Le business des marchands de sable
Zone de dragage industriel de sables marins, au Maroc en 2011
Groupe de recherche sur le littoral du Maroc / DR
Chaque année, environ 6 milliards de m3 de béton sont coulés dans le monde. Et la demande est exponentielle, particulièrement dans les pays émergents, qui doivent héberger une population de plus en plus nombreuse et de plus en plus urbaine (Chine, Inde, Singapour, etc.), ou encore dans les pays du golfe. Or, chacun le sait, le composant essentiel du béton, c'est le sable. En Asie, au Maghreb en Afrique de l'Ouest, ou en Australie, l'extraction industrielle du sable s'est donc considérablement développée, tout comme les carrières, soumises à un pillage intensif sur les littoraux.
Pour faire du béton, il faut du sable… beaucoup de sable. Un ingrédient qui représente jusqu'à 80% de sa composition. Il s’agit même là de la principale source d’utilisation de cette désormais précieuse matière minérale, bien avant la fabrication du papier, de la lessive, ou encore des microprocesseurs.
On comprend dès lors que l'extraction de quantités aussi phénoménales de sable devienne un commerce de plus en plus lucratif. Selon les auteurs d'un documentaire diffusé récemment sur Arte (Le sable, enquête sur une disparition), les échanges internationaux sont évalués à environ 70 milliards de dollars par an (50 milliards d’euros)
Or, comme toute matière première, les ressources en sable de bonne qualité constructive - ce qui n’est pas le cas par exemple, des sables du désert - ne sont pas infinies. Sur terre, les réserves se tarissent, en grande partie en raison du trafic et de l'extraction à grande échelle.
Une situation qui a obligé les industriels à contourner le problème en allant chercher le sable sous la mer. Et l'impact sur l'environnement et les activités humaines est considérable.
Erosion côtière
Les premières victimes de cette quête effrénée de sables sous-marins sont par conséquent les écosystèmes marins, systématiquement détruits. Les machines d’extraction troublent l'eau et remettent en suspension des polluants (métaux lourds) contenus dans les sédiments, qui se retrouvent dès lors dans la chaîne alimentaire, et les pompes qui aspirent le sable ne font en effet pas le tri entre le sable, le plancton et autres animaux marins, tous aspirés par les immenses pompes, endommageant les écosystèmes sur des zones dépassant parfois largement les seuls sites d’extraction.
Aïcha Benmohammadi, chercheuse et vice-présidente de l’université Ibn Tofall, à Kénitra, au Maroc, a participé à une enquête exhaustive en 2011 sur l’extraction de sable dans la région de Mehdia. Une zone où les activités d'extraction proviennent à la fois de carrière à ciel ouvert et de dragage sous-marin. Selon elle, l'impact a effectivement surtout un impact sur la physionomie du littoral. « Il a été largement démontré, soutient-elle, que l'exploitation du sable dans la zone de Mehdia provoque une érosion de la plage de 4m par ans (…) Cette érosion est beaucoup plus liée au dragage, qui s'effectue depuis au moins trois décennies, qu'à l'exploitation de sables dunaires, même si celle-ci y contribue. »
Des affirmations qui vont d'ailleurs totalement à l’encontre des discours des industriels, qui assurent que leurs activités sont plus propres, évoquant même le terme de « sable vert ». A Mehdia, région peu touristique l'impact sur l'économie ne s'est pas fait ressentir, mais dans d'autres régions, « le littoral a été totalement défiguré, et les conséquences ont été plus importantes », poursuit la chercheuse.
Le gouvernement semble avoir d'ailleurs partiellement entendu le message, puisque selon un projet de loi sur l'exploitation des carrières, les entreprises devront présenter un rapport annuel sur le suivi environnemental. Une étude d'impact sur l'environnement devra être effectuée systématiquement, dont l'administration pourra demander l'actualisation. Mais pour satisfaire aux besoins de ses vastes programmes de construction, le Maroc devra extraire jusqu'à 20 millions de m3 de sable par an d'ici à 2015, et l'industrie extractive ne devrait que progresser à l'avenir.
Fermeture de carrières
Et le phénomène ne touche pas que le Maroc. Ainsi au Sierra Leone, l’impact de l’exploitation intensive et incontrôlée de sable est déjà irréversible, et de nombreuses habitations se sont ainsi effondrées (cf. encadré).
A Malika, au Sénégal, 20 années d’exploitation de sable de mer ont également gravement menacé la bande de filaos (arbres poussant en bord de mer) qui protège naturellement le littoral. Pour ces raisons, mais aussi parce que l’érosion de la zone menaçait également les activités touristiques dans la région, les deux carrières de sable marin de Malika ont été fermées en 2009. « Une décision qui n'a pas été facile à prendre », témoigne Ablaye Seye, aujourd'hui conseiller municipal de Malika, et ancien opposant à la carrière de sable marin.
« Beaucoup de personnes vivaient de l'exploitation de cette carrière, explique-t-il. La main d'oeuvre, bien sûr, mais aussi des femmes, qui tenaient leurs « gargotes » sur la route à proximité du chantier, et les marchands ambulants. » Mais au plan local, « la population autochtone était consciente des dangers de l'avancée de la mer, et a globalement bien accueilli la nouvelle ». Pour autant, regrette l'ancien candidat écologiste, « la partie correspondant à l'emplacement de la carrière n'a pas pour l'instant été reboisée », et la zone est donc toujours fragilisée.
Extraction illégale
Aujourd'hui, l'exploitation de sable marin est interdite au Sénégal, ainsi que dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest, comme au Togo ou au Bénin. Les gouvernements semblent ainsi prendre peu à peu conscience de l'importance de préserver leur littoral.
Reste que la demande est tellement forte que l'extraction illégale dans ces pays continue, dans des petites carrières à ciel ouvert. L'exploitation du sable demeure encore une bonne façon pour les habitants de faire rentrer des devises. « Il y a des charrettes qui continuent de passer la nuit, pour aller chercher du sable à l'endroit de la carrière, assure ainsi Ablaye Seye, même si les gardes forestiers veillent. »
SOURCE WEB Par Gaël Grilhot RFI
TAGS: BÉNIN - ENVIRONNEMENT - MAROC - MATIÈRES PREMIÈRES - SÉNÉGAL - SIERRA LEONE - TOGO