Nomadiser
Le nomadisme est un mode de vie propre aux nomades,
c'est-à-dire à des groupes de personnes qui ne possèdent pas un domicile fixe
et se contentent d’errer ça et là selon leur volonté et selon le temps qu’il
fait. En tant que pratique groupale ou même individuelle parfois, le nomadisme
a une connotation sociétale, c’est dire relative à la société elle-même. Le
nomade est un homme libre et libéré de tout attachement à la vie des autres. Sa
vie à lui se définit par le refus d’être comme les autres. Le nomade à la
sagesse de ne pas être enraciné dans quelque lieu que ce soit. Son enracinement
est par tout et nulle part. le nomadisme est une philosophie avant d’être une
pratique sociétale, car, tout comme le philosophe, le nomade cherche quelque
chose, sonde une trace, cultive le doute, nourrit l’espoir et vit
naturellement. Tout comme le philosophe, le nomade s’occupe de l’absent, du
possible, de l’occulté. Si la devise du nomade reste l’errance d’un lieu à l’autre,
d’une terre à l’autre et d’un climat à l’autre, celle du philosophe, lui, reste
l’errance d’un texte à l’autre, d’un concept à l’autre et d’une logique à
l’autre. Nomadisme et philosophie ont en commun le sens de l’errance.
L’errance, cette fille rebelle qui se révolte contre la logique de la
stabilité, cette condition qui définit l’homme des temps modernes est une
expérience qui, malgré la douleur et l’angoisse qu’elle inculque dans la
mémoire humaine, demeure d’une portée poétique incontournable au devenir de
l’être. En effet, l’errance compose avec le voyage et ses mystères ; elle
compose avec le dynamisme de l’enfance et ses secrets ; elle compose avec
le départ et ses énigmes ; elle compose avec le changement et ses airs.
L’errance est une expérience qui met l’être face à lui-même. Elle lui rappelle
son origine première : une entité qui s’abandonne pour se retrouver.
L’errance est donc poésie dès lors qu’elle émane d’une nostalgie enfouie dans
le for intérieur de l’être. Celui-ci erre à la conquête de ses traces initiales
qui le définissent ontologiquement.
Anthropologiquement, l’errance aide à connaître l’autre, sa culture et sa
nature. L’anthropologie dans cette optique peut passer pour l’art de l’errance
en ceci qu’elle permet aux anthropologues de saisir la particularité de
l’autre. Elle est une ouverture sur le divers et l’exotique, sur l’ailleurs et
le dehors. L’errance traduit également une expérience mystique qui se tisse
entre l’être et le monde. L’errance est méditation, spéculation et exploration
du désert de l’âme. L’errance dans son sens existentiel s’accompagne du
silence, elle se contente du voir, sentir, goûter, toucher et ouïr. Elle
éveille les sens et épanouit les cœurs. L’esthétique de l’errance se fonde sur
le plaisir de l’errance. L’être erre non seulement pour vaincre sa solitude
ontologique, mais plutôt et surtout pour se rencontrer à travers la rencontre
de l’autre. Ainsi, la quête du métaphysiquement autre, de l’invisible,
commence-t-elle chez l’être à partir du moment où il a peur du «rien» comme
forme d’impasse ontologique. La métaphysique permet à l’être de s’ouvrir sur le
dehors comme horizon de possible. Force est de constater, par la suite, que le
métaphysiquement correct demeure l’ « il y a », c’est-à-dire la
possibilité de l’existence d’un « derrière » assurant au même
confiance et sécurité. Ce derrière, ce dehors, cet « il y a » sont la
trace de l’autre dans le monde. Sa trace conçue comme différence et comme suite
dans le temps et dans l’espace de l’expérience de l’existence du même. Dans ce
sens, l’errance programme la pensée philosophique et programme la vie nomade.
L’être des temps modernes nomadise au quotidien de son chez soi au lieu de son
travail, il nomadise d’une chaîne télévisée à une autre, il nomadise d’un état
psychique à un autre, il nomadise d’un problème à un autre ou d’un bonheur à un
autre, il nomadise d’un parti politique à un autre, il nomadise entre son
épouse, ses enfants, ses amis et ses collègues. Le nomadisme est, pour ainsi
dire, une condition d’être. Il façonne l’être et l’oblige à conditionner son
existence suivant la logique du nomadisme moderne. Le nomadisme est devenu
aujourd’hui une culture fondée sur le besoin et le plaisir de nomadiser. Le
nomadisme ici compose avec le retour du sauvage, le retour de l’innocent, le
retour du naturel. Les temps modernes sont devenus par excellence les temps
d’un nomadisme ontologique qui rend hommage aux sens de la solitude et de
l’étrangeté…
Mercredi 6 Avril 2011
Source : web Libération par Atmane Bissani