Ecolodge Guidelines, il en a rédigé les chapitres “Site Planning” et “Architectural Design”. M. Mehta mène régulièrement des recherches sur l’évolution des écolodges dans le monde. Pascal Languillon l’a rencontré et lui a posé les questions suivantes.
Comment définiriez-vous un « écolodge » ?
Voici la dernière définition en date : « Un écolodge est une infrastructure d’accueil de 5 à 75 chambres, financièrement durable, construite dans un souci d’harmonie avec la nature et dont l’impact sur l’environnement est par conséquent minime. Il contribue à protéger les espaces environnants fragiles, implique les communautés locales et leur permet de générer des bénéfices, offre aux touristes l’opportunité d’une expérience interprétative et interactive, et s’avère propice à une communion spirituelle entre nature et culture. L’écolodge est pensé, conçu, construit et exploité en accord avec des principes environnementaux et sociaux responsables. »
L’un des éléments principaux de l’écotourisme reste l’interprétation, c’est à dire, le recours à des guides, de préférence locaux, qui font profiter aux touristes de leurs connaissances de la culture, de la faune et de la flore locales
Les gens ont tendance à ne pas réaliser à quel point leur environnement et leur espace urbain ont une influence sur eux. C’est de ce constat qu’est née cette approche progressiste de la conception des écolodges lors de la planification de l’écotourisme. Tous les principes de planification et de conception employés dans l’écotourisme sont durables.
Savez-vous combien il existe d’authentiques écolodges dans le monde ?
En l’absence de label, il est difficile de déterminer combien d’écolodges correspondent à la définition donnée précédemment.
À mon avis, il doit en exister moins de cinquante à travers le monde. Dans tous les cas, il nous sera toujours très difficile de contrer les faux écologistes. La sensibilisation demeure la clé du problème.
En ce qui concerne la taille d’un écolodge, tout est question d’échelle et de proportion. Chaque évaluation doit être spécifique au site lui-même. De 75 à 200 chambres, on peut parler de complexes hôteliers écologiques plutôt que d’écolodge. On peut faire du bon travail sur des sites plus grands, mais dans tous les cas les plans d’aménagement sont cruciaux, parce que la protection des espaces fragiles reste la priorité.
Où se trouvent vos écolodges préférés, et pourquoi ceux là?
Mes écolodges préférés appartiennent à des communautés qui les gèrent elles-mêmes. Ils se trouvent au Kenya (NDLR : et seront bientôt publiés sur ce site). La population locale est rarement intégrée à la planification initiale ou à l’évaluation des impacts potentiels d’un lodge. Pourtant, ce sont ces gens qui connaissent les ressources locales et leur culture doit être respectée. Je suis convaincu de la nécessité d’intégrer le savoir local dès les étapes initiales du processus de planification. Dans la plupart des cas, j’ai pu observer que les peuples indigènes restaient les meilleurs ambassadeurs d’un territoire et les moins « violents » aussi. Ils vivent en harmonie avec leur environnement en ayant adopté un mode de vie durable et non destructeur pour leur terre. En intégrant ce savoir dès le début du processus de planification, tout le monde y gagnera. Il faut encourager le gain en autonomie des communautés lors de la planification. Les projets de tourisme durable auront plus de chances de réussir s’ils intègrent la population locale.
Constatez-vous une évolution du marché de l’écotourisme ? Si oui, dans quel sens ?
Il est important de souligner que l’industrie de l’écotourisme se trouve actuellement à un tournant décisif de son développement. Lors des dix dernières années, l’écotourisme a généré de larges revenus pour l’économie locale et régionale à travers le monde. Il a également proposé des mesures d’encouragement aux gouvernements et aux communautés locales pour la protection de la nature et des animaux. Finalement, l’industrie de l’écotourisme a réussi à sensibiliser un nombre toujours plus grand de personnes à la cause de la protection de l’environnement. Malheureusement, l’industrie de l’écotourisme a aussi par endroits entraîné l’apparition de nombreux problèmes et a menacé les ressources naturelles et culturelles qui lui sont pourtant vitales. Mais nous avons tiré des leçons de ses expériences malheureuses :
- seuls les projets sérieusement planifiés et intégrés peuvent être bénéfiques.
Quel est le type de clientèle des écolodges ?
Les Américains et les Japonais ont un plus gros pouvoir d’achat et sont prêts à payer plus cher pour séjourner dans des écolodges haut de gamme. En revanche, les Français, les Allemands et les Australiens osent plus, ont davantage le goût de l’aventure. Ils préfèrent souvent tenter l’expérience du tourisme communautaire, ce qui à l’avantage de mieux répartir les bénéfices engendrés.
Il existe un réel marché pour les destinations vierges, hors des sentiers battus. Toutefois les grandes chaînes du tourisme commencent également à s’intéresser à l’écotourisme et aux bénéfices qu’il peut générer.
Vous parlez beaucoup de la valeur spirituelle des écolodges. Pourquoi ?
Les écolodges doivent donner à l’écotouriste l’impression d’une communion spirituelle avec la nature, le sentiment de ne faire qu’un avec son environnement. Dans le contexte de la théorie de l’écosystème, on parle d’holisme, cette idée selon laquelle les vivants comme les inanimés forment un tout fonctionnant en harmonie et régi par des lois naturelles bien définies. Tout est lié: les humains, les végétaux et les animaux. Que cela nous plaise ou non, nous faisons partie de ce cercle de la vie.
Vivez-vous dans une maison écologique de votre invention ?
Non, mais les principes de l’écotourisme font partie de mon style de vie quotidien : 90% de ma nourriture est végétarienne et biologique, je n’utilise que des produits de toilettes non testés sur des animaux, j’achète des produits nettoyants biodégradables, j’ai installé un éclairage solaire dans mon jardin et je compense financièrement pour le gaz carbonique émis lorsque je prends l’avion.
Comment voyez-vous le futur de l’écotourisme ?
Je crois que le futur s’annonce plutôt bien. De plus en plus d’écolodges s’ouvriront et l’industrie du tourisme traditionnel va finir par adopter nos meilleures pratiques. D’ailleurs, la chaîne hôtelière internationale Four Seasons a ouvert en Thaïlande le « Golden Triangle », un hôtel qu’ils souhaitent durable. Toutefois, n’oublions pas que si un écotourisme bien géré peut être une chose fantastique, un mauvais écotourisme peut aussi s’avérer désastreux.
Nous, les architectes paysagistes et les planificateurs, somme-nous vraiment les ambassadeurs de la terre et des océans ou ses destructeurs ? Avons-nous vraiment la capacité de contrer les ravages causés à notre terre par notre espèce ? C’est un travail de titan qui nous attend, mais nous n’avons pas d’autres solutions que de le faire et d’y croire.
Propos recueillis par Voyages pour la planète.
SOURCE WEB Par Néorizons