Région Guelmim Es Smara : Développement Local
Introduction
Si les oasis étaient considérées pendant longtemps comme des havres de paix et de prospérité, elles sont confrontées aujourd’hui, plus que jamais, à des défis, qui risquent à terme de bouleverser les équilibres que tant de siècles ont façonné. Les oasis, comme d’autres systèmes territoriaux sont confrontées aux règles de jeu imposées par une mondialisation envahissante. L’observation des comportements et des agissements des fellahs oasiens, permet de déceler les stratégies individuelles, parfois collectives dictées par les conditions de milieu. C’est ce qui a permis une permanence des systèmes, sous forme d’agriculture résiduelle, même jusque dans les zones isolées et marginales. Toutefois le fellah n’a pas seulement à manœuvrer pour gérer les conditions de milieu, somme toute défavorables, mais, il est obligé à faire face aux nouveaux défis extérieurs dont les tenants et les aboutissements lui échappent. La complexité de la tache impose la nécessité de disposer d’une marge de manœuvre dans le choix des orientations.
1. Le déterminisme de l’avenir oasien Plusieurs facteurs agissants contribueront au façonnement du visage oasien de demain par leur agissement sur les composantes de la vie socio- économique et écologique des terroirs. Pour tenter de percer le mystère de l’avenir et contribuer au débat sur les meilleures options pour apprivoiser les changements, nous allons tout d’abord aborder les traits qui nous semblent saillants dans l’état des lieux et puis les facteurs de changements endogènes et exogènes et puis des projections de quelques indicateurs dans le futur.
1.1. Situation actuelle Au niveau de la situation actuelle, il sera question de deux spécificités qui nous paraissent importantes et qui n’ont jamais été intégrées dans les plans de développement, des contraintes et puis de la situation du secteur phoenicicole.
1.1.1. Spécificités Systèmes ancestraux
L’évaluation des projets de développement en milieu oasien amènent à conclure que, bien souvent, les projets ne produisent pas d’effets souhaités sur le comportement techniques des fellahs, comparativement aux efforts consentis en matière d’infrastructure. Un début d’explication nous semble résider dans l’inadéquation fréquente du conseil technique aux systèmes de production ancestraux. Les pratiques agricoles dans le domaine oasien n’ont pas seulement une dimension technique, mais elles procèdent surtout d’un processus historique de développement dans un milieu social particulier. En effet les techniques employées actuellement en milieu oasien sont le fruit des siècles d’expériences. L’approche participative prend ici toute sa dimension.
Permanence des systèmes Les débats sur les oasis au cours des dernières années, sont largement dominés par les problèmes de dégradation de l’environnement (désertification, sapement des berges, maladie du bayoud (fusariose du palmier,...) et d’exode des jeunes. Bien que ces questions ne soient pas à sous-estimer, et particulièrement pour les oasis périphériques, le portrait d’ensemble présente plusieurs signes de vitalité et de permanence des systèmes. En effet, Il est étonnant pour l’observateur étranger de constater l’existence durable des cultures vivrières jusque dans les palmeraies limitrophes qui ne disposent guère des conditions favorables (mois de 50 mm de pluie). Dans les localités de Sidi Ali, Taouz, fezou, Oumjrane (région de Tafilalet) ; pour ne citer que ces terroirs, les systèmes agricoles sont entretenus par des familles entières qui sont elles
mêmes maintenues en place grâce à l’argent envoyé par les fils émigrés en ville ou à l’étranger. C’est une
des caractéristiques des oasis dont il faut tenir compte dans toute stratégie de développement.
1.1.2. Les productions
Les céréales
Les superficies céréalières emblavées s’élèvent à 70.000 ha, dont environ 50% pour l’orge et 50 % pour les blés. La production est d’environ 1 millions de qx. Les rendements 14 qx pour l’orge et 17 qx pour les blés. Les facteurs de production, dont il est question ici, les engrais et les semences céréalières sélectionnées concernent les céréales. Bien que dans les céréales ne présentent pas d’avantages comparatifs au niveau oasien, les fellahs continueront à les pratiquer. Autant les aider à en tirer le meilleur profit. L’utilisation des engrais minéraux fluctue avec le niveau annuel de pluie. En moyenne, il est de 150 kg/ ha dans les oasis du Tafilalet. Pour les semences sélectionnées leur utilisation ne concerne qu’environ 10% des superficies céréalières annuellement emblavées. Elle concerne majoritairement les zones à maîtrise total d’eau. Le niveau d’utilisation des engrais, bien que dominée par le 14-28-14, n’est pas un problème de premier plan eu égard à l’hydraulicité des oasis et la qualité de la semence. La stagnation et la faiblesse des quantités de semences sélectionnées de blé utilisées incitent à tenter de chercher les explications afin de faire des propositions pour résoudre le problème. Aux yeux des agriculteurs oasiens et en rapport avec l’ancestralité des systèmes, les semences locales sont ‘’supérieures’’ aux sélectionnées. Car elles sont le fruit d’une sélection naturelle sur plusieurs décennies. Ce qui leur confèrent les résistances nécessaires au stress hydrique et aux maladies et ravageurs dominants. Situation du secteur phoenicicole. Le palmier dattier Le palmier dattier, élément structurant des oasis, est l’une des plus vieilles espèces fruitières du Maroc. Il a fait la gloire des cités antiques, telle Sijilmassa qui fut la plate forme de commerce internationale entre l’Afrique méditerranéenne les pays de l’autre côté du grand Sahara. Actuellement, ce secteur couvre une superficie d’environ 44.000 ha, soit environ 4,4 millions de palmiers. Ce patrimoine national est localisé dans les oasis situées au sud de la chaîne de montagneuse du Haut
Atlas et de ses contreforts, notamment, Ouarzazate, Tafilalet et Tata. La figure suivante, montre la répartition de la culture du palmier au niveau des oasis marocaine. La datte constitue, sans conteste, la principale production des oasis marocaines. La production en campagne normale est estimée à 100.000 tonnes, situant le Maroc au 8ème rang mondial pour la production dattière alors qu’il occupait la 3 ème place il y a plus d’un siècle. Outre la diminution des effectifs due au bayoud et la sechersse, la productivité de notre palmier est faible (autour de 20kg/pied) compartivement aux pays voisins (Algérie et Tunisie). Environ 40% de la production est auto consommée alors que 30% est commercialisée. Le reste, il est soit intégrée dans l’alimentation du bétail (20%) soit perdu. Le tonnage exporté ne constitue que 1% de la production totale. 1.2. Les contraintes et atouts D’un point de vue de développement classique, les oasis soufrent du poids d’un certain nombre de contraintes qui n’aident en rien les populations rurales dans leurs efforts de subsistance. Ces contraintes sont d’ordre (i) naturelles : sécheresses fréquentes, inondations à caractère dévastateur, ensablement menaçant aussi bien les terres agricoles que les habitations et réseaux d’irrigation, maladie du Bayoud qui frappe les variétés les
plus productives de palmier dattier, invasions acridiennes, (ii)sociales : morcellement excessif du foncier, exode des jeunes confrontés à un blocage empêchant leurs épanouissement,(iii) techniques et technologiques : conduite en touffes des palmiers dattiers, vieillissement des oliviers, paquets technologiques non adaptés, etc. Cependant les oasis recèlent d’atouts dont l’exploitation intelligente contribuera à un essor durable des terroirs : l’exclusivité de la présence des productions inhérentes aux conditions écologiques spécifiques des oasis (la datte, les truffes, la race ovine D’man et l’isolement des terroirs les qualifie plus que d’autres entités écologiques à une reconversion en douce vers les nouveaux concepts sains et rémunérateurs de production (production biologique).
2. Facteurs de changement Le paradigme du développement oasien en général et agricole en particulier est en grande partie déterminée par celle des autres secteurs et influencé par le contexte national et international. Dans ce cadre, il s’agit de prendre spécifiquement en compte les considérations suivantes.
2.1. La régionalisation des objectifs
Dans la stratégie nationale agricole, l’accent a été mis sur la nécessité de promouvoir, au niveau régional, les productions dont la région dispose d’avantages comparatifs. Ainsi, il est sans conteste, impératif de donner la priorité, au niveau des oasis, à la production dattière en premier lieu et dans une certaine mesure à la production d’olives.
2.2. Le rôle des projets dans le renforcement des capacités
Dans la nouvelle génération des projets de développement, une grande importance est accordée aux valeurs non économiques et l’accent est mis sur les approches participatives, la territorialisation, l’intégration des interventions et surtout le renforcement des capacités des développeurs et des populations concernées.
L’objectif avoué est l’initiation d’un auro- développement durable.
2.3. La participation croissante du secteur privé
La zone connaît, ces dernières années, l’arrivée d’un nombre d’investisseurs de gros calibre pour l’installation des grandes fermes industrielles pour le palmier et l’olivier. L’avenir des oasis sera influencé par cette dynamique.
2.4. La capacité scientifique et technologique
Sur le plan agricole, les progrès dans la culture in -vitro du palmier dattier, la maîtrise et la mise en œuvre du processus des nouveaux concepts (culture biologique, labellisation des produits,...) aura un impact certain sur l’avenir des oasis. D’un point de vue, autrement plus large, les progrès technologiques font de l’information un moteur du développement du premier plan. Et le ‘’savoir faire’’ prend le pas sur ‘’faire’’. Ainsi l’information s’impose comme moteur incontournable du développement. Cette nouvelle "révolution", permettra un réexamen du rapport ville- territoires ruraux.
2.5. Les problèmes d’environnement, en particulier la désertification et son corollaire l’ensablement
Le degré de maîtrise du phénomène de la désertification et particulièrement, l’ensablement des infrastructures socio- économiques sera déterminant dans l’évolution des secteurs productifs des oasis.
2.6. Les accords commerciaux conclus par le Maroc avec ses partenaires
De tous les accords conclus avec les partenaires sociaux ceux établis avec le monde arabe (accord de la ligue arabe et accord quadripartite avec la Tunisie, Jordanie et les Emirats Arabe Unis), concernent directement les produits ‘’phares’’ des oasis, en l’occurrence les dattes et les olives. A terme, ces produits sont fortement menacés. A signaler, pour exemple, que l’huile d’olive Tunisien (extra vierge) est vendu en Europe à 25 Dh le litre. En 2006, le litre d’huile d’olive est écoulé à 40 Dh au sien même des aires de production oasien.
3. Situation prévisionnelle de quelques indicateurs à l’horizon 2020
Sur la base d’une évaluation de la situation actuelle et des facteurs agissants, il est possible de se projeter dans l’avenir et apprécier l’évolution de quelques indicateurs principaux. Les atouts et les contraintes sont également à prendre en compte dans la formulation des priorités et des stratégies nécessaires pour apporter des améliorations. Les principales variables telles que celles liées au secteur phoenicicole, au secteur oléicole, à la lutte contre la dégradation du capital productif, à l’intégration de la femme, à l’implication de la société civile peuvent être utilisées pour établir la situation prévisionnelle et identifier les changements qui se produiraient. Dans ce qui suit, il sera question des indicateurs liés au secteur phoenicicole en égard à son importance stratégique dans les osais et aux possibilités d’édifier un développement agricole autour de l’entreprise dattière.
4. Orientations stratégiques 4.1. Les orientations majeures
Deux orientations majeures à distinguer :
4.1.1. Un développement rural favorisant les synergies entre les secteurs productifs
Le défi futur du développement oasien durable est de favoriser la complémentarité et la synergie entre les activités traditionnelles, de surcroît agricoles, et les autres fonctions tels le tourisme équitable, l’artisanat, le télétravail, etc. Pour susciter et fructifier ces synergies, un changement de mentalités des acteurs de développement agricole s’impose. Ils doivent accepter et même favoriser l’émergence d’autres activités jugées nécessaires au développement de la communauté dans le contexte d’une ruralité renouvelée.
4.1.2. Un développement agricole autour de l’entreprise dattière Le secteur phoénicicole peut constituer la charpente d’un développement agricole des oasis. Ces multiples produits seront autant de ponts entre le secteur agricole et les autres activités (datte biologique pour le tourisme, matière première pour l’artisanat,...)
4.2. Orientations en matière de développement agricole
Il n’est pas seulement question de conserver le patrimoine productif oasien mais aussi de le développer. Dans le tableau suivant, nous avons essayé de dresser un certain nombre d’orientations à même de contribuer à revitaliser le secteur agricole oasien et redessiner ces contours dans les contexte national et international changeants.
5. Quel avenir pour les oasis ?
Les oasis, milieux complexes et fragiles ont connu, au cours des dernières décennies de nombreuses perturbations : sécheresse, bayoud, migrations et pour la région de Tata conflit frontalier, au point que l’on peut légitimement se poser la question de savoir si les oasis ont un avenir’’. En ces mots, M. P. JOUVE a introduit l’étude entreprise par un groupe d’étudiants du CNEARC de la spécialisation AGIR (Agronomie et innovations en milieu rural) dans la région de Tata. Comme le précise l’éminent professeur, il serait tendancieux de prétendre réponde à la question. Mais elle nous interpelle tous. Et il est de devoir de tout un chacun de contribuer à la réflexion sur l’avenir de ces entités territoriales. De prime abord, il nous paraît important de ne plus penser les stratégies de développement en termes classiques - contraintes et potentialités- mais, prendre en compte l’évolution des paramètres nationaux qui influe sur les osais et esquiver le rôle que celles-ci sont appelées à accomplir dans le développement de la nation. Car l’avènement d’un développement durable dans les oasis, contribuera à la protection et la mise en valeur de l’environnement et de la qualité de vie en général et à la cohésion sociale. A noter aussi, et c’est fondamental, que les oasis sont des trésors et des réservoirs de solutions pour les problèmes à venir. Un autre point aussi important à souligner est que l’avenir des oasis est organiquement lié à la capacité endogène à innover, anticiper et prendre des initiatives. Pour maîtriser cet avenir, la réalisation des études prospectives pour se doter des outils de prévision et le renforcement des capacités des oasiens sont très haute importance. Ils contribueront à la mue des acteurs locaux du rôle de ‘’subisseurs’’ de développement à celui de ‘’faiseurs’’ de développement et permettront aux oasis de se tenir prêtes à tirer profit des nouvelles possibilités souvent de brève échéance, qui se présenteront dans l’avenir.